Autorisation environnementale: les pouvoirs de régularisation du juge précisés par le Conseil d’Etat
Saisi d’une demande d’avis par la cour administrative de Douai dans le cadre d’un recours contre une autorisation délivrée au titre de la législation sur les installations classées (ICPE), le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur la mise en œuvre des nouvelles dispositions issues de l’ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale et, plus précisément, sur l’article L.181-18 du Code de l’environnement .
En l’espèce, le préfet de la Somme avait autorisé en 2013 une société civile d’exploitation agricole (SCEA) à exploiter un élevage bovin de 500 vaches laitières auquel étaient associés un méthaniseur et une unité de cogénération (exploitation de la ferme dite « ferme des 1000 vaches »).
Saisie d’une requête tendant à l’annulation du jugement par lequel le tribunal administratif d’Amiens avait rejeté la demande d’annulation de cet arrêté préfectoral, la cour administrative de Douai a transmis quatre questions au Conseil d’Etat, toutes relatives à l’exercice par le juge administratif, saisi d’un recours contre une autorisation environnementale, de ses pouvoirs de régularisation prévus par l’article L.181-18 du Code de l’environnement.
Aux termes de cet article, le juge administratif peut :
- soit régulariser l’autorisation hors prétoire en annulant partiellement une phase de l’instruction ou une partie de l’autorisation environnementale (L.181-18 I 1°) ;
- soit régulariser l’autorisation à l’intérieur du prétoire en sursoyant à statuer afin de permettre à l’autorité administrative compétente de prendre une nouvelle autorisation pour régulariser l’autorisation initiale viciée (L.181-18 I 2°).
Le juge administratif peut également, dans l’attente de la régularisation de l’autorisation lorsqu’il procède à une annulation partielle ou qu’il sursoit à statuer, suspendre l’application des parties non annulées ou non viciées de l’autorisation (L.181-18 II).
Les précisions apportées par la Haute juridiction sont les suivantes :
Sur le sursis à statuer en vue d’une régularisation de l’autorisation
Aux termes de l’article L.181-18 I 2°, le juge administratif peut surseoir à statuer afin de permettre à l’autorité administrative compétente de régulariser l’autorisation attaquée en prenant une nouvelle autorisation qualifiée de « modificative » par les textes. Après avoir invité les parties à présenter leurs observations, le juge statue ensuite en prenant en compte cette autorisation modificative.
La Cour d’appel s’interrogeait sur la possibilité, pour le juge, de surseoir à statuer en vue d’une régularisation lorsque le vice n’affecte qu’une phase de l’instruction (les trois phases d’instruction d’une demande d’autorisation environnementale sont définies à l’article L. 181-9 du Code de l’environnement : phase d’examen ; phase d’enquête publique ; phase de décision).
Le Conseil d’Etat a répondu par l’affirmative en considérant que rien ne faisait « obstacle à un sursis à statuer dans le cas où le vice n’affecte qu’une phase de l’instruction, dès lors que ce vice est régularisable ».
Sur l’annulation partielle de l’autorisation environnementale
L’article L.181-18 I 1° permet au juge administratif de n’annuler que la phase de l’instruction viciée ou que la partie de l’autorisation environnementale viciée et de demander à l’autorité compétente de reprendre l’instruction à la phase ou sur la partie viciée.
Il était demandé au Conseil d’Etat si l’annulation d’une phase de l’instruction impliquait nécessairement que soit prise une nouvelle décision.
La Haute juridiction a d’abord rappelé, d’une part, que lorsqu’il constate une illégalité qui n’affecte qu’une partie divisible de l’autorisation, le juge ne doit annuler que cette partie divisible et donc limiter son annulation « soit à une ou plusieurs des anciennes autorisations désormais regroupées dans l’autorisation environnementale, soit à certains éléments de ces autorisations à la condition qu’ils en soient divisibles ». D’autre part, le Conseil d’Etat a précisé que, lorsqu’il s’agit d’un vice de procédure, le juge doit alors expressément indiquer la phase d’instruction viciée afin de permettre à l’Administration de reprendre la procédure administrative en s’appuyant sur des éléments non viciés.
Ensuite, après avoir indiqué la possibilité pour le juge de solliciter la reprise de l’instruction au stade où elle a été viciée, le Conseil d’Etat a précisé que la nouvelle instruction impliquera alors nécessairement que soit prise une nouvelle décision portant, en cas d’annulation totale, sur l’ensemble de la demande d’autorisation et, en cas d’annulation d’un élément divisible, sur ce seul élément.
Sur la suspension de l’exécution des parties légales de l’autorisation
Comme rappelé ci-avant, le II de l’article L.181-18 permet au juge de suspendre l’exécution des parties de l’autorisation qui n’ont pas été viciées. Ce texte ne visant que « les parties de l’autorisation », la Cour administrative d’appel a demandé au Conseil d’Etat si ce pouvoir de suspension était également applicable en cas d’annulation d’une « phase d’instruction » de l’autorisation. Dans la négative, la Cour s’interrogeait sur la possibilité d’appliquer la jurisprudence « ARF » du Conseil d’Etat selon laquelle le juge peut « autoriser la poursuite temporaire de l’installation, aux conditions qu’il précise le cas échant, pendant un délai octroyé pour la régularisation » (CE, 15 mai 2013, n°353010).
Tout d’abord, le Conseil d’Etat tire les conséquences suivantes de l’article L.181-18 II :
- le juge administratif doit indiquer si les parties non viciées d’une autorisation en cours de régularisation sont ou non suspendues ;
- le juge administratif peut suspendre l’exécution soit de la partie non annulée de l’autorisation dans sa décision d’annulation, soit des parties viciées et non viciées dans sa décision de sursis à statuer en cours d’instruction.
En revanche, il souligne que lorsque le juge annule une autorisation dans son ensemble, et ce, même en ne se fondant que sur un vice n’affectant qu’une phase de l’instruction mais entachant l’ensemble de l’autorisation, son pouvoir de suspension n’a pas lieu de s’appliquer car l’autorisation attaquée n’existe plus.
Dans ces conditions, lorsque le juge annule totalement ou partiellement l’autorisation environnementale, le Conseil d’Etat lui reconnaît la possibilité d’autoriser à titre provisoire la poursuite de l’activité jusqu’à la régularisation de l’autorisation. Cette autorisation temporaire peut être assortie de prescriptions complémentaires et d’un délai.
Sur les modalités de régularisation de l’autorisation attaquée
En l’espèce, le vice en question était l’absence de preuve des capacités techniques et financières de l’exploitant.
Le droit en vigueur à l’époque des faits imposait que le dossier comporte la preuve des capacités de l’exploitant, ces éléments devant ensuite figurer dans le dossier soumis à enquête publique. Leur omission constituait un défaut d’information du public susceptible d’entacher la légalité de l’autorisation environnementale.
Or, depuis le décret n°2017-81 du 26 janvier 2017 entré en vigueur au cours de ce contentieux, l’exploitant a jusqu’à la mise en service de l’installation pour adresser au préfet les éléments justifiant la constitution effective de ses capacités techniques et financières.
La Cour administrative d’appel s’interrogeait donc sur la possibilité de se prévaloir de cette évolution réglementaire favorable devant le juge administratif.
Le Conseil d’Etat a d’abord pris le soin de préciser que, pour régulariser le ou les vices entachant la légalité de l’autorisation, l’autorité administrative compétente devait prendre en compte :
- le droit applicable à la date de l’autorisation environnementale attaquée, en cas de régularisation en cours d’instance d’un vice de forme ou de procédure ;
- le droit applicable à la date de la décision modificative, en cas de régularisation en cours d’instance d’un vice de fond ;
- le droit applicable à la date de la décision modificative, lorsque le juge a annulé la décision, que ce soit pour un vice de forme ou de procédure ou un motif de fond.
Il a en conséquence considéré que même si la législation a évolué dans un sens favorable, cela ne dispense pas pour autant l’exploitant de régulariser le vice de procédure et donc, en l’espèce, de s’assurer de la bonne information du public.
Auteur
Anne Plisson, avocat, droit de l’urbanisme et de l’environnement