La prise en compte des holding purement financières dans l’appréciation des moyens du PSE
30 avril 2019
Par un arrêt du 24 octobre 2018, le Conseil d’état affirme pour la première fois que la holding exclusivement financière doit être prise en compte dans la notion de groupe devant assurer le financement du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Explications.
La notion de groupe pour l’appréciation des moyens du PSE : une notion évolutive
Rappelons que l’article L. 1233-57-3 du Code du travail dispose que l’administration homologue le document unilatéral fixant le contenu du PSE notamment en fonction des « moyens dont disposent l’entreprise, l’unité économique et sociale et le groupe ». Ainsi, même si l’entreprise qui licencie dispose de peu de moyens financiers, elle doit faire appel aux autres entreprises du groupe pour « alimenter » les mesures sociales du PSE. Ainsi, l’administration chargée d’homologuer le PSE devra donc regarder les moyens dont dispose l’ensemble du groupe pour vérifier s’il est bien proportionné aux moyens de ce dernier.
Or, malgré la disposition précitée, le Code du travail ne définit pas la notion de groupe dans ce cadre. C’est la jurisprudence qui, au fil des arrêts, en a fixé les contours. Ainsi, la Chambre sociale de la Cour de cassation a pu définir la notion de groupe permettant d’apprécier la pertinence des mesures du PSE au regard des moyens financiers dont il dispose. Il s’agit des « entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions à l’article L.2331-1 du Code du travail sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national » (Cass. soc., 16-11-2016, n°15-15.190 et Cass. soc. 21-9-2017 n°16-23.223).
De son côté, le Conseil d’Etat, depuis que le juge administratif a repris le contrôle des PSE depuis 2013, a récemment fait évoluer la notion de groupe dans une affaire où l’administration avait homologué le document unilatéral fixant le contenu du PSE dans le cadre d’une unité Economique et Sociale (UES) sans prendre en compte les moyens de la holding financière, non incluse dans l’UES, mais qui détenait 100% de la société mère présente dans l’UES.
Dans une première décision du 7 février 2018 (n°397900), le Conseil d’État rappelle que pour l’application de l’article L.1233-57-3, les moyens du groupe s’entendent des moyens, notamment financiers, dont disposent l’ensemble des entreprises placées, ainsi qu’il est dit au I de l’article L.2331-1 du Code du travail, sous le contrôle d’une même entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L.233-1, aux I et II de l’article L.233-3 et à l’article L.233-16 du Code de commerce, ainsi que de ceux dont dispose cette entreprise dominante, quel que soit le lieu d’implantation du siège de ces entreprises. Le Conseil d’Etat relève que la société mère, faisant partie de l’UES à l’intérieur de laquelle se trouve les filiales qu’elle contrôle, est elle-même détenue à 100% par une société financière, hors du périmètre de l’UES. Il considère ainsi que, pour estimer suffisantes les mesures du PSE de l’UES, l’administration devait tenir compte des moyens financiers dont disposait cette société financière. Or, la question de savoir si cette société doit être regardée comme une entreprise dominante n’ayant été débattue ni devant le Tribunal administratif ni la Cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat a estimé qu’il y avait lieu de surseoir à statuer et de rouvrir l’instruction.
Par la suite, dans un arrêt du 24 octobre 2018 (n°397900), le Conseil d’Etat considérant qu’aux termes de l’article L.233-1 du Code de commerce « Lorsqu’une société possède plus de la moitié du capital d’une autre société, la seconde est considérée (…) comme filiale de la première », il ressort des pièces du dossier que la société mère, qui fait partie de l’UES, était détenue à 100% par une société financière. Elle note également que la société mère et sa holding financière étaient dirigées par la même personne. En conséquence, les moyens financiers de la holding financière devaient être pris en compte par l’administration pour apprécier, conformément aux dispositions de l’article L.1233-57-3 du Code du travail, la suffisance des mesures du PSE de l’UES.
Le Conseil d’Etat confirme ainsi pour la première fois qu’une holding qui détient 100% des entreprises d’un groupe fait partie de ce groupe pour apprécier les moyens du PSE. Pour ce faire, elle s’appuie sur l’article L.2331-1 définissant le comité de groupe, en écartant les réserves de l’article 2331-4 du Code du travail, sur les holding purement financières qui ne sont pas prises en compte dans la constitution du comité de groupe. Le Conseil d’État précise également que le groupe de moyens « n’est pas nécessairement identique à celui pour lequel l’article L.2331-1 du Code du travail prévoit la constitution du comité de groupe ».
La notion de groupe alors retenue est plus large que celle retenue pour le comité de groupe ou celle éventuellement retenue pour l’appréciation du motif économique ou le périmètre de reclassement. Elle permet ainsi de retenir les holding purement financières et les sociétés d’investissements, qui n’interviennent pas dans la gestion opérationnelle des sociétés dont elles détiennent seulement le capital.
Une extension limitée aux seuls moyens du PSE mais dont l’appréciation peut encore s’étendre
La notion de groupe ainsi retenue est large mais demeure limitée à l’appréciation de la suffisance du PSE. On peut légitimement s’attendre à ce que les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l’emploi, chargées d’homologuer les PSE, prennent en considération les sociétés d’investissement à vocation exclusivement financières à la tête des groupes, même si leur détention n’est pas à 100% comme c’était le cas dans les faits ayant donné lieu à la décision du 24 octobre 2018, dès lors qu’une telle détention est majoritaire, sans qu’elle soit exclusive.
La cour de cassation précise à son tour le périmètre du groupe de moyens : une exception pour les sociétés de gestion financière des fonds communs de placement ?
On peut toutefois relever que la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le 20 mars 2019 (17-19.595) une décision précisant les entreprises à retenir pour la détermination du groupe de moyens. Cette décision vient semer le doute dans la compréhension de l’arrêt du Conseil d’Etat. En l’espèce, une société de gestion financière gérait un fonds commun de placement à risque qui détenait 85% du capital social d’une holding détenant la totalité des parts de la société mère de la société employeur [société opérationnelle]. Les salariés demandaient que la société de gestion financière soit incluse dans le « groupe de moyens du PSE ». Mais la Cour de cassation rejette les demandes des salariés au motif « qu’il n’était pas établi que la société de gestion […] détenait directement ou indirectement une fraction du capital de la société [opérationnelle] lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales […] qu’elle ne pouvait être considérée comme contrôlant la société [opérationnelle] par application des dispositions combinées des articles L. 233-3, I, 1 et L. 233-4 du code de commerce, le premier de ces articles dans sa rédaction alors applicable ». La cour retient en outre que malgré « l’existence de liens de contrôle et de surveillance entre » la société opérationnelle et la société de gestion financière, il n’était pas constaté « que le pacte d’associés définissant les droits et obligations respectifs de la société [opérationnelle] et de ses divers actionnaires, dont le fonds commun de placement à risque géré par la société [de gestion financière], conférait à cette dernière le droit d’exercer une influence dominante sur la société [opérationnelle] au sens des dispositions alors applicables de l’article L. 233-16, II, 3 du code de commerce ».
Le Conseil d’Etat n’a pas encore eu à se prononcer sur une situation similaire et on peut se demander quelle serait sa position. Fera t’il prévaloir la notion de domination capitalistique sur la notion d’« influence dominante sur une entreprise en vertu d’un contrat » prévue par l’article L. 233-16 II 3° du code de commerce ? Il est difficile d’en tirer pour le moment une conclusion certaine. Il conviendra de scruter attentivement ses prochaines décisions concernant les entreprise à retenir pour l’appréciation des moyens du groupe en matière de PSE, afin de mesurer si les sociétés de gestion financière gérant des fonds commun de placement sont bien exclues du groupe de moyens des PSE …
Auteurs
Guillaume Bossy, avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats Lyon, droit social
Hana Hassoumi, avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats Lyon, droit social
Transfert d’entreprise : quel sort pour la représentation du personnel ? – Article paru dans Les Echos Exécutives le 26 avril 2019
En savoir plusÂ
LEXplicite.fr est une publication de CMS Francis Lefebvre Avocats, l’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires internationaux. Notre enracinement local, notre positionnement unique et notre expertise reconnue nous permettent de fournir des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée en droit fiscal, en droit des affaires et en droit du travail. |
A lire également
Les règles de suppléance au comité social et économique... 9 août 2019 | Pascaline Neymond
Contrôle administratif des PSE : précisions sur le contrôle de légalité ex... 22 mai 2023 | Pascaline Neymond
Dispositif spécifique d’activité partielle : nouvel outil de soutien des... 15 octobre 2020 | CMS FL Social
Procédure de licenciement et représentation de l’employeur : le DRH d&rs... 28 octobre 2021 | Pascaline Neymond
Accord de performance collective : fermeture de site et modalités de négociati... 9 mars 2023 | Pascaline Neymond
Catégories professionnelles dans les plans de sauvegarde de l’emploi : lâ... 10 avril 2018 | CMS FL
PSE : le Conseil d’Etat permet au CHSCT de demander une injonction à la DIREC... 22 août 2016 | CMS FL
Le vapotage fait un tabac… sauf au travail... 21 novembre 2017 | CMS FL
Articles récents
- L’action en nullité d’un accord collectif est ouverte au CSE
- Complémentaire santé : vigilance sur la rédaction des dispenses d’adhésion
- Précisions récentes sur la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur dans un contexte de harcèlement
- La jurisprudence pragmatique du Conseil d’Etat en matière de PSE unilatéral : Délimitation du périmètre du groupe (Partie I)
- Détachement, expatriation, pluriactivité : quelques nouveautés en matière de mobilité internationale
- Avenant de révision-extinction d’un accord collectif : « Ce que les parties ont fait, elles peuvent le défaire »
- Dialogue social et environnement : la prise en compte des enjeux environnementaux à l’occasion des négociations collectives d’entreprise
- L’accès de l’expert-comptable du CSE aux informations individuelles relatives aux salariés lors de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise
- Conférence : Sécuriser vos pratiques pour limiter les risques juridiques dans l’entreprise (risque pénal, congés payés, RPS)
- Le recours à un client mystère : une méthode de contrôle loyale à condition d’être transparente