Conciliation de la résiliation unilatérale d’une convention et de la rupture contractuelle prévue par celle-ci
En l’espèce, un maître d’ouvrage avait confié la maîtrise d’œuvre d’une opération d’extension d’immeuble à un groupement conjoint de maîtres d’œuvre. Insatisfait des prestations réalisées par un des membres de ce groupement, le maître d’ouvrage avait refusé de lui verser ses honoraires ; celui-ci l’avait alors assigné.
Le maître d’ouvrage arguait de la résiliation unilatérale des engagements contractuels avec le membre du groupement en raison de la gravité des manquements constatés.
La Cour d’appel, qui avait condamné le maître d’ouvrage, est censurée par la Cour de cassation. S’il lui est reproché de ne pas avoir recherché si les éléments apportés par le maître d’ouvrage suffisaient à rapporter la preuve des manquements du membre du groupement, c’est surtout le deuxième aspect de l’arrêt qui retiendra notre attention.
En effet, la troisième chambre civile décide qu’en présence d’une clause contractuelle définissant les modalités de rupture de la relation contractuelle, le maître d’ouvrage pouvait faire fi de cette dernière et résilier unilatéralement et sans formalités le contrat en raison de la gravité des manquements du membre du groupement.
De la sorte, elle aligne sa jurisprudence sur celle de la chambre commerciale en considérant qu’une clause régissant la rupture de la relation contractuelle n’est pas exclusive d’une résiliation unilatérale aux risques et périls de la partie qui en est à l’initiative.
Si cette solution peut heurter en ce qu’on pourrait considérer qu’elle va à l’encontre du principe de force obligatoire du contrat, elle nous paraît cependant bienvenue dans le cadre de relations d’affaires où les contraintes économiques nécessitent d’agir rapidement.
La résiliation unilatérale du contrat devra toutefois être utilisée avec la plus grande précaution. Ainsi, si elle peut s’avérer utile afin de permettre une avancée plus rapide du projet de construction ou pour s’émanciper d’une clause de résiliation contractuelle dont le champ n’aurait pas été défini suffisamment largement, il faut garder en mémoire que le maître d’ouvrage agit à ses risques et périls et que, la gravité du manquement du cocontractant étant souverainement appréciée par les tribunaux, le risque de condamnation du maître d’ouvrage n’est pas à exclure.
Soulignons également que cet arrêt a été rendu sous l’égide des textes antérieurs à la réforme du droit des contrats. Depuis la réforme, le Code civil prévoit expressément la faculté de résolution unilatérale du contrat, aux côtés de la clause résolutoire et de la résolution judiciaire. L’article 1226 du Code civil vient toutefois préciser que la résolution unilatérale nécessite une mise en demeure préalable de l’autre partie. Dans le cadre de la réforme, les articles du Code civil afférents à la résolution n’ont toutefois pas été présentés comme des dispositions à caractère impératif. On pourrait donc – sous réserve d’une éventuelle jurisprudence contraire à venir – envisager d’aménager contractuellement les différents types de résolution et leurs modalités de mise en œuvre.
Profitons enfin de cet arrêt pour rappeler les grandes lignes des dispositions de la norme AFNOR NF P03-001 en matière de groupements conjoints :
- chaque entrepreneur n’est engagé que pour les travaux dont il est en charge (article 3.28) ;
- le mandataire du groupement « peut être solidaire de chacun des autres entrepreneurs dans les obligations contractuelles de celui-ci à l’égard du maître de l’ouvrage si le marché le prévoit » (article 3.34) ;
- en cas de résiliation du marché du mandataire du groupement, les autres membres du groupement doivent : « proposer un remplaçant à l’entrepreneur dont le marché a été résilié pour poursuivre ses travaux aux mêmes conditions ou offrir de réaliser eux-mêmes les travaux aux mêmes conditions ; proposer un nouveau mandataire » (article 22.4.2.1) ;
- en cas de résiliation d’un entrepreneur autre que le mandataire, « le mandataire doit prendre les mesures nécessaires pour que les travaux correspondants soient exécutés aux conditions du marché de l’entrepreneur défaillant ». (article 22.4.2.2).
Cass. 3e civ., 8 février 2018, n° 16-24.641
Auteur
Christelle Labadie, Professional support lawyer, droit de la construction et droit de l’urbanisme