Le nouvel accord de compétitivité: «l’accord de performance collective» ou la flexibilité pour les entreprises
24 janvier 2019
L’accord de performance collective (APC), créé par l’ordonnance Macron 2017-1385 du 22 septembre 2017, est plus souple que ses prédécesseurs : accords de maintien de l’emploi, de préservation ou de développement de l’emploi, de mobilité interne et de réduction du temps de travail.
Objectif : flexibiliser la relation de travail et unifier les dispositifs existants
En principe, le contrat de travail doit primer sur l’accord collectif lorsqu’il est plus favorable que ce dernier (1).
Mais, dorénavant, « afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi », un accord collectif peut s’imposer au contrat de travail, même s’il est moins favorable au salarié.
Cet APC remplace les anciens dispositifs d’accords dits « de flexibilité » : les accords de maintien de l’emploi (2) (AME), de préservation ou de développement de l’emploi (3) (APDE), de mobilité interne (4) et de réduction du temps de travail (5), jugés complexes de mise en œuvre.
C’est l’article L.2254-2 du Code du travail qui hébergeait jusqu’à présent les APDE qui a été modifié pour créer le régime juridique des APC, le tout s’insérant dans le chapitre IV intitulé « Rapports entre conventions et accords collectifs de travail et contrat de travail ».
Ce type d’accord peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée, pour :
-
- aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ;
-
- aménager la rémunération dans le respect des salaires minimas hiérarchiques ;
-
- ou déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.
Le contenu de l’APC est très souple…
L’accord peut porter sur les trois domaines précités, et les aménagements possibles sont extrêmement variés. Contrairement à ce qui existait dans les anciens dispositifs, il n’est prévu ni garantie de rémunération, ni encadrement de sa baisse éventuelle, sous réserve du respect du SMIC et des salaires minimas hiérarchiques. Il n’est pas non plus prévu de maintien de la qualification professionnelle ou de limites imposées à la mobilité comme dans les anciens accords de mobilité interne.
L’APC peut être conclu dans un contexte défensif (difficultés économiques) ou offensif (développement et croissance de l’entreprise).
La seule obligation est de prévoir un préambule à l’accord, précisant les objectifs poursuivis. Il n’est plus explicitement prévu la nullité de l’accord en l’absence de préambule comme cela était le cas auparavant pour les APDE.
Pour autant, il ne faudra nullement négliger cet aspect de l’accord, car le risque pourrait être la déqualification par le juge de la nature de l’accord. Et si l’accord perdait sa nature d’APC au sens du nouvel article L.2254-2 du Code du travail, son impact sur le contrat de travail ne serait pas le même. L’enjeu est donc d’importance.
Le reste du contenu de l’accord est laissé à l’appréciation des parties qui disposent d’une grande liberté. Sans que ce soit une obligation, l’accord peut préciser les modalités d’information des salariés sur son application et son suivi pendant toute sa durée, et le cas échéant, l’examen de la situation des salariés à son terme ; les conditions dans lesquelles les dirigeants salariés, les mandataires sociaux et les actionnaires fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux salariés ; les modalités de conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale des salariés ; les modalités d’accompagnement des salariés ainsi que l’abondement du compte personnel de formation au-delà du montant minimal de 100 h.
Concrètement, un APC peut donc notamment imposer au salarié une baisse de sa rémunération pour un même nombre d’heures de travail ou une augmentation de son temps de travail pour une même rémunération, notamment dans un contexte de difficultés économiques de l’entreprise, sous réserve des salaires minimas conventionnels et des règles sur les heures supplémentaires. Il peut accompagner des mobilités géographiques ou professionnelles.
Légalement, il n’est nul besoin de rencontrer des difficultés économiques pour le faire, mais il faudra emporter la conviction des parties à la négociation pour les amener à signer un accord majoritaire sur le sujet. Une approche pédagogique et convaincante devra donc être adoptée. Et la proposition d’un dispositif sérieux d’accompagnement des salariés refusant l’application de l’accord sera la contrepartie à la signature de l’accord par les représentants des salariés.
… Excepté pour les accords modulant le temps de travail
Si l’accord met en place un dispositif d’aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine, il doit impérativement respecter les dispositions du Code du travail sur les accords d’aménagement du temps de travail (art. L.3121-41, 3121-42, 3121-44 et 3121-47 concernant le décompte des heures supplémentaires, l’information des salariés sur le changement dans la répartition de leur durée du travail, etc.).
Une particularité existe concernant le forfait jours. L’APC ne pourra pas mettre en place un dispositif de forfait jours sans l’accord des salariés. Il devra dans ce cas faire accepter individuellement les salariés concernés. Mais la modification du dispositif existant pourra s’imposer à eux .
Avec qui peut-on conclure un accord de compétitivité ?
L’accord conclu avec des organisations syndicales représentatives doit être majoritaire, et donc être signé par des syndicats représentant plus de 50% des salariés, ou à défaut, être signé par des syndicats représentant plus de 30% des salariés et approuvé par référendum à la majorité des suffrages exprimés.
Mais le texte visant les accords sans autre précision, on peut en conclure que les modes dérogatoires de conclusion des accords collectifs avec les représentants du personnel, ou avec les salariés directement, sont envisageables, en l’absence de délégué syndical. Un APC pourrait donc être conclu dans toutes les tailles d’entreprises qu’elle dispose ou non de délégués syndicaux. Des accords de ce type ont d’ailleurs déjà été signés.
L’impact de l’accord de compétitivité sur le salarié
L’accord de compétitivité prime de plein droit sur le contrat de travail du salarié, qui a toutefois la possibilité de refuser cette modification contractuelle résultant de l’application de l’accord. Le salarié dispose d’un délai d’un mois pour faire connaître son refus par écrit à l’employeur à compter de la date à laquelle ce dernier a informé les salariés, par tout moyen conférant date certaine et précise, de l’existence et du contenu de l’accord, ainsi que du droit de chacun d’eux d’accepter ou de refuser l’application à son contrat de travail de cet accord.
Le salarié refusant l’application de l’accord peut être licencié dans un délai de deux mois, selon la procédure de licenciement pour motif personnel, pour un motif spécifique qui constitue d’office une cause réelle et sérieuse. Il ne s’agit donc pas d’un licenciement pour motif économique, ni d’un licenciement pour motif personnel, mais d’un licenciement dont le motif repose sur le refus d’application de l’APC (licenciement qui « repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse ») et le salarié ne pourra pas, en principe, contester le motif du licenciement.
Le salarié licencié peut s’inscrire comme demandeur d’emploi, mais ne bénéficie pas obligatoirement d’un dispositif d’aide au reclassement (contrat de sécurisation professionnelle, congé de reclassement, etc.), contrairement à ce qui était prévu dans les anciens dispositifs. Mais dans le cadre de la négociation de l’accord il pourrait être prévu un dispositif spécifique d’accompagnement dont le contenu serait entièrement laissé à la liberté des parties.
L’employeur doit abonder au minimum le compte personnel de formation (CPF) du salarié (de 100 heures d’après le projet de décret à paraître).
Le nouvel accord de compétitivité : quelles perspectives ?
La souplesse des textes sur l’accord de compétitivité ne manque pas de donner lieu à des interrogations sur sa mise en œuvre et son devenir.
Par exemple, en cas d’accord à durée déterminée, que se passe-t-il à l’issue de sa période
d’application ? Le contrat de travail initial est-il « réactivé » dans toutes ses composantes (durée du travail, salaire, lieu de travail, notamment) ? Cela peut s’avérer impossible. Quid par exemple, si le lieu de travail n’existe plus du fait d’une réorganisation de l’entreprise ?
La question du devenir de l’accord devra être abordée dès le stade de sa négociation, et dans le corps de l’accord.
On l’aura compris, le champ des possibles est très large avec l’APC « nouvelle formule », qui constitue une réelle opportunité de flexibilité pour les entreprises. Les syndicats suivront-ils l’employeur dans cette démarche, en l’absence de difficultés économiques avérées ?
Il faut espérer que la pratique s’emparera de ce nouvel outil qui devrait être un des moyens d’éviter les restructurations passant par des plans de sauvegarde de l’emploi avec leur lot de suppressions d’emplois.
Les premiers retours pratiques, à la suite de diverses négociations et signatures d’APC, montrent que les partenaires sociaux peuvent se saisir de ces outils pour accompagner des phases de restructurations et de transformation, ceux-ci comprenant qu’ils peuvent assister concrètement les salariés concernés (et la société) en prévoyant un processus d’accompagnement sur mesure.
L’entreprise, elle, y gagne sécurité juridique et maîtrise du temps. Pour ce faire, il faudra que les parties partagent l’information pour que chacune comprenne le fort intérêt qu’il y a à signer un accord plutôt que de laisser chaque partie reprendre sa liberté d’action et mener ses actions de manière plus unilatérale.
Compte tenu de la grande liberté laissée aux parties, la rédaction de l’accord sera très importante pour prévoir l’aménagement de l’ensemble du dispositif et s’assurer que toutes les conditions pour la qualification d’APC sont réunies.
D’autres questions se posent encore concernant le rôle d’un inspecteur du travail qui serait saisi d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé suite à refus d’APC : quelle sera la nature et le degré du contrôle, etc. ?
Ce contrôle devrait se borner à vérifier que les conditions légales sont réunies et qu’aucune discrimination n’a été opérée à l’encontre du salarié puisque que c’est le juge judiciaire qui serait compétent pour contrôler la qualification d’APC. Les réponses sont à construire devant la grande nouveauté du dispositif.
Mais une chose est certaine. Ce nouveau type d’accord peut fonctionner en pratique, renforcer le dialogue social et apporter la flexisécurité dont ont besoin les entreprises.
(1) article L.2254-1 du code du travail
(2) anciens articles L.5125-1 et s. CT
(3) ancien article L.2254-2 CT
(4) anciens articles L.2242-17 et s. CT
(5) ancien article L.1222-8 CT
Article publié dans Les Echos EXECUTIVES le 24/01/2019
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