Le nouveau Bofip Fusions : un apport partiel à l’actif de l’administration
L’administration fiscale a mis à jour, le 3 octobre dernier, une grande partie de ses commentaires relatifs aux opérations de fusions, scissions et apports partiels d’actifs.
Le régime fiscal spécial des fusions et opérations assimilées a été aménagé, à compter du 1er janvier 2018, par la loi de finances rectificative pour 2017 afin de le mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne.
Ces nouvelles dispositions font l’objet de commentaires administratifs1 bienvenus mais incomplets. En particulier, les parties du BOFIP relatives aux conditions d’obtention de l’agrément préalable en l’absence d’apport de branche complète doivent encore être mises à jour. On présentera ici, sans exhaustivité, certains points saillants de ces différents commentaires.
La nouvelle définition de l’apport partiel d’actif
Les commentaires reprennent la nouvelle définition légale des apports partiels d’actifs, transposition de celle de la Directive Fusions2 selon laquelle constituent des apports partiels éligibles au régime de faveur « les opérations par lesquelles une société apporte, sans être dissoute, l’ensemble ou une ou plusieurs branches complètes de son activité à une autre société, moyennant la remise de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire de l’apport ».
On observera que depuis la transposition de la directive, la loi française énonce désormais clairement que l’apport de l’ensemble de l’activité constitue une opération éligible au régime de faveur (ce qui résulte explicitement de l’article 2, d) de la directive.
S’agissant de la définition d’une branche complète d’activité, l’administration précise que l’apport de l’ensemble des éléments d’actif et de passif ne constitue pas obligatoirement une branche lorsque ces éléments, même pris dans leur ensemble, ne constituent pas une exploitation autonome du point de vue de l’organisation. Elle vise notamment le cas des sociétés patrimoniales (foncières, financières etc.).
Une autre nouveauté législative, adoptée fin 2017 et intégrée dans le BOFIP commenté, consiste à appliquer le régime de faveur aux opérations d’apport de titres venant renforcer une participation majoritaire déjà détenue par la société bénéficiaire de l’apport. La catégorie des titres assimilés à une branche complète englobe donc désormais les participations portant sur plus de 50% du capital de la société dont les titres sont apportés ou, si un tel pourcentage du capital est déjà détenu par la société bénéficiaire, les apports venant renforcer cette détention.
Enfin, l’un des aspects majeurs de la réforme a consisté à supprimer la règle qui subordonnait le régime de faveur à un engagement de conservation pendant trois ans des titres reçus en rémunération d’un apport partiel d’actif. Le BOFIP en prend acte et précise que le délai de détention permettant de déterminer si la plus-value de cession des titres reçus relève du régime du court terme ou du long terme court à compter de la date d’inscription des titres au bilan de l’apporteuse à la suite de l’apport.
L’application de la clause anti-abus
L’article 210-0 A du CGI écarte le régime de faveur pour « les opérations de fusion, de scission ou d’apport partiel d’actif ayant comme objectif principal ou comme un de leurs objectifs principaux la fraude ou l’évasion fiscales ». Les commentaires relatifs à cette clause précisent que, par exemple, les opérations se traduisant par un regroupement d’activités semblables ou connexes ou encore par la rationalisation des conditions d’exploitation des activités commerciales ou industrielles des groupes pour leurs opérations de restructurations internes sont considérées comme poursuivant un motif économique valable.
En revanche, la doctrine administrative précise que les apports de participations assimilées à une branche complète d’activité à une société étrangère dans le but principal de bénéficier d’un régime d’exonération de taxation des plus-values à l’étranger sont susceptibles d’être considérées comme ne poursuivant pas un motif économique valable. On comprend ici que l’administration scrutera particulièrement ce type d’opérations pour lesquelles des raisons autres que fiscales devront nécessairement être apportées sous peine de remise en cause du régime de faveur.
En cas d’application de la clause anti-abus, le BOFIP énonce que les sociétés s’exposent à la déchéance rétroactive du régime de faveur et que le délai de prescription pour la mise en œuvre de la clause anti-abus ne court qu’à compter de la date de rupture de l’engagement. On peut s’étonner de la seconde affirmation puisque, comme on l’a vu plus haut, l’engagement de conservation de trois ans n’est plus une condition d’accès au régime spécial des fusions. Au final, le BOFIP ne permet pas de comprendre clairement dans quel délai le droit de reprise de l’administration doit s’exercer.
Rescrit préalable à l’application de la clause anti-abus : une opportunité ou un piège ?
Les sociétés ont désormais la possibilité de se tourner vers le bureau des agréments et rescrits pour obtenir confirmation préalable que la clause anti-abus ne leur est pas applicable. Cette procédure de rescrit ne doit donc pas être confondue avec les procédures d’agrément préalables applicables en l’absence de branche complète et non encore commentées. Quant au contenu de la demande, elle doit notamment comporter une présentation complète de l’opération, permettant à l’administration d’appréhender sa nature et son contexte économique, avec un développement plus spécifique sur ses motifs et ses conséquences tant économiques (impact notamment sur le résultat, le chiffre d’affaires, les investissements, les effectifs, etc.) que fiscales (notamment en termes de prix de transfert, d’établissement stable, etc.). L’administration doit pouvoir apprécier les motifs et objectifs de l’opération ainsi que, le cas échéant, les autres informations nécessaires à sa prise de position. L’absence de réponse au bout de 6 mois engage l’administration fiscale et autorise l’application du régime de faveur à l’opération décrite. En cas de réponse négative, l’administration a jugé bon de préciser que la société s’exposera à un risque sérieux de rehaussement et devra s’attendre à défendre sa position devant les tribunaux. Raison pour laquelle beaucoup d’entreprises hésiteront à se lancer dans cette procédure…
Apports transfrontaliers : une doctrine plus favorable
L’article 210 C du CGI réserve l’application du régime de faveur des fusions aux « sociétés passibles de l’impôt sur les sociétés », ce qui laissait, en théorie du moins, en suspens la question de l’applicabilité du régime des fusions aux apports faits par des sociétés étrangères ou à celles-ci, lorsqu’elles n’ont aucune activité imposable en France. Les nouveaux commentaires reprennent une doctrine antérieure à 2012 qui n’avait pas encore été reprise au Bofip et confirment la pratique en précisant que le champ d’application est étendu aux opérations mettant en cause de telles personnes morales, eu égard à leur forme juridique et à la nature de leur activité et qu’une imposition effective en France n’est pas exigée. Les sociétés étrangères soumises à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés français devraient donc être éligibles.
Depuis le 1er janvier 2018, les opérations d’apports transfrontaliers peuvent bénéficier du régime de faveur des fusions sans qu’un agrément préalable soit nécessaire. Le régime ne s’applique toutefois aux apports de branches complètes d’activité par des sociétés françaises à des sociétés étrangères qu’à condition que les éléments apportés soient rattachés à un établissement stable français.
Les commentaires confirment que la condition de rattachement à un établissement stable français ne s’applique ni aux apports portant sur des éléments inscrits à l’actif d’établissements stables étrangers, ni aux apports de titres assimilés à une branche complète d’activité, ni aux opérations d’absorption de holdings françaises. Les opérations d’absorption de holdings mixtes françaises resteraient en revanche soumises à cette condition de rattachement à un établissement stable français dès lors que les apports ne seraient pas exclusivement constitués de titres de participation. L’administration répond par ailleurs aux sociétés qui s’interrogeaient sur la date d’effet rétroactif de telles opérations en précisant que la date d’effet convenue entre les parties ne peut être antérieure à la date d’ouverture du premier exercice de l’établissement stable, ce dernier devant être constitué avant la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l’opération, et sans que l’effet rétroactif ait une incidence sur le bilan de clôture de la société apporteuse.
Enfin, sous l’ancienne législation, le régime de faveur ne s’appliquait de plein droit aux opérations de filialisation par les sociétés étrangères de leurs succursales françaises que pour autant que l’imposition future en France de la plus-value sur les titres reçus en rémunération de l’apport était assurée. Dans le cas contraire, les sociétés devaient rechercher un agrément préalable qui n’était délivré que sous condition de réapport de ces titres à une holding française. L’administration ne reprend logiquement pas cette doctrine dans ses nouveaux commentaires. Au contraire, il est indiqué que l’application du régime de faveur des fusions n’est pas subordonnée à l’inscription de ces titres à l’actif d’un établissement stable français. Enfin, l’administration précise que si l’apport est réalisé par une succursale française d’une société étrangère, les titres remis en rémunération de l’apport doivent bien entendu être inscrits à l’actif de la succursale.
Notes
1 Modification des chapitres RPPM-RCM, BNC-BASE, IS-CHAMP, IS-BASE, IS-FUS, IS-GPE, CF-INF et création d’un BOI-SJ-RES-10-20-20-100 ; articles 115, 210-0A et suivants du CGI et L. 80 B, 9° du LPF
2 Directive n°2009/133 du 19 octobre 2009
Auteurs
Agathe d’Aubigny, avocat, fiscalité internationale
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