La nouvelle fiscalité de la propriété industrielle : l’approche Nexus, saurez-vous faire le lien?
La réforme du régime fiscal des brevets, qui prévoit une règle dite du nexus, ne se définit pas par sa simplicité.
Les travaux de l’OCDE ont considéré que le régime actuel de l’article 39 terdecies constitue un régime fiscal dommageable, à corriger. Largement inspiré de ces travaux, l’article 14 du projet de loi de finances pour 2019 prévoit un nouveau régime préférentiel d’imposition des produits de la propriété industrielle qui repose sur la création d’un lien entre, d’une part, le bénéfice d’un taux réduit d’imposition, et d’autre part, la création et le développement de l’actif générateur du revenu par l’entreprise qui en perçoit les fruits.
Serait ainsi soustrait du résultat imposable au taux normal de l’impôt sur les sociétés le résultat net d’exploitation d’actifs incorporels déterminé conformément au nouvel article 238 du CGI (ou 223 H pour les groupes intégrés), pour être imposé, à compter du 1er janvier 2019, selon les modalités exposées ci-après au taux réduit de 10%1.
1/ Un régime applicable à un revenu net
Alors que dans le régime antérieur, les revenus tirés de l’actif éligible étaient imposés à un taux réduit sans déduction des dépenses de recherche, il faut dorénavant s’intéresser au résultat net de la concession, de la sous-concession ou de la cession d’actifs incorporels, c’est-à-dire aux revenus acquis au cours de l’exercice après déduction des dépenses de R&D qui se rattachent directement à ces actifs et « qui sont réalisées directement ou indirectement par l’entreprise »2. Le rapport de l’assemblé nationale indique que « ces dépenses peuvent avoir été engagées [..] indirectement à travers des entreprises liées » ce qui mériterait toutefois quelques précisions.
Pour que la plus-value de cession de l’actif puisse bénéficier du régime de faveur il faudra (comme c’était le cas sous l’empire de l’article 39 terdecies du CGI) que l’actif ait été acquis depuis au moins deux ans et que l’entreprise cédante n’ait pas de liens de dépendance avec l’entreprise cessionnaire. Pour la sous-concession, le résultat net serait diminué des redevances versées par l’entreprise sous-concédante à la concédante, ce qui réduirait de facto l’assiette éligible au taux préférentiel.
Les actifs incorporels concernés par le taux réduit sont listés au I du nouvel article 238 du CGI. Il s’agirait des brevets, des certificats d’obtention végétale, des procédés de fabrication industriels et des logiciels protégés par un droit d’auteur (le texte initial visait les logiciels n’ayant pas déjà généré de revenus avant le 1er janvier 2019, mais cette restriction a été supprimée par l’Assemblée Nationale), ainsi que les inventions brevetables non brevetées, c’est-à-dire celles dont la brevetabilité serait certifiée par l’Inpi à l’occasion d’une procédure de demande de certificat d’utilité ou de brevet3.
Les sénateurs ont précisé, avec le soutien du gouvernement, que l’éligibilité concerne les éléments présentant le caractère d’actifs incorporels immobilisés, même s’ils ne sont pas effectivement immobilisés à l’actif du bilan de l’entreprise.
2/ Un régime applicable sur option
Pour pouvoir bénéficier du taux réduit, l’entreprise devrait exercer une option pour chaque actif concerné, à n’importe quel moment de la vie de l’actif. Il est toutefois à noter que la révocation d’une option serait définitive.
Le texte prévoit que l’option pourrait porter non pas sur l’actif lui-même (par exemple une formule brevetée, un procédé…), mais plutôt sur (i) un bien ou service lorsque plusieurs actifs concourent à la production du dit bien ou service (par exemple plusieurs formules pour un médicament), ou (ii) une famille de biens ou de services (plusieurs médicaments qui utilisent des brevets identiques, ou un logiciel dont les versions successives sont regroupées dans une même famille de produits), en respectant un principe de cohérence des méthodes.
Cette souplesse avait été demandée par les entreprises dont les biens ou services comportent plusieurs actifs protégés rendant l’analyse actif par actif difficile à mettre en œuvre. L’intérêt d’une option par biens ou services (ou par famille de biens ou de services) devrait néanmoins s’apprécier à l’aune du mécanisme de cantonnement des déficits institué par la réforme : le déficit de concession d’un élément pour lequel l’entreprise a opté ne serait imputable que sur les résultats nets de concession du même élément réalisés au cours des exercices suivants.
Pour ajouter à la complexité – et si l’on comprend correctement le second alinéa du 1° du II de l’article 238 – il est prévu que s’agissant du premier exercice au titre duquel un résultat net positif est calculé, il convient d’opérer une « capture » des dépenses effectuées par l’entreprise en lien direct avec la création de l’actif incorporel au titre des exercices antérieurs. Cette capture consisterait à déduire du résultat net d’exploitation de l’actif le montant des dépenses engagées par l’entreprise depuis l’exercice au titre duquel elle a exercé l’option.
Outre la rédaction pour le moment très imprécise du texte sur ce point, il apparaît opportun que le législateur précise l’articulation entre cette règle de capture des dépenses antérieures et celle relative à l’imputation des déficits antérieurs afférents au dit actif.
3/ Un régime compatible avec l’approche du Nexus
L’idée de la réforme étant de corréler l’assiette imposable au taux réduit au niveau des dépenses de R&D réalisées par le contribuable lui-même, l’entreprise devra ensuite appliquer au résultat net d’exploitation de l’incorporel un ratio dit « Nexus » calculé comme suit :
- au numérateur : les dépenses engagées par l’entreprises ou par des sociétés non liées pour créer et développer l’actif incorporel concerné, et
- au dénominateur : l’ensemble des dépenses de R&D ou d’acquisition en lien direct avec la création, l’acquisition et le développement du dit actif.
Ainsi que le permet l’OCDE, les dépenses éligibles au numérateur seraient majorées de 30%, sans que le ratio ne puisse excéder 100%. Seraient en revanche exclues du numérateur les coûts relatifs aux terrains et aux bâtiments (amortissements ou loyers) ainsi qu’aux emprunts (intérêts). Prenons l’exemple suivant :
- dépenses engagées par l’entreprise : 180 ;
- dépenses externalisées auprès d’entreprises liées : 50 ;
- coûts d’acquisition : 10.
Le ratio Nexus serait de 97,5% [(180 x 1,3) / 240] et serait calculé tous les ans pour chaque actif ou produits ou services ou famille de produits ou services.
En principe, les entreprises devraient faire masse de toutes les dépenses, y compris celles engagées au cours d’exercices antérieurs, quel que soit le moment d’exercice de l’option. Cette absence de bornage temporel serait toutefois nuancée :
- pour les exercices ouverts en 2019 et 2020 : l’entreprise pourrait limiter la prise en compte des dépenses à celles de l’exercice et des deux exercices précédents (soit les dépenses engagées en 2017, 2018 et 2019 pour le ratio calculé en 2019) ;
- à compter du 1er janvier 2021 : l’entreprise aurait la possibilité d’exclure les dépenses réalisées avant le 1er janvier 2019.
Une clause de sauvegarde permettrait en outre au contribuable d’appliquer un ratio nexus de remplacement « en raison de circonstances exceptionnelles » et à condition d’obtenir un agrément de l’administration fiscale.
Dans tous les cas, de nouvelles obligations documentaires seraient mises à la charge des entreprises notamment pour justifier le montant du ratio appliqué, selon l’actif concerné, le produit ou la famille de produits.
La réforme de l’imposition des produits de la propriété industrielle permettrait ainsi de mettre le régime français en accord avec le droit de l’Union européenne et les principes de substance et de transparence de l’OCDE au prix toutefois d’un dispositif complexe, parfois imprécis et dont l’application concrète devra être examinée au cas par cas par les entreprises.
Notes
1 Le projet initial du gouvernement prévoyait un taux d’imposition de 15%, ramené à 10% par les députés. Un amendement abaissant ce taux à 7% a été adopté par le Sénat, mais contrairement à l’avis du gouvernement. Il faudra donc suivre l’adoption du projet de loi de finances, notamment en nouvelle lecture à l’assemblée nationale, pour s’assurer du taux applicable
2 Ces dépenses demeurent déductibles de l’assiette imposable au taux normal de l’impôt sur les sociétés et restent éligibles au CIR dans les conditions de l’article 244 quater B du CGI.
3 Ce qui paraît bienvenu si une telle procédure permet de garantir la confidentialité de l’actif objet de cette procédure.
Auteur
Eva Aubry, avocat, droit fiscal