Honoraires de l’expert du CSE : en cas d’abus, il ne faut pas hésiter à les contester
14 février 2019
A l’occasion des débats parlementaires portant sur les lois Auroux de 1982, Jean Auroux indiquait que « le recours à un expert doit intervenir non pas pour n’importe quelle question, notamment mineure, mais en dernier recours et lorsque c’est justifié »1.
Près de quarante ans plus tard, le recours aux experts est toujours plus fréquent, que ce soit par les élus du Comité d’entreprise (CE) et du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou aujourd’hui du Comité social et économique (CSE).
On observe également une tendance inflationniste des honoraires réclamés par ces experts.
Si le législateur a introduit dans la loi le principe d’un cofinancement de certaines expertises, cela ne paraît pas conduire, dans les faits, à une modération des honoraires des experts. Le contentieux de la modération judiciaire des honoraires a donc encore de beaux jours devant lui.
Le champ large de l’expertise du CSE
Le CSE peut recourir à trois types d’experts :
- un expert-comptable pour l’assister dans le cadre des trois consultations récurrentes (sur les orientations stratégiques de l’entreprise, sur sa situation économique et financière, ainsi que sa politique sociale et ses conditions de travail et d’emploi), mais également dans le cadre de l’examen du rapport annuel sur la participation, en cas de déclenchement du droit d’alerte économique, etc.;
- un expert habilité en cas de projet important modifiant les conditions de santé, de sécurité ou les conditions de travail, en cas de risque grave révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel constaté dans un établissement, dans le cadre de la préparation de la négociation sur l’égalité professionnelle (dans les entreprises de plus de 300 salariés) ou encore en cas d’introduction de nouvelles technologies ;
- un expert « libre » pour l’assister dans la préparation de ses travaux.
Un principe de cofinancement des expertises insuffisant à lutter contre les abus
Conscient des abus manifestes de certains experts en matière de fixation de leurs honoraires, le législateur a introduit un principe de cofinancement des expertises (impliquant un financement à hauteur de 20% pour le CSE et de 80% pour l’employeur) afin de responsabiliser les élus et tenter d’endiguer l’inflation du marché.
Selon les propres termes de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, ce cofinancement est censé agir comme un « ticket-modérateur »2.
Il souffre toutefois de nombreuses exceptions dans la mesure où plusieurs expertises restent intégralement à la charge des employeurs.
C’est notamment le cas de l’expertise portant sur la situation économique et financière de l’entreprise, sa politique sociale et ses conditions de travail et d’emploi ou encore celle diligentée en cas de risque grave.
Aussi, en pratique, la majorité des expertises reste intégralement à la charge de l’employeur alors même que ce dernier n’a décidé, ni du principe de ce recours, ni de l’expert choisi.
De plus, dans l’hypothèse où le budget du CSE serait insuffisant pour couvrir le coût de l’expertise, l’employeur peut être amené à financer intégralement le coût de l’expertise sous certaines conditions (prévues par l’article L.2315-80 3 du Code du travail).
Même s’il ne conteste pas le principe du recours à une expertise, l’employeur est parfaitement légitime à contester judiciairement le montant prévisionnel ou final des honoraires de l’expert, après avoir tenté d’obtenir une réduction de ce montant par la voie de la négociation.
L’intérêt de la contestation judiciaire du coût prévisionnel ou final de l’expertise
Ce contentieux relève de la compétence du président du Tribunal de grande instance (TGI) statuant en la forme des référés, ce dernier devant être saisi dans un délai de dix jours à compter de la notification du coût final ou du montant prévisionnel des honoraires.
Dans la mesure où ce dernier statue en premier et dernier ressort, la seule voie de recours ouverte contre le jugement est celle du pourvoi en cassation.
Le rôle du juge dans ce type de contentieux est d’apprécier si les honoraires demandés « sont raisonnables ou exagérés », selon les termes du professeur Maurice COHEN3.
Ainsi, le président du TGI doit intervenir lorsque le coût de l’expertise est « manifestement surévalué »4, cette surévaluation s’appréciant principalement au regard du nombre de jours d’expertise, du taux journalier ainsi que du montant des frais sollicités.
Lorsque c’est le coût final de l’expertise qui est contesté, le juge peut également apprécier la qualité du rapport rendu et ce, tant sur le fond que sur la forme.
Dans le cadre de son pouvoir de modération, le juge peut être notamment amené à prendre en compte :
- le dépassement par l’expert de la mission qui lui a été confiée ;
- la connaissance préalable de la situation comptable et financière de l’entreprise en raison d’expertises précédemment réalisées ;
- la qualification des experts ;
- l’existence d’expertises similaires pour d’autres sites de l’entreprise ;
- l’absence de justification du tarif journalier par l’expert ;
- l’absence de remise du rapport d’expertise dans les délais requis ;
- la qualité du rapport d’expertise et notamment les erreurs matérielles, les fautes d’orthographe ou encore les développements inutiles.
A l’analyse de la jurisprudence rendue en la matière il s’avère que les réductions d’honoraires prononcées par le juge sont loin d’être anecdotiques, puisque, à titre d’illustration, des magistrats ont pu réduire les honoraires d’un expert de 114 550 à 40 000 euros5 ou encore de 145 000 à 61 200 euros6.
Aussi, l’employeur, qui considère comme excessif le montant des honoraires prévisionnels ou finaux de l’expert désigné par son CSE, a tout intérêt à les contester en justice.
Il convient toutefois de souligner qu’il est désormais possible d’aménager par accord d’entreprise portant sur le fonctionnement du CSE le nombre d’expertises auxquelles peuvent avoir recours les élus dans le cadre des consultations récurrentes ou encore le délai dans lequel l’expert doit remettre son rapport.
Puisque le CSE offre une grande place au dialogue social, il pourrait également être imaginé d’aller plus loin dans l’encadrement du recours à l’expertise et de prévoir, par exemple, que les élus devront solliciter plusieurs devis d’experts avant de faire leur choix.
Une telle mise en concurrence pourrait ainsi avoir la vertu de tenter de prévenir les contentieux ultérieurs.
Notes
1 Débats parlementaires devant le Sénat – séance du 8 novembre 1982
2 Débats devant la Commission des affaires sociales – séance du 7 novembre 2017
3 Maurice COHEN, Le Droit des Comités d’entreprise et des comités de groupe
4 Cass. Soc., 26 juin 2001, n°99-11.563
5 Cass. Soc., 19 mai 2010, n°08-19.316
6 CA Paris, 30 mai 2008, n°07/59055
Auteurs
Thierry Romand, avocat associé, droit social
Virginie Séquier, avocat, droit du travail
Honoraires de l’expert du CSE : en cas d’abus, il ne faut pas hésiter à les contester – Article paru dans Les Echos Exécutives le 13 février 2019
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