La Chine, futur modèle en matière de lutte contre la contrefaçon sur Internet?
Aux yeux des titulaires de droits de propriété intellectuelle, la Chine semble parfois une sorte de Far-West (ou plutôt un « Far-East ») sans foi ni loi où les usurpateurs agiraient en toute impunité.
C’est oublier que depuis plusieurs années, l’État chinois a amorcé un virage et fait preuve d’une détermination croissante à endiguer l’action des contrefacteurs. Trois cours de justice (Pékin, Shanghai et Guangzhou) ainsi que quinze tribunaux spécialisés ont été créés et ont récemment prononcé quelques condamnations exemplaires à l’encontre de sociétés chinoises1. En 2018, le Gouvernement a également institué une entité dénommée le China Luxury Authentification Centre, dont l’objectif est de vérifier, grâce à des inspecteurs formés, l’authenticité des biens mis en vente en Chine.
Une nouvelle étape vient d’être franchie avec l’adoption d’une législation spécifique visant à réglementer le marché du e-commerce chinois. Adoptée le 31 août 2018 par le Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire (CNP), elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2019.
Critiquée pour ses imprécisions, cette loi est néanmoins ambitieuse dans son champ d’application : droit de la consommation, données personnelles, propriété intellectuelle.
En matière de respect des droits de propriété intellectuelle, la mesure clé du dispositif est la mise en place d’une procédure de gestion des plaintes émanant des titulaires de droits.
Aux termes des articles 42 et 43 de la loi, lorsqu’un titulaire estime qu’il est porté atteinte à ses droits de propriété intellectuelle sur une plate-forme de vente en ligne, il doit adresser à cette dernière une notification incluant des éléments de preuve préliminaires et solliciter la prise des « mesures nécessaires » pour faire cesser cette atteinte, telles que la suppression, le blocage, la déconnexion ou la résiliation de la transaction et du service. A réception de la notification, la plate-forme doit s’exécuter dans les meilleurs délais et retransmettre la notification à l’opérateur commercial mis en cause.
Si ce dernier conteste ces mesures, il doit fournir à la plate-forme une déclaration étayée établissant qu’il n’a pas commis d’infraction. Cette déclaration est retransmise par la plate-forme au titulaire de droits lequel devra, s’il souhaite le maintien des sanctions prises par la plate-forme, informer celle-ci qu’il a initié une action administrative ou judiciaire en contrefaçon dans un (très court) délai de 15 jours. À défaut, la plate-forme mettra fin aux mesures prises à l’encontre de l’opérateur commercial.
C’est donc en ces termes que le législateur chinois a défini un fragile point d’équilibre entre les droits du titulaire et ceux de l’opérateur commercial. Le mécanisme choisi semble plutôt efficace : si les plates-formes s’exécutent, les produits pourraient être rapidement retirés du marché. Toutefois, compte tenu des coûts judiciaires, les titulaires de droits seront contraints d’évaluer, au cas par cas et dans la précipitation, si l’acte de contrefaçon identifié mérite d’être poursuivi ; il est probable qu’ils renonceront à agir dans la majorité des cas.
Une autre avancée majeure de cette loi est l’institution d’un régime de responsabilité des opérateurs de plates-formes de commerce électronique. En effet, si une plate-forme de commerce électronique sait ou devrait savoir qu’un vendeur enfreint des droits de propriété intellectuelle, elle doit prendre les « mesures nécessaires ». Si ces mesures ne sont pas prises, la plate-forme est solidairement responsable avec l’auteur de l’infraction des dommages-intérêts alloués au titulaire de droits.
Reste à savoir si cette loi sera strictement appliquée en pratique. Les autorités administratives sont en tous cas dotées du pouvoir d’ordonner aux plates-formes de se mettre en conformité avec la loi et de condamner les récalcitrantes à des amendes comprises entre 50 000 et 500 000 yuans et, si les circonstances sont jugées « sérieuses », jusqu’à 2 millions de yuans.
Les réseaux sociaux tels que Wechat et Weibo, où se déroulent une part non négligeable des transactions en Chine, sont-ils inclus dans le champ d’application de la loi ? Celle-ci reste imprécise sur ce point et c’est avec intérêt qu’il conviendra d’examiner les règlements d’application et les premières décisions des tribunaux.
Si la Chine n’est pas encore un eldorado pour les titulaires de droits, les jours des contrefacteurs pourraient être comptés.
Note
1 Trois sociétés chinoises ont été condamnées à verser aux sociétés Blizzard et NetEase 6 millions de yuans (880 000 euros) de dommages-intérêts sur le fondement de la contrefaçon de droit d’auteur et de la concurrence déloyale pour avoir commercialisé un jeu fortement inspiré de World of Warcraft. New Balance a de son côté obtenu la condamnation de sociétés chinoises à lui verser la somme de 1,27 million d’euros pour avoir contrefait son célèbre logo « N ».
Auteurs
Sabine Rigaud, avocat, droit commercial et droit de la propriété intellectuelle
Yanchao Wu, avocat, spécialisé dans les relations franco-chinoises.