Qualification fiscale des LLC américaines en France : point sur la jurisprudence française récente
Dans une décision récente, « Société World Investment Corporation » (CE, 16 mai 2018, 9ème ch., Sté World Investment Corporation, n°398055), le Conseil d’Etat est venu ajouter une touche discrète à une jurisprudence encore balbutiante sur le traitement fiscal des « Limited Liability Company » (« LLC« ) en droit français.
Au cas particulier, une LLC, la société World Investment Corporation, avait pour seule activité l’acquisition et la mise à disposition à titre gratuit d’un immeuble situé à Paris au profit des membres de la famille de son associé majoritaire. Suite à la cession de cet immeuble, elle avait dégagé une plus-value, régulièrement déclarée, et acquitté le montant d’impôt correspondant à celui qu’aurait payé une société soumise à l’impôt sur les sociétés (« IS« ) en France (CGI, art. 224 Bis A, III). En même temps qu’elle déclarait cette plus-value, la LLC a émis une réserve par laquelle elle avait fait valoir qu’elle devait être assujettie au régime d’imposition des plus-values des particuliers car elle ne satisfaisait pas les critères énoncés au 1 de l’article 206 du Code général des impôts (« CGI »).
En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 17 novembre 2015, Chambre 10, n°14PA03269) s’est exclusivement fondée sur le caractère lucratif de l’activité de la LLC, mettant de côté le critère de l’assimilation, pour juger qu’elle relevait de l’IS. La question analysée par le Conseil d’Etat avait donc seulement trait à la nature de l’activité, lucrative ou non, exercée par la LLC.
Mais la question de la qualification de la LLC est un préalable indispensable pour comprendre le centrage de la décision sur l’analyse de l’activité de la société. C’est l’occasion de faire le point sur la jurisprudence existante, même si l’arrêt du Conseil d’Etat n’apporte pas de nouveauté sur le terrain de la qualification en droit français des LLC américaines.
1. La qualification de la LLC en droit français : le principe d’assimilation
Le principe d’assimilation – Cette assimilation consiste à faire entrer de force l’entité étrangère dans une catégorie française.
Dans une décision de principe « Société Artemis » du 24 novembre 2014, rendue au sujet d’un « general partnership » américain, le Conseil d’Etat a précisé que, pour assimiler une entreprise étrangère à un type de société française, il devait être tenu compte de l’ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit sa constitution et son fonctionnement en écartant la qualification fiscale étrangère de la société.
Si l’assimilation d’un « general partnership » américain à une société de personnes française se fait sans trop de difficulté, le fonctionnement et les caractéristiques étant relativement similaires, cette assimilation s’avère plus compliquée dans le cas d’une LLC qui a des caractéristiques hybrides, entre une société de capitaux et une société de personnes.
i) Le principe d’assimilation par la forme – Le Conseil d’Etat a considéré que la méthode de l’assimilation telle que posée par dans la décision « Artémis » s’applique aux LLC (CE, 27 juin 2016, 9e ch., Sté Emerald Shores LLC, n°386842 ).
Or, la jurisprudence est contradictoire sur les critères pertinents pour une LLC. Par exemple, la Cour administrative d’appel de Marseille a considéré que la responsabilité limitée des associés ne suffisait pas en soi à assimiler une LLC à une société de capitaux française (CAA Marseille, 2 février 2017, Sté Emerald Shores LLC, n°16MA02619), contrairement à ce qu’a jugé celle de Nancy (CAA Nancy, 16 novembre 2017, n°16NC00503).
De son côté, le Conseil d’Etat, dans une affaire concernant une société anonyme monégasque, avait refusé l’assimilation à une société de capitaux française, quand bien même la responsabilité de l’associé était limitée, en raison des nombreuses différences avec les sociétés françaises, dont le fait que la société monégasque était inscrite au registre des sociétés civiles (CE, 24 mai 2006, 3ème et 8ème, min c/Sté immobilière « Saint-Charles », n°278737).
Le Conseil d’Etat ne s’est pas encore prononcé sur l’assimilation d’une LLC à une société de capitaux en raison de sa forme.
ii) Le principe d’assimilation par l’objet – Lorsque l’assimilation par la forme de la société étrangère ne permet pas de trancher la question, la jurisprudence a recours au critère alternatif de l’assimilation par l’objet par application du paragraphe 1 de l’article 206 du CGI in fine (CAA Marseille, 7 avril 2009, 4ème Ch., Sté Arevir Etablissement, n°06-2890).
Dans l’arrêt « Saint-Charles », le Conseil d’Etat a jugé qu’une société monégasque inscrite au répertoire des sociétés civiles, et dont l’unique objet est la mise à disposition au profit de son principal actionnaire de l’immeuble qu’il détient, n’a pas un objet commercial1.
Qu’en est-il alors des LLC sachant que, du fait de leur régime très souple, elles ne sont pas tenues de choisir entre un objet commercial et civil2 ?
2. L’exercice d’une activité lucrative
Les Cours administratives d’appel de Marseille (CAA Marseille, 2 février 2017, Sté Emerald Shores LLC, n°16MA02619) et de Paris (CAA Paris, 17 Novembre 2015 Chambre 10, n°14PA03269) et le Conseil d’Etat, dans la décision que nous commentons, confirment cet objet statutaire hybride des LLC et semblent se concentrer sur le critère de l’exercice d’une activité lucrative. Toutes ces décisions concernent la mise à disposition gratuite d’un immeuble au profit des associés ou même de la famille des associés.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille précité a jugé qu’une LLC, dont la seule activité était de mettre gratuitement à la disposition de son associé un immeuble dont elle avait la propriété, exerçait une activité lucrative soumise à l’IS en France. Il faut noter que le Rapporteur public, Monsieur André Maury, estimait au contraire que « l’objet de la société de mettre gratuitement à disposition de ses associés n’apparaît pas comme étant par lui-même lucratif dans ce cas particulier […] tout cela va plutôt dans le sens de l’exercice d’une activité non-lucrative ».
A l’inverse, le Conseil d’Etat a jugé que la mise à disposition par la LLC d’un immeuble aux membres de la famille de son associé majoritaire ne présentait pas, en l’espèce, un caractère lucratif. Il précise que la preuve [du caractère non lucratif de la mise à disposition de l’immeuble] est simplement regardée dans les circonstances de l’espèce comme ressortant des pièces du dossier. Il annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris pour qualification inexacte des faits et lui renvoie l’affaire pour la juger au fond. La décision, plutôt surprenante, a été rendue en section jugeant seule et n’a pas été publiée au recueil Lebon. Il nous semble donc qu’il s’agit d’une décision d’espèce qui ne devrait pas être interprétée au-delà des faits qui y sont traités.
L’arrêt du Conseil d’Etat ne fait donc pas avancer la jurisprudence sur les critères pertinents à prendre en compte pour qualifier les LLC en droit fiscal français. Mais il présente l’intérêt de préciser que la nature lucrative d’une activité implique un examen circonstancié des faits.
L’appréhension en droit fiscal français des LLC n’est donc toujours pas stabilisée. La combinaison de la jurisprudence existante avec le principe de transparence fiscale d’une LLC en fiscalité américaine, que l’on retrouve également dans la convention fiscale franco-américaine pour certains revenus de source française, s’avère délicate. En l’absence de position claire de l’administration fiscale et du Conseil d’Etat, il n’est pas à exclure que cela aboutisse à des situations de double imposition.
Notes
1 En ce qui concerne les sociétés anonymes monégasques, elles ont cette particularité, contrairement à la France, de pouvoir exercer deux types d’activités : civiles ou commerciales.
2 Voir conclusions de M. André Maury, Rapporteur Public auprès la Cour administrative d’appel de Marseille dans l’arrêt du 2 février 2017, Sté Emerald Shores LLC, n°16MA02619.
Auteurs
Adea Meidani, avocat, fiscalité internationale