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Le bloc de compétence administrative en matière de PSE à l’épreuve des faits

Le bloc de compétence administrative en matière de PSE à l’épreuve des faits

Le transfert du contrôle des opérations de licenciement économique de plus de dix salariés dans les entreprises de plus de 50 salariés à l’administration par la loi relative à la sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, s’est traduit par un transfert de compétence de ce contentieux du juge judiciaire au juge administratif.

La compétence du juge administratif a fait l’objet d’une définition à la fois très précise et très élaborée par l’article L.1235-7-1 du Code du travail aux termes duquel : « l’accord collectif mentionné à l’article L 1233-24-4, le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, les décisions prises par l’administration au titre de l’article L 1233-57-5 et la régularité de la procédure du licenciement collectif ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d’homologation mentionnée à l’article L 1233-57-4. Ces litiges relèvent de la compétence, en premier ressort, du Tribunal administratif, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux ».

Cette disposition a un double effet :

  • d’une part, le contentieux ne peut se nouer que sur la décision d’homologation du document unilatéral de l’employeur ou de validation de l’accord collectif ;
  • d’autre part, le contentieux de cette décision et de tous les éléments qu’elle contrôle (procédure, contenu du Plan de sauvegarde de l’emploi – PSE -, injonctions de l’administration) relève de la compétence de la juridiction administrative.

Un certain nombre d’affaires récentes montre que ce bloc de compétences a subi diverses tentatives de remise en cause, auxquelles il a globalement résisté, mais qui ont fait apparaître des moyens de défense nouveaux.

Une triple tentative de remise en cause

  • En ce qui concerne, en premier lieu, les expertises, la cour d’appel de Reims s’était reconnue compétente pour statuer sur la demande formulée par l’expert-comptable du Comité d’entreprise (CE) tendant à obtenir les pièces complémentaires dans le cadre d’une expertise sur un projet de restructuration.

Pour affirmer sa compétence, la cour d’appel de Reims s’était fondée sur le fait que l’expert -comptable n’est visé ni par l’article L.1233-57-5 du Code du travail pour saisir l’autorité administrative d’une demande d’injonction, ni par l’article L.1235-7-1 du même Code pour exercer un recours auprès des juridictions administratives.

La Cour de Cassation a censuré ce jugement et déclaré le juge judiciaire incompétent en estimant « qu’il résulte des articles L 1233-57-5 et L 1235-7-1 du Code du travail que toute demande tendant, avant la transmission de la demande d’homologation, à ce qu’il soit enjoint à l’employeur de fournir les éléments d’information relatifs à la procédure en cours ou de se conformer à une règle de procédure prévue par les textes législatifs est adressée à l’autorité administrative, et que les décisions prises à ce titre, ainsi que la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision d’homologation relevant de la compétence, en premier ressort, du Tribunal administratif, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux » (Cass. Soc., 28 mars 2018, n°15-21372). On voit que, dans ce considérant de principe, la Cour de cassation a reconnu le bloc de compétence administrative dans sa double dimension.

  • Une série d’affaires a tenté, en deuxième lieu, d’établir un lien juridique entre la consultation annuelle sur les orientations stratégiques et une opération de restructuration faisant l’objet d’un PSE : selon cette thèse, le PSE serait « une mesure d’application » des orientations stratégiques.

Cette thèse ne repose sur aucun fondement juridique : aucun texte n’établit un lien entre ces deux procédures, dont l’une est une consultation annuelle récurrente et l’autre une opération ponctuelle spécifique que l’employeur peut déclencher à tout moment.

Trois arrêts récents ont condamné cette thèse :

  • La cour d’appel de Paris a jugé que « la consultation sur les orientations stratégiques est indépendante de toute consultation portant, comme en l’espèce, sur un projet ponctuel de réorganisation d’un service support de l’entreprise » (CA de Paris, 3 mai 2018, n°17/09316). Cette solution est valable pour les trois consultations annuelles obligatoires, la Cour d’appel ayant précisé que « l’employeur n’est pas tenu d’attendre l’échéance d’une des trois consultations annuelles obligatoires, ni d’anticiper la consultation par rapport à sa périodicité habituelle ou conventionnelle ou de la réitérer si celle-ci a eu lieu ».
  • Le TGI de Créteil, statuant en référé, a jugé « qu’aucune règle de droit positif n’oblige l’employeur à consulter le comité d’entreprise au titre des orientations stratégiques avant d’engager ou d’achever la consultation sur un projet ponctuel » (TGI de Créteil, 5 juillet 2018 n°18/00733) ;
  • La cour d’appel de Versailles a censuré une ordonnance de référé qui avait suspendu une procédure de PSE tant que la procédure de consultation sur les orientations stratégiques ne serait pas achevée, ce qui impliquait de communiquer à l’expert un certain nombre d’informations. Elle a jugé que « sous le couvert d’une violation de la procédure d’information – consultation sur les orientations stratégiques, dont le contrôle relève effectivement de la compétence du juge judiciaire, le comité central d’entreprise forme une demande qui ne tend en réalité qu’à remettre en cause l’accord exécutoire validé par l’autorité administrative portant plan de sauvegarde de l’emploi et à en suspendre les effets » (CA de Versailles, 12 juillet 2018, n°18/04069). Elle a ainsi écarté à la fois tout lien entre les deux procédures et toute extension de la compétence judiciaire sur ce fondement.

Une troisième tentative de remise en cause, beaucoup plus délicate, se situe, enfin, sur le terrain des conséquences pour la santé et la sécurité des salariés d’une opération de restructuration ayant fait l’objet d’un PSE. Saisie d’une demande d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) tendant à la suspension de la mise en œuvre d’une opération de restructuration informatique du fait de ses conséquences sur la santé des salariés, la cour d’appel de Versailles s’est reconnue compétente pour statuer sur cette demande par un raisonnement en deux temps :

  • dans un premier temps, après avoir cité l’article L.1235-7-1 du Code du travail, elle en a déduit « qu’échappent désormais à la juridiction judiciaire les litiges limitativement énumérés par ce texte relatifs à l’accord collectif ou au document unilatéral établi par l’employeur, au contenu du plan, aux décisions de l’administration statuant sur les demandes d’injonction ou à la régularité de la procédure de licenciement collectif » ;
  • dans un deuxième temps, elle a estimé que « la compétence résiduelle éventuelle du juge judiciaire doit être examinée au regard des pouvoirs dont dispose l’autorité administrative et de l’objet de la demande » : après avoir analysé l’ensemble des éléments que la DIRECCTE doit contrôler en présence d’un accord collectif, en application de l’article L.1233-57-2, et après avoir estimé que la possibilité de compléter ou modifier le PSE ne saurait élargir le champ d’intervention de l’administration, la Cour d’appel en a déduit « qu’il n’appartient dès lors pas à l’autorité administrative de contrôler, au titre des dispositions précitées, les conséquences du plan de sauvegarde de l’emploi sur la santé et la sécurité des salariés » et « que le juge judiciaire reste en principe compétent pour sanctionner la violation par l’employeur de son obligation de sécurité et de prévention ». Elle a, en l’espèce, suspendu le déploiement de l’opération en attendant les résultats d’une évaluation.

Le fondement de cette solution est qu’elle se situe en aval du PSE, au niveau de sa mise en œuvre et de ses conséquences éventuelles pour la santé des salariés. Elle ne remet pas en cause la décision d’approbation de l’accord ou d’homologation du document unilatéral de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), mais son exécution.

La cour administrative d’appel de Nancy a jugé, dans le même sens, qu’ « alors même que la procédure d’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi prévoit la consultation du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, il n’appartient pas à l’autorité administrative de contrôler les conséquences du plan de sauvegarde de l’emploi sur la santé et la sécurité au travail des salariés » (CAA de Nancy, 16 octobre 2014, n°14NC01417)

Reste à savoir si le Conseil d’Etat, qui ne s’est pas prononcé à ce jour sur cette question, se ralliera ou non à cette analyse.

De nouveaux moyens de défense

Dans l’une des affaires évoquées ci-dessus, le juge des référés s’était reconnu compétent pour suspendre une procédure de PSE au motif que la consultation sur les orientations stratégiques était irrégulière.

Cette ordonnance était entachée d’une incompétence manifeste, seules les juridictions administratives pouvant, le cas échéant, suspendre une procédure de PSE. Mais elle avait pour effet de paralyser la mise en œuvre d’un PSE, ce qui créait une situation très dommageable pour l’entreprise comme pour ses salariés en attendant l’issue de l’appel.

Compte tenu de la gravité de cette situation et de l’atteinte portée à la sécurité des procédures de licenciement, la délégation à l’emploi a décidé d’intervenir en ayant recours à une procédure très ancienne et peu utilisée : la procédure du déclinatoire de compétence prévue par l’article 13 de la loi du 24 mai 1972 relative au Tribunal des conflits et par l’article 19 du décret n°2015-233 du 27 février 2015. Cette procédure permet au Préfet, quand un juge judiciaire empiète sur la compétence de la juridiction administrative, de lui demander de décliner sa compétence. Si le juge refuse, le Préfet « élève le conflit » devant le Tribunal des conflits qui tranche : c’est ce qu’on appelle un conflit positif de compétence.

La juridiction saisie devant, en vertu de l’article 20 du décret de 2015, « statuer sans délai », la cour d’appel de Versailles a rendu son délibéré le 12 juillet 2018 pour un appel introduit le 11 juin : l’affaire a donc été jugée en un mois. Dans son arrêt du 12 juillet 2018 (n°18/04069) la Cour d’appel a déclaré le déclinatoire de compétence recevable et fondé et la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de la demande de suspension du PSE et de ses mesures d’application.

C’est la première fois qu’est appliquée dans ce domaine la procédure de déclinatoire de compétence. Elle montre l’utilité, pour les entreprises comme pour leurs avocats, de cette procédure en cas de violation manifeste de sa compétence par le juge judiciaire :

  • c’est une procédure solennelle qui permet à l’Administration d’appeler l’attention du juge en cas d’incompétence manifeste ;
  • c’est une procédure simple qui implique seulement la rédaction d’un déclinatoire de compétence;
  • c’est une procédure très efficace puisqu’elle permet d’obtenir dans un délai très rapide l’infirmation de l’ordonnance ou du jugement entaché d’incompétence.

Si son utilisation ne peut que rester exceptionnelle, elle constitue, dans les cas d’incompétence manifeste ayant des conséquences graves, un moyen d’action privilégié.

 

Auteur

Olivier Dutheillet de Lamothe, avocat associé, droit social

 

Le bloc de compétence administrative en matière de PSE à l’épreuve des faits – Article paru dans Les Echos Exécutives le 30 juillet 2017
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