Location exonérée d’une partie de la résidence principale : une abrogation brutale serait contestable
L’Assemblée nationale a voté en première lecture de la loi de finances pour 2019 la suppression de l’exonération d’impôt sur le revenu à laquelle peuvent prétendre les personnes louant une partie de leur résidence principale. La suppression de cette exonération sans qu’une mesure transitoire ne soit prévue pour les baux en cours heurterait les droits fondamentaux protégés tant par la CEDH que par la Constitution.
L’article 35 bis du CGI prévoit, depuis 1979, l’exonération des produits de location ou sous-location en meublé par un contribuable d’une ou plusieurs pièces de son habitation principale sous réserve, notamment, que le loyer soit fixé « dans des limites raisonnables ». Cette condition est, en pratique, respectée lorsque le contribuable consent à limiter le loyer à un plafond publié chaque année par l’administration fiscale. Cette exonération suppose en principe que le locataire ou sous-locataire y élise sa propre habitation principale (à moins qu’il ne s’agisse d’un travailleur saisonnier).
Depuis fin 1983, un second volet a été ajouté au dispositif pour prévoir l’exonération des produits de mise à disposition par un contribuable d’une ou plusieurs pièces de son habitation principale lorsque leur montant n’excède pas une somme fixée depuis 2001 à 760 € par an. Cette exonération peut notamment concerner des locations (très) occasionnelles, comme celles réalisées en recourant aux plateformes de type Airbnb.
Un amendement de la commission des finances adopté par l’Assemblée Nationale en première lecture du projet de loi de finances pour 2019 vient abroger l’intégralité de l’article 35 bis. En l’absence de dispositions particulières relatives à l’entrée en vigueur de cette abrogation, elle devrait viser les revenus afférents à l’année 2018.
La suppression de l’exonération des locations de faible montant s’inscrit principalement dans une politique de réduction des « niches » fiscales.
Le coût budgétaire de l’exonération était probablement peu significatif et le gain budgétaire de l’abrogation n’est d’ailleurs pas estimé. L’exposé des motifs de l’amendement évoque pourtant une « dépense fiscale » mais sans données permettant d’en mesurer le coût ou l’efficacité. Il est intéressant de citer Charles de Courson qui, au cours de débats, précise : « nous pouvons toujours adopter cet amendement, mais quelle en sera la portée ? Elle sera à peu près nulle, puisque nombre de ces locations se font au black !« .
Affirmation curieuse, ou en tout cas exagérée, puisque cette exonération est connue de certains contribuables qui se placent volontairement sous les plafonds de loyer lorsque, par exemple, ils louent une ou plusieurs pièces de leur habitation à des étudiants ou à des jeunes travailleurs. Et ce sont justement ces contribuables vertueux, comme leurs locataires qui se trouveront pénalisés.
Le problème réside dans la méthode et dans la véritable « rétroactivité » de la mesure.
Le dispositif incitatif imposait à titre de contrepartie une minoration des loyers puisque les plafonds appliqués s’avéraient, dans les grandes agglomérations et tout particulièrement en Ile de France, inférieurs aux loyers de marchés.
Or, aucune mesure transitoire ne tient compte de l’impossibilité pour les bailleurs de revenir à des loyers de marché en raison de leurs obligations contractuelles. Pour certains, il leur faudra attendre le départ de leurs locataires ou, à défaut, chercher à obtenir la résiliation anticipée des baux conclus…
Autant de contraintes que les auteurs de l’amendement et les députés qui l’ont voté n’ont pas prises en considération, avec le risque que les bailleurs concernés se sentent pris de revers par cette mesure.
En supprimant, une nouvelle fois, un avantage fiscal sans aucune mesure transitoire, le législateur nous paraît heurter sans motif légitime les droits fondamentaux protégés par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CEDH) et par la Constitution.
Cela peut faire sourire s’agissant d’un dispositif au champ d’application restreint mais les droits fondamentaux ne sont-ils pour autant applicables qu’aux réglementations à forts enjeux ?
La suppression de l’exonération heurterait l’espérance légitime du bailleur à bénéficier de l’exonération en contrepartie de loyers modérés.
L’abrogation du dispositif pourrait en premier lieu se heurter à l’espérance légitime des bailleurs, à la date de signature des baux entrant dans son champ d’application, de bénéficier d’un avantage fiscal en contrepartie de la modération consentie des loyers pratiqués.
Le Conseil d’Etat a jugé dans une décision du 9 mai 2012 que le législateur ne pouvait pas revenir sur un avantage octroyé aux contribuables lorsque ces derniers, au moment de prendre une décision conforme à l’objectif d’incitation poursuivi par le législateur, pouvaient avoir l’espérance légitime de bénéficier de cet avantage pendant une durée déterminée (CE 9-5-2012 n°308996 plén., Sté EPI : RJF 7/12 n°786). La Haute Assemblée a reconnu que cette espérance légitime constituait un bien protégé par l’article 1er du 1er protocole à la CEDH.
Il s’agissait alors d’un crédit d’impôt octroyé en raison de l’embauche de salariés pendant une certaine période encadrée par la loi.
Le Conseil d’Etat a rappelé que le législateur pouvait théoriquement prendre des dispositions revenant sur des dispositions fiscales favorables mais ne pouvait sans motivation valable porter atteinte à un bien au sens des dispositions précitées. Il a à ce titre écarté comme insuffisants à justifier une telle atteinte au droit au respect des biens les arguments de l’administration relatifs à un prétendu « effet d’aubaine » ou au coût fiscal, au demeurant modéré dans l’affaire en question, du dispositif.
S’agissant de l’exonération des locations de pièces de la résidence principale du contribuable, l’effet d’aubaine n’est pas même allégué. Il pourrait d’ailleurs tout au plus résulter de l’absence de restrictions propres aux logements ou aux locataires indirectement bénéficiaires étant toutefois rappelé qu’il s’agit d’un texte ancien de près de trente ans et revisité à plusieurs reprises. Quant au coût fiscal de l’exonération, les auteurs de l’amendement eux-mêmes reconnaissaient ne pas disposer d’information et pensent qu’il est quasiment inexistant.
A l’inverse, dans l’affaire Société EPI précitée, le Conseil d’Etat relevait spécifiquement le caractère limité dans le temps de l’avantage dont l’abrogation était contestée. Il a rappelé qu’un contribuable ne pouvait légitimement s’attendre à une stabilité de principe de la fiscalité puisque le principe général est que le législateur fixe la règle fiscale à la fin de l’année mais que ce contribuable doit se trouver protégé quand il peut avoir l’espérance légitime que l’avantage recherché ne sera pas remis en cause lorsque cet avantage est applicable sur une période limitée dans le temps.
Le Conseil d’Etat a retenu une analyse comparable dans une décision du 25 octobre 2017 en relevant spécifiquement, s’agissant de l’abrogation du régime du bénéfice mondial consolidé (i) l’octroi d’un agrément consenti pour une durée initiale de cinq ans ensuite renouvelé pour une période de trois ans et (ii) les engagements consentis en contrepartie par la société concernée (CE 25-10-2017 n°403320, min. c/Sté Vivendi : RJF 1/18 n°131).
Il a rappelé dans cette décision que la remise en cause des avantages considérés ne pouvait intervenir sans ménager « un juste équilibre entre l’atteinte portée à ces droits et les motifs d’intérêts général susceptibles de la justifier ». Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a écarté les motifs invoqués par le ministre relativement à la contrariété au droit de l’Union européenne qui n’était pas établie, au coût budgétaire et à l’inefficacité prétendue du régime qui ne constituaient pas des motifs suffisants.
Dans une troisième décision du 6 juin 2018, le Conseil d’Etat a confirmé l’application des principes précédemment rappelés à un accord conclu, pour une durée limitée, conformément aux dispositions alors applicables en relevant que la remise en cause de l’avantage octroyé en contrepartie de la conclusion de cet accord ne pouvait pas être remise en cause avant l’expiration de son terme (CE 6-6-2018 n°414482, Sté Dekra France : RJF 10/18 n°1057).
En l’espèce, l’exonération prévue par l’article 35 bis dont les dispositions seraient abrogées prévoient, sauf dérogation, que les pièces louées doivent constituer la résidence principale du locataire ; or, l’article 25-7 de la loi 89-462 du 6 juillet 1989 modifiée dispose qu’un contrat de location meublé à usage de résidence est conclu pour une durée minimale d’un an (susceptible d’être réduite à neuf mois pour les étudiants).
Hors du cas de la reconduction (à laquelle il n’est pas toujours en mesure de faire obstacle), le bailleur est donc tenu, dès la signature du bail, sur une période minimale d’un an pendant laquelle l‘engagement de pratiquer un loyer respectant les dispositions de l’article 35 bis lui est opposable. Il pouvait donc légitimement espérer pouvoir bénéficier de l’exonération prévue par cet article à tout le moins pendant cette période.
Soulignons à cet égard l’importance que le Conseil d’Etat a apportée, dans les décisions précitées, à l’existence et à la durée des engagements, notamment contractuels, pris par les entreprises concernées. En l’espèce, le bailleur a bien souscrit un engagement d’une durée minimale d’un an dans le cadre duquel il a accepté, conformément à l’objectif du législateur, de limiter le montant du loyer fixé.
Le bailleur devait, à notre sens, pouvoir légitimement se fier au maintien de l’avantage prévu en contrepartie de cet engagement ; du moins devait-il pouvoir espérer qu’une éventuelle modification soit accompagnée de mesures transitoires lui permettant de revenir sur les contreparties qu’il a consenties ou, plutôt, prévoyant pour les contrats en cours un différé écartant la rétroactivité de l’abrogation et lui laissant une durée raisonnable pour modifier sa situation (en fonction de la nature des engagements pris et des contraintes, notamment juridiques, faisant obstacle à leur évolution).
L’abrogation rétroactive contreviendrait à la Constitution et à la déclaration des Droits de l’Homme
L’abrogation rétroactive du dispositif se heurte également sans motif valable au principe de liberté contractuelle (reconnue par le Conseil Constitutionnel depuis une décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 au visa de l’article 4 de la Constitution) et à celui de la protection des situations légalement acquises découlant de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme.
L’abrogation de l’exonération soulève en effet la question de la remise en cause irrégulière d’une exonération dans des circonstances dans lesquelles les contribuables ont valablement respecté les conditions prévues par le législateur pour bénéficier d’une exonération définitive.
C’est d’ailleurs en ce sens que le Conseil Constitutionnel a formulé une réserve d’interprétation -par une décision de fin 2013 (décision n°2013-682 du 19 décembre 2013)- limitant la remise en cause de l’exonération de prélèvements sociaux des produits d’assurance-vie que les souscripteurs avaient conservés pendant une durée de six ou huit ans conformément aux dispositions légales applicables à la date de leur souscription.
Le Conseil a en effet jugé que le législateur ne pouvait valablement remettre en cause les contreparties attachées au respect de la durée de conservation de ces contrats de sorte que les contribuables ayant respecté leurs engagements pouvaient légitimement attendre l’application d’un régime particulier d’imposition lié au respect de cette durée légale.
Pour des motifs identiques, les bailleurs ayant respecté l’obligation de modération des loyers prévus à raison de contrats conclus avant l’entrée en vigueur de l’abrogation de l’article 35 bis (ou tout du moins avant son annonce) pouvaient légitimement s’attendre à l’application de l’exonération sur la période des contrats en cours.
En conclusion et dans l’attente d’une éventuelle adaptation de la loi de finances en vue d’une application plus mesurée de l’abrogation proposée, il nous semble que les dispositions du projet de loi telles qu’adoptées par l’Assemblée nationale en première lecture laissent entrevoir à raison des contrats en cours de sérieux motifs de remise en cause des effets de la mesure par le Conseil Constitutionnel ou par le juge de l’impôt en considération des dispositions de la CEDH.
Nous ne pourrons que regretter qu’en l’absence d’enjeux budgétaires significatifs, les auteurs du texte n’aient pas pris la peine de se pencher eux-mêmes sur de légitimes mesures transitoires qui n’auraient manifestement pas grevé le budget de l’Etat.
Auteur
Pierre Carcelero, avocat associé, droit fiscal