La nouvelle définition des « locaux industriels » pour la Taxe foncière et la CFE : aubaine ou leurre?
Les propriétaires et les locataires de « locaux industriels » au sens de la Taxe foncière et de la CFE (Cotisation Foncière des Entreprises) se doivent de connaître les nouvelles mesures issues de la loi de finances pour 2019 (loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018), au risque d’en perdre le bénéfice ou de s’exposer à des redressements.
Rappelons que pour les locaux répondant à la qualification commerciale ou industrielle, les modalités d’évaluation de l’immeuble à la Taxe foncière et à la CFE sont sensiblement différentes. Pour les locaux professionnels non industriels, la valeur locative foncière imposée résulte de la superficie du local déclarée par le propriétaire à laquelle l’administration applique un prix au mètre carré représentant le marché locatif actuel, lié à sa localisation et sa catégorie (bureaux, entrepôt, hôtel, boutique, clinique, crèche, etc.). Pour les locaux industriels, elle est en principe déterminée selon la « méthode comptable », laquelle consiste à appliquer un taux d’intérêt de 8% au coût global de construction des locaux déclaré par le propriétaire (terrains et accessoires immobiliers compris).
Compte tenu de la dichotomie de ces deux méthodes et des impacts fiscaux -importants- qui en résultent, les redevables de la Taxe foncière et de la CFE doivent maîtriser la qualification de leurs locaux.
1. La définition des établissements industriels est désormais légale. L’application de la méthode dite « comptable » aboutissant généralement à des évaluations foncières supérieures à celle propre aux locaux non industriels, l’administration fiscale mène depuis plusieurs années et malgré -ou en raison de – l’absence de définition légale de l’établissement industriel, des contrôles visant à requalifier des locaux commerciaux tels que des entrepôts, en établissements industriels. De vifs et nombreux contentieux ont été engagés, justifiant l’intervention du législateur.
Ce dernier n’a pas profondément innové à l’occasion de la présente loi puisqu’il s’est limité à reprendre les termes mêmes de la définition des locaux industriels élaborée par le Conseil d’Etat. Ainsi, l’article 1500 I A du Code Général des Impôts (CGI) prévoit qu‘à partir de 2019, revêtent un caractère industriel « les bâtiments et terrains servant à l’exercice d’une activité de fabrication ou de transformation de biens corporels mobiliers qui nécessite d’importants moyens techniques » mais « également les bâtiments et terrains servant à l’exercice d’activités autres que celles précédemment mentionnées qui nécessitent d’importants moyens techniques lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant ».
Cette définition est toutefois assortie d’un seuil d’exclusion à partir du 1er janvier 2020 lorsque le prix de revient d’origine des installations techniques, matériels et outillages détenus ET mis à disposition gratuite ou onéreuse de l’exploitant ou du propriétaire n’excède pas 500.000 €. L’appréciation du franchissement ou non de ce seuil se fait sur les trois dernières années précédant celle de l’année d’imposition et de nouvelles obligations déclaratives s’imposent à l’exploitant et au propriétaire des locaux.
2. Une nouvelle obligation à la charge des propriétaires et des exploitants concernés par un changement de qualification de leurs locaux. Le changement de méthode d’évaluation d’un local commercial en établissement industriel – ou inversement, consécutif au franchissement ou non du seuil de 500.000 €, oblige désormais le locataire à en informer le propriétaire et ce avant le 1er février de l’année au cours duquel le seuil est franchi. Le propriétaire doit quant à lui en faire la déclaration auprès de l’administration fiscale dans un délai de 90 jours suivant sa réalisation.
Telle est désormais la nouvelle rédaction de l’article 1406 du CGI. En cas de manquement à cette obligation déclarative, le propriétaire encourt le risque d’un redressement de Taxe foncière notamment sous la forme d’un « rôle particulier » qui peut s’avérer très onéreux. En effet, alors que l’administration dispose en principe d’un délai de reprise d’un an seulement en Taxe foncière, le « rôle particulier » lui permet de notifier un redressement multiplié par le nombre d’années écoulées depuis l’année suivant celle du changement, sans toutefois être plus que quadruplé.
3. L’instauration d’un mécanisme de lissage visant à prendre en compte progressivement, sur six ans, le changement de méthode d’évaluation. Afin de réduire les écarts d’imposition consécutifs à un changement de qualification des locaux (passage en établissement industriel ou, inversement, en local commercial), le législateur a prévu une mesure spécifique d’accompagnement qui sera codifiée à l’article 1518 A sexies du CGI.
Ainsi, à compter du 1er janvier 2019, lorsque les changements de méthode entrainent une modification à la hausse ou à la baisse de plus de 30% de la valeur locative, celle-ci est lissée sur six ans de sorte que la variation n’est que de 15% la première année, 30% la seconde puis respectivement de 45%, 60%, 75% et 90% sur les quatre années suivantes.
Il est à noter que la modification de plus de 30% s’apprécie par rapport à la valeur locative calculée antérieurement mais après l’application des deux dispositifs de neutralisation et de planchonnement pour les locaux commerciaux ou, en matière de CFE, de l’abattement de 30% réservé aux immobilisations industrielles évaluées selon la méthode comptable. L’appréciation du bénéfice du lissage n’est pas aisée et méritera une étude approfondie de la part des redevables de la Taxe foncière et de la CFE.
En outre, si ce lissage atténue les impacts fiscaux d’un changement de qualification des locaux, nous attirons l’attention des propriétaires et locataires sur sa suppression pure et simple en cas de changement d’exploitant des locaux et dans tous les cas où l’immeuble fait l’objet d’une construction nouvelle, d’un changement de consistance (addition, extension, démolition) ou d’utilisation, d’un changement d’affectation ou de méthode d’évaluation. Nous recommandons donc aux propriétaires ou exploitants éligibles au bénéfice du lissage qui envisageraient de tels changements, d’en anticiper les impacts et, le cas échéant, d’en différer le plus tardivement possible la réalisation.
4. Le droit de reprise de l’administration fiscale est temporairement limité en cas de redressements de Taxe foncière et de CFE consécutifs à un changement de méthode d’évaluation. Conscient de l’insécurité fiscale dont ils sont l’objet, le législateur prive l’administration fiscale de tout droit de reprise pour les contribuables de bonne foi faisant l’objet d’un changement de méthode d’évaluation résultant d’un contrôle fiscal engagé avant le 31 décembre 2019 dès lors que les rôles supplémentaires de Taxe foncière et de CFE n’ont pas été mis en recouvrement avant le 31 décembre 2018.
De plus, le droit de reprise est limité pour les contrôles fiscaux engagés en 2020 jusqu’à la fin de l’année suivant celle de l’imposition et pour ceux engagés en 2021 jusqu’à la fin de la deuxième année suivant celle de l’imposition.
5. Enfin, loin d’avoir résolu la difficile question de la définition de l’établissement industriel et probablement parfaitement conscient de l’incomplétude ou de la mesquinerie du seuil de 500.000 € caractérisant désormais l’existence d’un établissement industriel, le législateur impose au Gouvernement de nouveaux travaux qui nous laissent à penser que l’avenir fiscal des locaux industriels ne devrait pas être un long fleuve tranquille.
En premier lieu, une étude des changements d’évaluation doit être menée en 2019. Pour ce faire, certains propriétaires d’immeubles devront souscrire, avant le 1er juillet 2019, auprès de l’administration fiscale et sur sa demande, un formulaire en fournissant des données propres au local : activité, surface, valeur vénale, montant du loyer et valeur des installations et matériels.
En second lieu et sur la base de ces éléments, le Gouvernement devra remettre au Parlement avant le 1er avril 2020 un rapport présentant les conséquences des changements d’évaluation tant au regard des contribuables que des collectivités locales.
En conclusion, alors que la légalisation de la définition de l’établissement industriel devait être l’occasion de rééquilibrer les rapports entre les contribuables et l’administration fiscale dans l’identification des locaux industriels, il apparaît qu’en fixant à 500.000 € le seuil d’exclusion d’un établissement industriel, l’intervention du législateur s’apparente à un leurre. En effet, les notions « d’importance » et de « prépondérance » des installations techniques et outillages restent imprécises et donc sources de toujours plus de contentieux.
Auteur
Vanessa Chiffert, avocat, fiscalité locale