De la stricte appréciation des temps de travail et d’astreinte
3 juillet 2018
Le Code du travail et certaines conventions collectives fixent le régime de périodes non-travaillées mais assorties de contreparties en temps ou en repos ; tel est le cas entre autres des temps de trajet ou de pause ainsi que des astreintes.
La Cour de cassation a montré par plusieurs arrêts récents son attachement à une interprétation restrictive des critères de définition de ces périodes, afin de limiter en particulier leur requalification en temps de travail effectif.
Les trajets du domicile au lieu de mission ne constituent pas du temps de travail effectif
Le temps de travail est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles1.
Le trajet entre le domicile et le lieu de travail ne constitue pas du temps de travail – à la différence des trajets entre deux lieux de travail.
Cependant, le temps de trajet destiné à se rendre du domicile du salarié au lieu d’une mission qui excède le trajet vers le lieu habituel de travail, sans être assimilé à du temps de travail, doit faire l’objet d’une contrepartie financière ou sous forme de repos.2.
Ces principes s’appliquent à l’ensemble des salariés mais présentent un enjeu particulier à l’égard des salariés itinérants.
Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 10 septembre 20153 -rendu sur le fondement d’une directive européenne n°2003/88 relative à l’aménagement du temps de travail-avait jeté le trouble sur le bien-fondé de la règle française.
La CJUE avait en effet considéré, en présence de travailleurs n’ayant pas de lieu fixe de travail, que « constitue du temps de travail (…) le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur ».
Tirant argument de cette jurisprudence, un salarié itinérant sollicitait la rémunération du temps consacré à ses trajets qui devait selon lui être assimilé à du temps de travail.
Par un arrêt du 30 mai 20184, la Cour de cassation rejette ses demandes : elle s’attache à la lettre du texte et maintient que le temps de déplacement entre le domicile et le premier ou le dernier lieu de travail ne constitue pas un temps de travail. Elle estime que la directive invoquée par la CJUE régit le temps de travail mais non le mode de rémunération des salariés, en cause en l’espèce.
La Cour de cassation préserve ainsi le régime des trajets depuis ou vers le domicile des salariés, exclus de façon claire du décompte du temps de travail y compris à l’égard des salariés n’ayant pas de lieu fixe de travail.
L’indemnisation du temps de pause n’assimile pas celui-ci à du temps de travail
Les pauses ne constituent pas du temps de travail dès lors que les salariés ne sont pas à la disposition de l’employeur et peuvent vaquer à des occupations personnelles pendant leur cours5.
La Cour de cassation promeut une application stricte de cette définition en considérant dans un arrêt du 17 janvier 20186 que la rémunération versée au titre de pauses -prévue par certaines conventions collectives- n’érige pas celles-ci en temps de travail.
Un salarié tentait d’obtenir la requalification de pauses en temps de travail en faisant valoir que celles-ci étaient rémunérées et étaient en outre assorties d’une « prime d’arrêt » visant à compenser leur interruption possible pour effectuer des interventions ponctuelles. Ces éléments montraient selon le salarié l’absence de liberté totale pendant les pauses.
La Cour de cassation écarte les moyens avancés en s’appuyant sur les seuls critères légaux : le salarié était dans les faits hors de l’autorité de l’employeur et pouvait quitter l’entreprise pendant ses pauses : celles-ci n’étaient donc pas assimilables à du temps de travail. Leur rémunération -quelle qu’en soit la forme- est indifférente.
Là encore, la Cour de cassation s’oppose à l’extension du champ du temps de travail effectif en refusant de prendre en compte des éléments factuels trop éloignés des conditions légales.
Contacter un salarié hors du temps de travail ne caractérise pas la réalisation d’astreintes
L’astreinte correspond au temps pendant lequel le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail7.
Le temps d’astreinte fait l’objet de contreparties financières ou en repos mais ne constitue pas du temps de travail – contrairement aux interventions pendant ces astreintes.
Un salarié qui était parfois appelé par son employeur hors de ses horaires habituels de travail et pouvait alors être amené à effectuer des déplacements sur son lieu de travail, estimait qu’il était de fait en situation d’astreinte et sollicitait une indemnisation à ce titre.
A tort selon un arrêt de la Cour de cassation du 17 mai 20188 : une astreinte implique l’obligation pour le salarié de rester à son domicile ou à proximité en vue de répondre à un appel de son employeur. Au cas d’espèce, aucun accord ou décision de l’employeur n’imposait la disponibilité du salarié.
Ainsi, le fait pour un salarié de répondre à des appels hors de son temps de travail alors qu’il n’a pas l’obligation de rester disponible ne caractérise pas sa participation à des astreintes, si un régime formel d’astreintes n’a pas été institué.
Ces trois arrêts illustrent la stricte application des conditions légales de qualification des temps de travail et d’astreinte ; ils apportent une sécurité juridique bienvenue au regard de la complexité persistante du droit de la durée du travail.
Notes
1 Article L.3121-1 du Code du travail
2 Article L.3121-4 du Code du travail
3 CJUE 10 septembre 2015 n°C-266/14
4 Cass. Soc. 30 mai 2018 n°16-20.634
5 Article L.3121-2 du Code du travail
6 Cass. Soc. 17 janvier 2018 n°16-22.437
7 Article L.3121-9 du Code du travail
8 Cass. Soc. 17 mai 2018 n°16-21.182
Auteur
Xavier Cambier, avocat, droit du travail
De la stricte appréciation des temps de travail et d’astreinte – Article paru dans Les Echos Exécutives le 2 juillet 2018
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