La violation des pactes d’actionnaires enfin sanctionnée par la nullité ?
La sanction de la violation des pactes d’actionnaires par l’attribution de dommages et intérêts est classiquement jugée insatisfaisante par la pratique.
L’entrée en vigueur de la réforme du droit des obligations (Ord. n°2016-131, 10 févr. 2016), même si elle améliore un peu la situation en renforçant la possibilité d’obtenir l’exécution forcée des obligations de faire, ne change pas ce constat.
Le pacte d’actionnaires cristallisant le cœur de l’accord entre les associés qui l’ont signé, la sanction de la violation de ses stipulations devrait -en théorie- être la nullité de l’acte contrevenant ou (selon le cas) la possibilité d’obtenir l’exécution forcée des obligations de la partie défaillante. En tout état de cause, il parait peu justifié du point de vue de l’économie des accords entre les parties que la violation d’un pacte puisse être assortie d’une sanction moins sévère que celle relative à une violation des statuts, même si bien entendu le sujet est loin d’être évident d’un point de vue juridique, compte tenu du fait que les statuts sont publics alors qu’un pacte est confidentiel.
Une solution afin d’encadrer la sanction des violations des pactes d’actionnaires consiste à recopier dans les statuts l’essentiel du pacte, ce qui pose toutefois de nombreux problèmes de confidentialité et de cohérence et laisse ouverte la question de la sanction des violations des statuts1.
Une voie médiane consiste pour une partie des praticiens à insérer une simple référence au pacte dans les statuts et à y prévoir expressément que la violation du pacte est sanctionnée par la nullité. C’est cette pratique que semble avoir validé un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 27 juin 2018, n°16-14.097).
En l’espèce, l’article 11.3 des statuts de la société Financière Amplegest prévoyait la nullité des cessions de titres contrevenant aux dispositions du pacte. Or, une promesse de vente prévue par le pacte fut révoquée par son débiteur avant la levée de l’option par son bénéficiaire. Selon la cour d’appel, conforme en ce point à la jurisprudence tant décriée2 qui fut corrigée par la réforme du droit des obligations (C. civ., art. 1124), la sanction de la révocation de la promesse ne pouvait se résoudre qu’en dommages et intérêts (à supposer bien sûr que le pacte prévoie l’interdiction d’une telle résiliation).
La haute juridiction casse l’arrêt d’appel au visa de l’article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, au motif « qu’en statuant ainsi, alors que la révocation unilatérale de la promesse et, par suite, la cession litigieuse constituaient une violation du pacte d’associés entraînant la nullité de la cession en application de l’article 11.3 des statuts de la société Financière Amplegest, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Le visa est instructif en ce qu’il indique que la solution doit être considérée comme acquise même pour des pactes et statuts préalables à l’entrée en vigueur de la réforme du droit des obligations.
Cet arrêt doit être approuvé car il semble enfin offrir aux praticiens un moyen efficace et adapté de sécuriser l’exécution des pactes d’actionnaires.
La portée de cette décision reste toutefois à clarifier sur un point. En effet, l’arrêt reste silencieux sur la question de la bonne foi du cessionnaire, qui est pourtant un sujet clef lorsqu’il est question de prononcer la nullité d’une cession sur le fondement de la violation d’une convention à laquelle le cessionnaire n’est pas partie3. Or, le pourvoi posait pourtant clairement la question. Ce silence peut s’expliquer par le fait que la mauvaise foi ne faisait pas de doute ou (espérons-le) par le fait que la Cour considère que sa démonstration n’était pas nécessaire, ce qui contribuerait à donner plus de force aux pactes d’actionnaires.
Notes
1 Cass. com., 18 mai 2010, n°09-14.855 : D., 2010 Actu p. 1345, obs A. Lienhard et p.2405, note F. Marmoz ; JCP E, 2010, 1562, note A. Couret et B. Dondero ; Bull, Joly Sociétés, 2010, p. 651, § 135, note H. Le Nabasque.
2 Cass. 3e civ., 15 déc. 1993, n°91-10.199 : JurisData n°1993-002405 ; Defrénois 1994, p. 795, obs. Ph. Delebecque ; RTD civ. 1994, p. 588, obs. J. Mestre ; D. 1995, somm. p. 87, obs. L. Aynès ; JCP G 1995, II, 22366, note D. Mazeaud. – Cass. 3e civ., 11 mai 2011, n°10-12.875, JCP N 2011, n°20, 1163, rapport G. Rouzet ; JCP N 2011, n°22, 1188-4, obs. S. Piedelièvre ; Constr.-Urb. 2011, n°7-8, comm., 115, C. Sizaire ; Contrats, conc. consom. 2011, n°8-9, comm. 186, L. Leveneur ; Defrénois 2011, art. 40023, p. 1023, note L. Aynès).
3 Cass. ch. mixte, 26 mai 2006, n°03-19.376, n°03-19.495 P+B+R+I, Daurice P., épse P. et a. c/ Jean S. et a. : JCP G 2006, II 10142, L. Leveneur – Cass. 3e civ., 14 févr. 2007, n°05-21.814, Dr. sociétés 2007, comm. 63, note H. Lécuyer.
Auteur
Benoît Gomel, avocat en droit des sociétés