Brexit : ne négligez pas la négociation de la clause de résolution des litiges!
Le report du Brexit prolonge le suspense relatif à la coopération future entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni (R-U).
L’incertitude liée à la reconnaissance et à l’exécution des jugements rendus en matière civile et commerciale par les juridictions du R-U s’est en partie estompée depuis que celui-ci a demandé, en décembre 2018, à adhérer en son nom propre1 à la Convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for, à partir du moment où il cessera d’être un Etat membre de l’UE et dans l’hypothèse où aucun accord spécifique n’aura été conclu avec l’UE sur ce point.
La pratique fait toutefois apparaître un malaise d’un nouveau genre lors de la négociation des clauses de résolution de litiges avec des contractants situés au R-U, lorsqu’ils maintiennent leur volonté de soumettre le contrat au droit anglais et à la compétence des tribunaux du R-U, en faisant mine d’ignorer les difficultés relatives à l’exécution de la décision judiciaire qui serait rendue en cas de litige.
Le risque est en effet de devoir recourir à une procédure plus longue, coûteuse, et aléatoire, pour pouvoir se prévaloir d’une décision rendue par les tribunaux du R-U, dans un Etat membre de l’UE.
Quand bien même la Convention de La Haye de 2005 viendrait à s’appliquer, le changement ne serait pas neutre par rapport à la situation actuelle.
Il en irait de même en cas d’adoption du projet de convention « jugements »2, actuellement en cours d’élaboration au sein de la Conférence de la Haye.
Si les Convention et projet de convention susvisés œuvrent à la facilitation de la circulation des jugements étrangers, cette facilitation n’est pas du même niveau que celle en place au sein de l’UE grâce au Règlement UE n°1215/2012, dit « Bruxelles I bis »3.
La confiance mutuelle sur laquelle repose le Règlement, et qui permet une reconnaissance et une exécution quasi automatique des décisions, est attachée au partage de valeurs et de règles communes propres à l’UE.
Contrairement à celui du Règlement, les autres régimes ne dispensent pas la partie souhaitant invoquer ou procéder à l’exécution forcée d’une décision de justice de faire préalablement constater, par les juridictions de l’Etat dans lequel l’exécution est poursuivie, la force exécutoire de la décision dans le cadre d’une procédure dédiée dite d’« exequatur »4.
Par ailleurs, le champ d’application de la Convention de La Haye de 2005 est plus restreint que celui du Règlement puisqu’elle ne s’applique que dans les cas où les parties ont conclu une clause attributive de juridiction exclusive.
Quant au projet de Convention « jugements », s’il apparaît particulièrement bienvenu en ce qu’il pourrait faciliter la reconnaissance et l’exécution des décisions sur le territoire de grandes puissances telles que les Etats-Unis et la Chine, les dates de sa finalisation et de son entrée en vigueur sont imprévisibles.
Compte tenu de la longueur propre aux négociations internationales, elles pourraient intervenir dans plusieurs années seulement. A titre d’exemple et pour mémoire, la Convention de La Haye sur les accords d’élection de for élaborée en 2005 n’est entrée en vigueur qu’en 2015.
L’équation est compliquée et la décision la plus adaptée doit être analysée stratégiquement au cas par cas.
Dans certains cas, la négociation d’une clause attributive de juridiction exclusive aux profits des juridictions d’un Etat membre de l’UE serait utile car elle permettrait aux cocontractants de se ménager le bénéfice des dispositions du Règlement, et de favoriser la rapidité d’exécution au sein de l’UE.
Dans d’autres, une telle clause s’avérerait inutile voire inopportune. Par exemple, si tous les actifs du cocontractant sont situés au Royaume-Uni, elle compliquerait inutilement l’exécution au R-U tout en permettant à l’adversaire d’exécuter plus rapidement sa décision à l’encontre du cocontractant européen, alors même que ces facilités sont sans intérêt pour ce dernier, parce que le cocontractant britannique n’a aucun actif au sein de l’UE.
Pour les parties souhaitant voir leur éventuel litige commercial tranché par les juridictions françaises, la désignation de celles de Paris, dotées de chambres internationales, nous semblerait judicieuse dans la mesure où ces chambres sont rompues à la résolution des litiges internationaux5.
Note
1 L’UE a approuvé la Convention de La Haye de 2005 au nom de ses Etats membres.
2 Projet de convention « jugements » sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale, accessible sur le site de la Conférence de La Haye : https://assets.hcch.net/docs/57415bc8-9c6c-43aa-af94-1e16e38550b1.pdf
3 Règlement UE n°1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
4 Article 39 du Règlement UE n°1215/2012 : une décision rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans cet État membre jouit de la force exécutoire dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire.
5 V. Journal Spécial des Sociétés, 26 juillet 2018, La chambre internationale de la cour d’appel de Paris : un bel exemple d’innovation à droit constant, J.-F. Brun, L. Bourgeois et E. Vieille
Auteurs
Jean-Fabrice Brun, avocat associé, Contentieux et Arbitrage
Cécile Rebiffé, avocat counsel, Contentieux & Arbitrage
Laura Bourgeois, avocat, Contentieux et Arbitrage
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Brexit : ne négligez pas la négociation de la clause de résolution des litiges ! – L’analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 23 avril 2019
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