Ecarts de rémunération femmes – hommes : les mesurer, les publier, les résorber
13 février 2019
La loi n°2018-771 du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » impose aux entreprises d’au moins 50 salariés d’établir et publier un index des écarts de rémunération et de mettre en œuvre des actions efficaces pour les supprimer.
Ce nouveau dispositif vient s’ajouter :
- à l’obligation de négociation annuelle sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail (L.2242-1 du Code du travail) ;
- à l’obligation de négociation annuelle sur la « programmation de mesures visant à supprimer les écarts de rémunération et les différences de déroulement de carrière » ou le suivi de la mise en œuvre de ces mesures dans le cadre de la négociation sur les salaires effectifs (L.2242-1, L.2242-5, L.2242-15 et L.2242-17 du Code du travail) ;
- à l’obligation d’adopter -à défaut d’accord- un plan d’action en faveur de l’égalité professionnelle (L.2242-3 du Code du travail) ;
- à l’obligation de renseigner dans la base de données économiques et sociales (BDES) un diagnostic et une analyse de la situation comparée des femmes et des hommes (L.2312-18 et R. 2312-9 du Code du travail).
Ces dispositifs, souvent redondants, demeurent inchangés.
Un dispositif supplémentaire
Les entreprises d’au moins 50 salariés sont désormais soumises à une nouvelle obligation, dont l’entrée en vigueur est échelonnée :
- pour les entreprises d’au moins 1 000 salariés, la publication des indicateurs doit intervenir au plus tard le 1er mars 2019 ;
- pour celles dont l’effectif est compris entre plus de 250 et moins de 1 000 salariés, elle doit intervenir au plus tard le 1er septembre 2019 ;
- pour celles dont l’effectif est compris entre 50 et 250 salariés : elle doit intervenir au plus tard le 1er mars 2020 ;
- les entreprises qui franchissent le seuil de 50 salariés bénéficient d’un délai de trois ans pour appliquer ces dispositions.
C’est l’effectif de l’entreprise -et non celui de l’établissement ou du groupe -qui doit être pris en compte pour déterminer la date à laquelle le dispositif entre en vigueur ; la réponse est moins évidente s’agissant de l’unité économique et sociale (UES).
Calculer les écarts entre les femmes et les hommes
La mesure des écarts de rémunération s’effectue à partir de cinq indicateurs pour les entreprises de plus de 250 salariés (écarts de rémunération, de taux d’augmentation individuelle et de promotion, pourcentage de salariées ayant bénéficié d’une augmentation à leur retour de congé maternité, nombre de salariés du sexe sous représenté parmi les 10 plus hautes rémunérations) et de quatre indicateurs (identiques à l’exception des écarts de taux de promotion) pour les entreprises dont l’effectif est compris entre 50 à 250 salariés.
Les entreprises doivent atteindre un score minimum de 75 points, sur les 100 points susceptibles d’être obtenus.
Le décret n°2019-15 du 8 janvier 2019 fixe la méthodologie de calcul des indicateurs dont les modalités sont précisées par l’instruction de la Direction générale du travail (DGT) n°2019-03 du 25 janvier 2019.
L’appréciation des écarts s’effectue sur une période de 12 mois consécutifs choisie par l’employeur -pas nécessairement sur l’année civile- en prenant en compte les salariés présents plus de la moitié de la période de référence, à l’exclusion des apprentis, des titulaires d’un contrat de professionnalisation, des salariés mis à disposition et des expatriés.
En cas de constitution d’une UES, les indicateurs sont calculés à ce niveau et non au niveau de chacune des entreprises concernées, ce qui est pour le moins surprenant dans la mesure où l’égalité de rémunération entre les salariés doit s’apprécier au niveau d’une même entreprise1.
Une fois définis la période et l’effectif pris en compte, la mesure des écarts s’effectue par groupes.
– Indicateur 1 : calcul des écarts de rémunération
Pour le calcul de cet indicateur, les salariés sont répartis par tranche d’âge et par catégorie de « postes équivalents »2 définis, au choix de l’entreprise, par catégorie socio-professionnelle (ouvriers, employés, techniciens et agents de maîtrise, ingénieurs et cadres), par niveau ou coefficient hiérarchique de la convention collective applicable ou selon une méthode de cotation des postes propre à l’entreprise, après avis du Comité social et économique (CSE).
Pour chaque groupe :
- la rémunération moyenne pour chaque sexe est calculée ;
- la rémunération moyenne des femmes est soustraite de celle des hommes pour calculer un écart positif ou négatif, selon qu’il est favorable aux uns ou aux autres ;
- les écarts calculés sont ensuite ajustés selon un seuil de pertinence3 ;
- puis multipliés pour chaque groupe par le ratio de l’effectif du groupe sur l’effectif total ;
- et additionnés pour définir l’écart global de rémunération toutes catégories confondues.
Le nombre de points maximal est fixé à 40 points -pour un écart de 0%- et décroit jusqu’à 0 point pour un écart de 20%.
– Indicateurs 2 et 3 : écart des taux d’augmentations individuelles et de promotions
Pour le calcul de ces deux indicateurs, l’entreprise répartit les salariés en quatre groupes selon les quatre catégories socio-professionnelles4.
Pour chaque groupe, les taux d’augmentations individuelles5 – et non le niveau de ces augmentations – et les taux de promotion sont calculés.
Selon la méthodologie définie précédemment, les écarts obtenus pour chaque groupe sont additionnés pour obtenir l’écart global.
Le nombre maximal de points fixé à 20 points pour les écarts d’augmentations individuelles compris entre 0 et 2%6 et à 15 points pour le même écart de taux de promotion ; ils décroissent jusqu’à 0 point pour un écart de 10%.
– Indicateur 4 : pourcentage de salariées ayant obtenu une augmentation à leur retour de congé maternité
Pour obtenir 15 points, toutes les salariées concernées, sans exception, doivent avoir bénéficié des augmentations générales et de la moyenne des augmentations individuelles perçues par les salariés de leur catégorie pendant la durée de leur congé, conformément à l’article L.1225-26 du Code du travail ; à défaut l’entreprise n’obtient aucun point7.
– Indicateur 5 : nombre de salariés du sexe « sous représenté » parmi les 10 plus hautes rémunérations
Pour obtenir 10 points, il faut compter quatre ou cinq salariés du sexe sous représenté parmi les 10 plus hautes rémunérations.
Diffuser les écarts entre hommes et femmes
Le résultat global obtenu est diffusé au plus tard le 1er mars de l’année en cours sur le site Internet de l’entreprise s’il existe. A défaut, il est porté à la connaissance des salariés par tout moyen.
Ce résultat global ainsi que le résultat des indicateurs sont également mis à la disposition du CSE via la BDES et transmis à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) selon une procédure de télédéclaration.
A terme, faire disparaitre ou au moins résorber les écarts
En cas de résultat inférieur à 75 points, l’entreprise devra prendre, par accord ou à défaut unilatéralement, les mesures adéquates de correction des écarts.
Ces mesures ne consisteront pas nécessairement à octroyer une enveloppe financière de rattrapage, qui ne se justifiera finalement qu’en cas d’écarts de rémunération constatés sur les mêmes postes.
Il pourra également s’agir d’actions visant à remédier de manière pérenne à la faible mixité des recrutements et des métiers ou à l’insuffisance de progression de carrière de l’un des sexes.
Si, à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la publication d’un résultat inférieur à 75 points8, l’inspecteur du travail constate que l’entreprise n’a pas atteint le niveau de résultat requis, la DIRECCTE pourra, après avoir invité l’entreprise à présenter ses observations : soit se montrer souple et accorder à l’entreprise un délai d’un an pour atteindre ce résultat, soit lui appliquer une pénalité financière représentant jusqu’à 1% de la masse salariale brute de l’année civile précédant l’expiration du délai de trois ans.
Particulièrement élevée, cette pénalité, lorsqu’elle est appliquée, ne se cumulera pas avec la pénalité financière encourue en cas de défaut d’accord ou de plan d’action en faveur de l’égalité professionnelle ou d’absence de publication de l’index ou d’adoption de mesures de correction des écarts (art. L.2242-8 du Code du travail).
Echappant à cette pénalité, les entreprises qui auront obtenu plus de 75 points ne seront pas pour autant prémunies de tout risque.
Nul doute en effet que le constat d’écarts de rémunération ou de progression des carrières nourrira à l’avenir des actions prud’homales initiées sur le terrain de la discrimination ; à charge pour les entreprises de justifier des écarts éventuellement constatés sur des postes similaires.
Notes
1 Cf. Cass. soc., 1er juin 2005, n°04-42.143 ; Cass. soc., 9 octobre 2013 n°12-16664
2 Lorsque les critères de répartition conduisent à créer des groupes de moins de trois hommes et trois femmes, le groupe est écarté ; si les groupes ainsi écartés représentent plus de 60% de l’effectif total, l’indicateur n’est pas calculé.
3 Il est appliqué à l’écart un « seuil de pertinence » de : 5% pour les groupes constitués par catégorie socio-professionnelle ; 2% pour ceux constitués par niveau ou coefficient de la convention collective ; aucun pour ceux constitués selon une autre méthode de cotation des postes.
4 Seuls les groupes d’au moins 10 hommes et 10 femmes sont pris en compte (cinq hommes et cinq femmes dans les entreprises jusqu’à 250 salariés). L’indicateur n’est pas calculé si les critères de répartition conduisent à écarter plus de 60% de l’effectif ou si aucune augmentation individuelle ou promotion n’a été accordée au cours de la période de référence.
5 Hors augmentations liées à une promotion
6 35 points pour les écarts compris entre 0 et 2% dans les entreprises jusqu’à 250 salariés
7 Cet indicateur n’est pas calculable si aucun congé maternité n’a eu lieu pendant cette période ou si aucune augmentation n’est intervenue pendant cette période
8 Etant précisé que si l’entreprise atteint une fois le seuil de 75 points, elle n’encourra à nouveau une sanction qu’à l’issue d’un nouveau délai de 3 ans à compter de l’année de publication d’un résultat inférieur à 75 points.
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Auteurs
Marie Sevrin, avocat en droit social
Béatrice Taillardat Pietri, adjoint du Responsable de la doctrine sociales
Ecarts de rémunération femmes – hommes : les mesurer, les publier, les résorber – Article paru dans Les Echos Exécutives le 12 février 2019
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