Contentieux social : les nouveautés de la loi portant réforme de la justice
3 avril 2019
Au 1er janvier 2020, le contentieux collectif du travail, aujourd’hui divisé entre le Tribunal de grande instance (TGI) et le Tribunal d’instance (TI), sera unifié au sein du nouveau Tribunal judiciaire (TJ). Explications.
Un contentieux social redessiné en cinq ans
Traditionnellement, le contentieux social se répartissait entre le Conseil de prud’hommes (CPH) juge de l’action individuelle, le TGI juge de l’action collective, le TI juge des élections professionnelles ainsi que des désignations syndicales, et le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) juge du contentieux général de la sécurité sociale. Sans oublier le tribunal administratif (TA) pour connaître du contentieux du licenciement des salariés protégés ou du contentieux des plans de sauvegarde de l’emploi.
En cinq ans, ce paysage aura fortement été modifié.
Ainsi, la procédure prud’homale a été remaniée par la loi du 6 août 2015 et son décret d’application du 20 mai 2016 : formalisation de la requête avec un exposé sommaire des motifs de la demande et la production de pièces listées dans un bordereau, transformation du bureau de conciliation et d’orientation habilité à mettre en état les affaires, encadrement de l’appel désormais régi par la procédure avec représentation obligatoire, etc.
L’une des ordonnances du 22 septembre 2017 y a ajouté le fameux barème des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (article L.1235-3 du code du travail), au sujet duquel les conseils de prud’hommes s’opposent actuellement quant au point de savoir s’il est conforme ou non au droit international.
Conséquence : les contentieux prud’homaux ont reculé de près de 20% en 2016 et de 16% en 2017, tandis qu’en 2017, les Cours d’appel n’ont statué sur le fond du litige que dans 34% des décisions (source : ministère de la Justice, Références statistiques justice, années 2016 et 2017).
La loi de modernisation de la Justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016 et son décret d’application du 29 octobre 2018 ont pour leur part transféré à compter du 1er janvier 2019 au nouveau pôle social du TGI – marquant la disparition du TASS – le contentieux général et le contentieux technique de la sécurité sociale, ainsi qu’une partie du contentieux de l’aide sociale. La procédure demeure orale devant le TGI, et sans représentation obligatoire devant la Cour d’appel.
C’est dans ce contexte que la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice apporte ses pierres à l’édifice.
Les constats et les orientations générales de la réforme
La réforme procède de l’état des lieux suivant (rapport annexé à la loi, §1.1) :
- allongement des délais de procédure (11 mois pour les affaires civiles devant les TGI, 17 mois devant les CPH, 18 mois devant les chambres sociales des Cours d’appel) ;
- organisation de la justice comme un labyrinthe à la lisibilité incertaine ;
- besoin de dématérialisation pour les justiciables.
Aussi l’un des objectifs de la réforme est-il de simplifier en évoluant progressivement vers deux types de procédure (rapport annexé, §1.2.2) :
- pour les contentieux les plus simples, une procédure orale sans représentation obligatoire ;
- pour les autres contentieux, une procédure écrite avec représentation obligatoire.
Fusion du TGI et du TI pour donner naissance au TJ
Le contentieux civil des Tribunaux d’instance relèvera de la compétence du TGI qui deviendra ainsi la juridiction de droit commun en première instance, sous la nouvelle dénomination de tribunal judiciaire (article 95 de la loi ; rapport annexé, §1.2.6).
Cette fusion interviendra au 1er janvier 2020 (article 109, XXIII de la loi).
Elle se ferait sans modification de la carte judiciaire : toutes les implantations judiciaires actuelles seront maintenues pour répondre au besoin de proximité et d’accessibilité de la justice (rapport annexé, §1.2.6).
Ainsi, le TJ pourra comprendre, en dehors de son siège, des tribunaux de proximité dont le siège et le ressort ainsi que les compétences seront fixés par décret (futur article L.212-8 du Code de l’organisation judiciaire).
Dès lors, le TI aurait-il simplement été rebaptisé en tribunal de proximité ?
Pas tout à fait. Il ressort en effet des travaux parlementaires qu’il s’agit d’une fonction non-statutaire permettant au juge, qui exerce ces fonctions, de pouvoir être appelé à siéger dans les autres compositions civiles et pénales du tribunal et ainsi participer au traitement d’autres contentieux. En outre, les litiges actuellement traités par le juge d’instance relatifs aux élections professionnelles et aux contrats de travail maritimes ne relèveront pas de la compétence du tribunal de proximité (rapport de l’Assemblée nationale n° 1396 et 1397, p.524).
En synthèse, le futur TJ sera compétent pour connaître du contentieux social relatif :
- à l’application ou à l’interprétation des accords collectifs (Cass. Soc. 21 novembre 2012, n° 11-15057) ;
- aux élections professionnelles du comité social et économique ;
- et, selon toute vraisemblance, aux désignations syndicales.
Un développement – sans véritable impact sur le contentieux social – de la culture du règlement alternatif des différends
Le juge peut désormais enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur en tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible (article 3 de la loi).
Mais le contentieux social ne devrait pas en être particulièrement affecté :
- devant le CPH, cette faculté est déjà reconnue au bureau de conciliation et d’orientation ainsi qu’au bureau de jugement, quel que soit le stade de la procédure (article R.1471-2 du Code du travail) ;
- quant au contentieux des élections professionnelles, la recherche d’une solution amiable ne s’applique pas : en effet, parce que cette matière est d’ordre public et que l’employeur et les syndicats ne peuvent conclure un accord pour se faire juge de la validité des élections, la recevabilité de la requête n’est pas soumise à l’accomplissement de diligences en vue de parvenir à une résolution amiable du litige (Cass. Soc. 19 décembre 2018, n° 18-60067).
Une extension programmée de la représentation obligatoire par avocat
La représentation obligatoire serait étendue aux litiges relatifs aux élections professionnelles (rapport annexé, §1.2.2.), un décret en Conseil d’Etat devant néanmoins concrétiser cette réforme (article 5 de la loi).
En revanche, l’absence de représentation obligatoire par avocat demeure devant le CPH et se verra même dotée, au 1er janvier 2020, d’un fondement légal et non plus simplement réglementaire en basculant de l’article R.1453-2 à l’article L.1453-1 du Code du travail (article 5 de la loi).
Une transformation numérique de la justice : l’open data sans profilage des magistrats
La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a prévu la mise à disposition du public, à titre gratuit, des décisions de justice dans le respect de la vie privée des personnes et en prévenant les risques de ré-identification (article L.111-13 du Code de l’organisation judiciaire).
La loi du 23 mars 2019 entend la concrétiser en prévoyant que les décisions rendues par les juridictions judiciaires ou administratives sont mises à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique, en occultant préalablement les noms et prénoms des personnes physiques.
Toutefois, afin de ne pas porter atteinte au bon fonctionnement de la justice, le profilage des magistrats et des fonctionnaires du greffe, qui aurait pour objet ou pour effet d’évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques réelles ou supposées, est pénalement interdit (article 33 de la loi ; rapport annexé §1.2.7).
C’est peut-être sur ce terrain de l’open data que la loi portant réforme de la justice, sans opérer de révolution copernicienne du contentieux social, aura le plus d’impact.
Auteur
Vincent Duval, avocat en droit social
Contentieux social : les nouveautés de la loi portant réforme de la justice – Article paru dans Les Echos Exécutives du 3 avril 2019
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