La nature juridique des accords avec les prêteurs
Le Tribunal des conflits apporte des précisions sur le juge compétent en cas de litige. L’une des particularités des partenariats public-privé (PPP) – sous forme, aujourd’hui, de marché de partenariat (ex-contrat de partenariat) ou de concession – a trait à leur financement dit « de projet » souvent mis en place. Le recours des prêteurs (établissements financiers ou investisseurs) contre le titulaire du contrat de PPP ou ses actionnaires est, dans ce cadre, limité. Leur garantie réside donc dans la captation et la sécurisation des flux financiers générés par le projet, notamment ceux en provenance de la personne publique cocontractante.
C’est la raison pour laquelle les actes relatifs à la cession aux prêteurs des créances du titulaire sur la personne publique, ou les accords conclus pour faire face à une éventuelle remise en cause du contrat de PPP (accords indemnitaires, sous forme de clause ou de convention particulière), revêtent une importance particulière. Pourtant, la nature juridique de ces actes ou accords reste, à ce jour, incertaine.
Convention tripartite. Le Tribunal des conflits vient de se prononcer sur l’ordre de juridiction compétent pour un litige relatif à l’application d’une convention tripartite – financeur, titulaire, personne publique – couplée à un contrat de financement d’un contrat de partenariat (CP), en l’occurrence un crédit-bail (T. confl., 14 mai 2018, n°C4119).
Le Conseil d’Etat a déjà jugé qu’un accord autonome régissant les conséquences indemnitaires de l’annulation d’un CP constitue l’accessoire d’un tel contrat, et relève donc du juge administratif (CE, 11 mai 2016, n°383768). En revanche, dans l’hypothèse d’une convention tripartite couplée à un contrat de crédit-bail conclu pour le financement d’une délégation de service public, la Cour de cassation avait estimé que de tels contrats, ayant un « objet purement financier », devaient être regardés comme étant de droit privé (Cass. 1re civ. , 28 mai 2008, n°07-17648).
Dans sa décision du 14 mai, le Tribunal a noté que la convention tripartite prévoyait, en cas de résiliation du CP, l’acquisition par la commune des ouvrages financés par le crédit-bail en contrepartie du versement au crédit-bailleur de l’indemnité irrévocable prévue par le contrat dans cette situation. Le Tribunal a estimé que la demande de paiement de l’indemnité fondée sur cette stipulation relevait de la compétence de la juridiction administrative. Ainsi, il n’a pas adopté de position de principe en qualifiant l’ensemble de la convention tripartite d’accessoire au CP, mais semble s’être fondé sur le lien existant en l’espèce entre la stipulation de la convention tripartite et ce contrat. On peut se demander si la solution retenue serait différente pour des conventions tripartites dont la rédaction ne ferait pas référence au contrat de PPP ou dans une hypothèse d’annulation ou de résolution (et donc de disparition rétroactive) du contrat.
Cessions de créances. La décision envisage aussi la question des cessions de créances. La créance détenue par le titulaire du contrat sur la commune avait en effet été cédée au crédit-bailleur par le mécanisme de la cession Dailly acceptée (art. L. 313-29 du Code monétaire et financier ainsi que, dans le cas particulier des CP ou marchés de partenariat, art. L. 313-29-1 et L. 313-29-2). Toutefois, l’acte d’acceptation de la cession par la personne publique n’était pas encore entré en vigueur, faute de bonne réalisation des travaux.
Le Tribunal des conflits a d’abord confirmé que la cession de créances n’avait pas eu pour effet de changer la nature de la créance. Dès lors que celle-ci est née en exécution d’un CP, donc d’un contrat administratif, les litiges relatifs à son paiement relèvent du juge administratif. Mais cette solution est-elle également valable dans le cas d’une cession Dailly dont l’acceptation est entrée en vigueur ? La cession fait alors naître un nouveau rapport de droit entre l’établissement financier et la personne publique, créant une obligation distincte, car autonome, de sa dette initiale (CE, 25 juin 2003, n°240679).
Pour la Cour de cassation, les délégations de paiement sont des actes de droit privé.
Là encore, on pouvait plutôt penser jusqu’alors à une compétence judiciaire. En effet, pour les délégations de paiement, mécanisme dont les effets novatoires sont proches de ceux des actes d’acceptation, la Cour de cassation considère que, même conclus dans le cadre de l’exécution de marchés publics, ils constituent des actes de droit privé, car ils ont un « objet purement financier » (Cass. 1re civ. , 18 février 2015, n°14-10030). Mais, comme on vient de le voir à propos des conventions tripartites, le Tribunal des conflits, s’il est saisi, ne sera pas nécessairement du même avis…
Auteur
François Tenailleau, avocat associé, droit public des affaires