Existe-t-il un nouveau régime social des indemnités transactionnelles ?
8 octobre 2018
Jusqu’à présent, les indemnités versées en complément de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, dans le cadre d’une transaction ayant pour objet de mettre un terme à tout litige consécutif à la rupture du contrat de travail par l’employeur, relevait du régime des indemnités de rupture visées à l’article L.242–1 alinéa 12 (anciennement alinéa 10) du Code de la sécurité sociale.
Une telle indemnité transactionnelle était dès lors exonérée de cotisations sociales dans la limite de deux plafonds annuels de la sécurité sociale (PASS) soit 79 464 euros pour 2018 en faisant masse des sommes versées au salarié à l’occasion de la rupture.
Cette solution résultait du renvoi par l’article L.242-10, alinéa 10 du code de la sécurité sociale à l’article 80 duodecies du Code général des impôts (CGI) pour la détermination des indemnités susceptibles de bénéficier d’une exonération de cotisations de sécurité sociale : même si ce dernier article ne vise pas expressément les indemnités transactionnelles, il cite les indemnités allouées, le cas échéant, par le juge comme susceptibles de bénéficier d’une exonération fiscale et, par voie de conséquence, d’une exonération sociale. Il s’agit en particulier des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou non-respect de la procédure de licenciement.
A cet égard, l’administration fiscale (BOFIP – BOIRSA-CHAMP-20-40-10-30, § 30), la Direction de la sécurité sociale (circulaire interministérielle DSS/SD5B/2011/145,14 avril 2011) et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS : Lettre-circ. n°2001-022, 25 janv. 2001, n°113) ont assimilé, pour le bénéfice des exonérations sociales et fiscales, les indemnités transactionnelles aux indemnités obtenues judiciairement.
Ces solutions ont été entérinées par une décision du Conseil constitutionnel du 20 septembre 2013 (QPC 2013-340) qui a décidé que les dispositions définissant les indemnités « qui, en raison de leur nature, font l’objet d’une exonération totale ou partielle d’impôt sur le revenu ne sauraient, sans instituer une différence de traitement sans rapport avec l’objet de la loi, conduire à ce que le bénéfice de ces exonérations varie selon que l’indemnité a été allouée en vertu d’un jugement (…) ou d’une transaction »
Mais par une série d’arrêts rendus, 15 mars (n°17-1035 ; n°17-11.336), 21 juin (n°17-19.432 ; n°17-19.773) et 12 juillet 2018, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a semé le trouble sur les conditions d’exonération de cotisations de sécurité sociale de telles indemnités transactionnelles.
Une nouvelle donne ?
En effet, par un attendu de principe, repris à l’identique dans chacune des décisions, la Haute juridiction décide que :
Il résulte des dispositions du premier alinéa de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale que les sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail autres que les indemnités mentionnées au dixième alinéa sont comprises dans l’assiette de cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, à moins que l’employeur ne rapporte la preuve qu’elles concourent, pour tout ou partie de leur montant, à l’indemnisation d’un préjudice.
Ainsi, les indemnités transactionnelles seraient par nature soumises à cotisations sociales, à moins qu’il soit établi qu’elles ont pour objet d’indemniser, pour tout ou partie de leur montant, un préjudice subi par le salarié.
Selon certains auteurs ces décisions remettraient totalement en cause les solutions existantes s’agissant de l’exonération de cotisations sociales des indemnités transactionnelles.
Il résulterait ainsi de ces arrêts que les sommes accordées à titre transactionnel, quelle que soit leur nature, n’étant pas visées par le dixième alinéa de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale, n’auraient pas vocation à bénéficier du régime d’exonération prévue pour ces indemnités et seraient donc en principe intégralement soumises aux cotisations de sécurité sociale en application du premier alinéa de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale.
Cela étant, sous réserve qu’elle indemnise un préjudice, l’indemnité transactionnelle pourrait être totalement exonérée de cotisations sociales, sans qu’il y ait lieu d’appliquer le plafond de deux PASS.
Des décisions à la portée encore incertaine
Néanmoins, il apparaît délicat de déterminer quelle a été l’intention exacte de la Haute Juridiction à travers ces décisions.
En effet, dans la mesure où les arrêts susvisés ont été rendus, pour la plupart, dans le contexte particulier de la transaction conclue à la suite d’un licenciement pour faute grave, on peut y voir une simple clarification de la jurisprudence existante, compte tenu de l’incertitude née de la décision de la cour de cassation du 20 septembre 2012 (n°11-22.916).
Dans cette affaire, la Cour avait en effet décidé qu’en transigeant à la suite d’un tel licenciement, l’employeur avait renoncé à la qualification de faute grave et qu’ainsi, la somme versée comportait nécessairement une part correspondant à l’indemnité de préavis, assujettie, à ce titre, à cotisations sociales.
Désormais, il est admis que l’indemnité litigieuse puisse compenser, dans cette hypothèse, un préjudice pour les salariés et que son montant n’entre pas dans l’assiette des cotisations sociales.
Mais il reste tout à fait surprenant, dans ces affaires, que la Cour se soit référée au premier alinéa de l’article L.242-1 et non pas au dixième alinéa puisqu’il semble, dans la majorité des décisions, qu’il s’agissait bien d’une transaction liée à la rupture du contrat de travail et à la simple contestation du caractère grave de la faute. D’autant que les montants versés étaient a priori inférieurs à deux plafonds.
Il est par ailleurs peu probable que la Cour de cassation ait voulu écarter purement et simplement l’application des dispositions légales relatives aux indemnités de rupture : celles-ci ne s’appliqueraient-elles finalement qu’aux indemnités légales et conventionnelles malgré l’interprétation précitée du Conseil constitutionnel ?
Il apparaît en tout état de cause que la deuxième Chambre civile semble bien vouloir faire une ouverture à l’exonération d’indemnités transactionnelles ayant pour objet d’indemniser un préjudice en dehors des indemnités de rupture visées par l’ancien alinéa 10 susvisé.
Si tel est le cas, cela supposerait, en cas de contrôle URSSAF, comme cela était le cas avant l’harmonisation des régimes sociales et fiscales issue des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2000, que les employeurs soient en mesure de démontrer l’existence d’un ou de plusieurs préjudices autres que pécuniaires, tels que, par exemple, le préjudice moral ou le préjudice d’agrément.
En outre, en cas de contentieux, ce serait aux juges du fond qu’il appartiendrait d’évaluer, au vu des éléments de faits, le montant susceptible d’indemniser ce préjudice.
Souhaitons que les décisions à venir de la deuxième Chambre civile nous éclairent sur les intentions des magistrats quant aux possibilités d’exonération de cotisations sociales des indemnités transactionnelles et dans cette attente, il convient de rédiger, comme y incitent d’ailleurs les arrêts, avec une particulière attention les protocoles transactionnels.
Article publié dans Les Echos EXECUTIVES du 08/10/2018
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