La contestation d’une maladie professionnelle reconnue par la CPAM après intervention du CRRMP
17 avril 2019
La reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie déclarée par un salarié résulte, on le sait, d’une décision, expresse ou implicite, de la caisse primaire d’assurance maladie (ci-après « la CPAM » ou « la caisse »).
Cette décision est parfois précédée de l’intervention d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (ci-après « CRRMP » ou « comité »).
Rappelons à cet égard que toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau est présumée d’origine professionnelle1.
Toutefois, si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles ne peut être reconnue d’origine professionnelle qu’à la condition qu’il soit établi qu’elle est directement causée par le travail habituel du salarié2.
Par ailleurs, une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux au moins égal à 25%3.
Dans ces deux derniers cas, la caisse reconnaît le caractère professionnel de la maladie après avis motivé d’un CRRMP.
Cet avis est décisif dans la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie dans la mesure où il s’impose à la caisse4.
D’où la nécessité pour l’employeur d’être au fait des différents moyens dont il dispose pour contester efficacement l’avis rendu en sa défaveur par un CRRMP.
Explications.
La motivation insuffisante de l’avis du CRRMP, un moyen retenu avec parcimonie
Lorsque le CRRMP rend un avis positif sur la déclaration de maladie professionnelle souscrite par le salarié, l’employeur a tendance à vouloir en contester la motivation.
La loi impose effectivement que le CRRMP rende un « avis motivé »5, sans toutefois apporter davantage de précision sur cette exigence.
Un arrêt récent de la cour d’appel d’Amiens mérite d’être signalé, en ce qu’il apporte des enseignements sur les contours de cette motivation.
Cette cour d’appel énonce en effet que « l’avis du CRRMP [doit] comporte[r] les considérations de droit et de fait qui en constituent le support nécessaire et mettent leur destinataire à même d’en comprendre le sens, la portée et l’étendue, notamment l’existence d’un lien direct et essentiel existant entre la maladie [du salarié] et son activité professionnelle »6.
Néanmoins, et en dépit du bien-fondé des critiques qui pourraient être émises par l’employeur, le moyen tiré du défaut de motivation de l’avis du CRRMP est en règle générale écarté, aux termes de décisions le plus souvent discutables.
En effet, lorsqu’il ne se borne pas à affirmer, en l’absence de toute démonstration, que l’avis est « suffisamment motivé »7, le juge apprécie -de manière très contestable- le caractère suffisant ou non de la motivation de l’avis à l’aune de la liste des pièces dont le CRRMP a eu connaissance avant de se prononcer sur l’origine professionnelle de la pathologie.
On songe à cet égard à l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, ayant retenu qu’ « il résulte de la délibération du CRRMP de Lyon qu’il contient une liste détaillée et exhaustive des pièces dont il a pris connaissance (demande motivée de reconnaissance de la victime, certificat établi par le médecin traitant, avis motivé du médecin du travail, enquêtes réalisées par l’organisme gestionnaire et le service prévention, rapport du contrôle médical de l’organisme gestionnaire et rapport d’évaluation du taux d’IPP si nécessaire). Si la motivation de l’avis peut être qualifiée de très succincte, elle mentionne, que le Comité a pris connaissance des avis du médecin-conseil, du médecin du travail et a entendu l’ingénieur du service de prévention, et que l’examen des pièces du dossier (préalablement listées) permet de retenir une exposition à des contraintes psycho-sociales et à des conditions de travail anormales. Il ne peut donc être retenu le défaut de motivation de l’avis du CRRMP de Lyon »8.
Sous réserve des hypothèses où des erreurs manifestes affectent la crédibilité de l’avis rendu par le CRRMP9, le moyen tiré de l’absence ou de l’insuffisance de motivation de l’avis dudit CRRMP est donc rarement accueilli.
Pour autant, l’employeur ne doit pas faire l’économie d’une telle argumentation et tenter malgré tout de convaincre le juge, appréciant souverainement l’avis rendu par le CRRMP, que celui-ci est insuffisamment motivé.
L’on signalera sur ce point un arrêt rendu le 16 décembre 2016 par la Cour d’appel de Bourges.
Dans sa décision, la Cour d’appel souligne que l’avis doit, conformément au guide méthodologique pour les CRRMP, expliciter « le raisonnement et les arguments ayant permis aux membres du CRRMP d’établir ou non l’existence d’un lien de causalité entre la maladie déclarée et l’activité professionnelle de l’intéressé »10.
La Cour d’appel observe ensuite que « le CRRMP de la région ORLÉANS-CENTRE se borne à énumérer les données prises en considération pour conclure à l’absence de lien de causalité direct entre la pathologie et le travail sans fournir d’analyse permettant de comprendre son raisonnement ».
En conséquence, la Cour d’appel considère que « cet avis n’est pas motivé et doit être annulé »11.
Pour paraphraser la cour d’appel de Bourges, l’employeur aura donc tout intérêt à contester la motivation de l’avis du CRRMP si celle-ci ne fait pas ressortir l’analyse permettant de comprendre son raisonnement.
La saisine d’un nouveau CRRMP, une opportunité ouverte de droit à l’employeur
A y regarder de plus près, la réticence des juridictions à constater le caractère insuffisant de la motivation de l’avis du CRRMP, et partant à en prononcer l’annulation, trouve en réalité son explication dans la possibilité pour l’employeur de solliciter la désignation d’un autre CRRMP.
En effet, lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie, le tribunal ne peut statuer sans disposer, outre de l’avis motivé d’un CRRMP désigné par la caisse, de celui d’un CRRMP qu’il aura lui-même désigné12.
A défaut, il s’expose à ce que son jugement soit réformé en appel13.
Il est constant que cette possibilité offerte à l’employeur ne constitue pas une assurance sur le parti qui sera finalement pris par le juge.
Et il arrive que le CRRMP nouvellement désigné statue, à l’instar du premier comité, en faveur de la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie du salarié.
Toutefois, le nouveau CRRMP peut émettre un avis divergent et dénier à l’affection son origine professionnelle14.
La cour d’appel de Nancy a récemment rendu un arrêt particulièrement motivé en ce sens15.
La Cour d’appel expose d’abord que la CPAM relève – à juste titre – que le juge n’est pas lié par l’avis du CRRMP et qu’il doit, en particulier en présence d’avis opposés de deux comités, rechercher, au vu des éléments du dossier, si l’affection invoquée a été causée directement par le travail habituel du salarié.
Or, la Cour d’appel constate que le premier CRRMP a en l’espèce conclu au caractère professionnel de la pathologie sans toutefois caractériser la durée de l’exposition du salarié à ladite pathologie.
L’arrêt de la Cour d’appel prend tout son intérêt et sa valeur en ce qu’il considère qu’« il ressort de la lecture du second avis du CRRMP, que celui-ci s’est prononcé au regard du rapport circonstancié de l’employeur, du rapport d’enquête réalisé par la caisse et du rapport du contrôle médical de la caisse pour conclure à l’insuffisance de l’exposition du salarié aux opérations de sanglage, le CRRMP retenant une ‘durée limitée' », pour finalement écarter l’origine professionnelle de la maladie.
Ainsi, l’appréciation de l’origine de la pathologie du salarié est susceptible de varier d’un CRRMP à un autre, et ce parfois au profit de l’employeur.
Lire également : Procédure de reconnaissance d’une maladie professionnelle
L’inopposabilité de la décision de la CPAM, un moyen complémentaire à faire valoir
La contestation de la motivation de l’avis du CRRMP n’est pas le seul moyen pour l’employeur de faire échec à la décision prise par la CPAM.
L’employeur peut également élever une ou plusieurs irrégularités observées lors de l’instruction par la CPAM de la maladie et soulever des causes d’inopposabilité de la décision à son profit, afin d’éviter que son « compte employeur » soit impacté par les conséquences financières de la maladie professionnelle.
Les causes d’inopposabilité trouvent leur fondement dans la violation du principe du contradictoire par la CPAM, à l’occasion de l’instruction qu’elle doit mener sur la pathologie.
Avant de saisir le CRRMP, la CPAM doit en effet recueillir et instruire les éléments nécessaires du dossier, puis en aviser l’employeur16.
L’information sur la procédure d’instruction et sur les points susceptibles de faire grief devant s’effectuer avant la transmission du dossier par la caisse au CRRMP, l’employeur peut, le cas échéant, faire valoir qu’il n’a pas disposé d’un délai de consultation suffisant avant la transmission du dossier au comité.
La Cour d’appel de Lyon a récemment jugé en ce sens la décision d’une CPAM inopposable à un employeur au motif que ce dernier n’avait pas disposé du temps nécessaire (deux jours) pour faire connaître en temps utile ses observations au CRRMP17.
La demande d’inopposabilité est toutefois indépendante de la décision de fond retenue par la CPAM et du sort que la juridiction de sécurité sociale donnera au caractère professionnel ou non de la maladie.
A titre d’illustration, si l’employeur devait obtenir l’inopposabilité de la décision de la caisse reconnaissant l’existence d’une maladie professionnelle, le salarié pourrait tout de même rechercher à faire constater l’existence d’une faute inexcusable.
Le droit de la sécurité sociale étant par ailleurs indépendant, sur ce point, du droit du travail, l’employeur devrait, nonobstant l’inopposabilité qu’il a pu obtenir, considérer que le salarié est bien victime d’une maladie professionnelle, et ce faisant prendre garde à la protection contre toute procédure de licenciement dont l’intéressé pourrait se prévaloir18.
Ainsi, loin d’être alternatives, la contestation de la motivation de l’avis du CRRMP et la contestation de l’opposabilité de la décision de la CPAM devront être soulevées de manière complémentaire par l’employeur.
Lire également : Maladies professionnelles et accidents du travail : l’employeur peut faire des économies
Notes
1 CSS, art. L. 461-1 al.5
2 CSS, art. L. 461-1 al.6
3 CSS, art. L. 461-1 al.7
4 CSS, art. L. 461-1, al. 8
5 CSS, art. L. 461-1, al.8 (préc) ; CSS, art. D. 461-30, al. 6
6 CA Amiens, 07-03-2019, n°18/03112
7 CA Bouges, 22-03-2018, n°16/00041
8 CA Lyon, 19-09-2017, n°16/04628
9 CA Rouen, 23-03-2016, n°13/02272
10 Guide pour les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles institués par la loi n°93-121 du 27 janvier 1993, validé par la DGT et la DSS
11 CA Bourges, 16-12-2016, n°13/00134
12 CSS, art. R. 142-17-2
13 voir en ce sens, CA Lyon, 03-04-2018, n°17/00227
14 CA Limoges, 27-11-2018, n°17/00881 ; CA Paris, 08-03-2019, n°18/05228
15 CA Nancy, 29-03-2019, n°19/00043
16 CSS, art. D. 461-30, al. 1 et 2
17 CA Lyon, 26-03-2019, n°17/08968
18 C. trav., art. L. 1226-9
Auteurs
Rodolphe Olivier, avocat associé, droit social
Dorian Moore, avocat, droit social
La contestation d’une maladie professionnelle reconnue par la CPAM après intervention du CRRMP – Article paru dans Les Echos Exécutives le 17 avril 2019
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