Open data des données essentielles de la commande publique: une opportunité pour les entreprises?
A compter du 1er octobre 20181, les personnes soumises au droit de la commande publique devront mettre à disposition les « données essentielles » de leurs marchés publics2 et de leurs concessions, en libre accès et dans un format réutilisable. S’il faut encore que des opérateurs se saisissent de cette opportunité pour développer de nouveaux services, les perspectives qui s’ouvrent sont prometteuses.
Mettre à disposition les données essentielles de la commande publique consiste, pour les pouvoirs adjudicateurs, à les partager sur leur profil d’acheteur – une plateforme Internet dédiée à la commande publique, dont l’usage deviendra obligatoire à compter du 1er octobre 2018. Il ne s’agit plus, comme antérieurement, d’une simple obligation d’information du public, le plus souvent satisfaite par la mise en ligne, une fois par an, d’un fichier excel récapitulant les contrats de commande publique conclus l’année précédente.
Périmètre de l’obligation – Désormais les données doivent être publiées dans un délai courant à compter de la conclusion du contrat, d’un de ses avenants ou de chaque date anniversaire s’agissant des données concernant l’exécution des contrats. Elles doivent dans un premier temps être mises à disposition sous un format XML ou JSON, qui sont les formats de fichiers adaptés pour la réutilisation en masse des données sans retraitement manuel. Ces formats n’étant pas lisibles avec une installation bureautique classique, les personnes publiques devront également proposer un moteur de recherche permettant de les consulter. Elles devront donc disposer d’un outil retraitant les données qu’elles mettent à disposition.
Un arrêté du 14 avril 2017 précise les informations qui doivent être mises à disposition et les normes de présentation, afin d’accélérer leur standardisation et leur interopérabilité, et de faciliter leur exploitation commerciale. On peut notamment citer : volume prévisionnel de commande, nom de l’attributaire, critères d’attribution, et pour les concessions, montants prévisionnels des ressources tierces (redevances et subventions) attendues dans le cadre du contrat concerné. L’offre financière ne fait pas partie des données qui doivent être partagées, mais il est vrai que dans un certain nombre de cas elle est couverte par le secret industriel et commercial (cas de dispense de publication déjà prévu par les textes).
Les personnes publiques qui le souhaitent peuvent bien entendu publier des données non prévues par les textes. Le ministère de l’Economie travaille d’ailleurs sur des référentiels de données dits « étendus », non obligatoires, qui constitueraient un référentiel de bonnes pratiques pour les personnes publiques. Et qui pourraient à terme venir étendre la liste des informations à publier obligatoirement. Parmi celles-ci, on peut envisager : les noms des concurrents évincés, l’intervention de sous-traitants, l’offre de prix de l’attributaire (cf. supra), l’accès aux documents constituant le dossier de consultation des entreprises, ou encore les clauses sociales ou environnementales potentiellement prévues dans le marché.
Centralisation des données – Le processus de centralisation des données (ou « moissonnage ») par l’Etat est d’ores et déjà prévu. La Structure nationale partenariale, qui regroupe des organisations d’élus locaux, des administrations d’Etat et des juridictions autour des objectifs de dématérialisation, a acté début 2017 le principe d’un flux unique pour chaque marché : l’acheteur public traitera ainsi une seule fois les données, qui satisferont aux règles de mise à disposition des données essentielles et de recensement par l’Observatoire économique de la commande publique (OECP). Les données seront regroupées par l’Etat, afin de faciliter leur réutilisation.
Au 1er octobre 2018, tout opérateur économique qui le souhaite pourra télécharger et réutiliser ces données, moyennant la signature d’un contrat de licence gratuite de réutilisation. Des modèles types de licence ont été autorisés par le décret n°2017-638 du 27 avril 2017 ; les autres modèles de licence devront être homologués.
Où cela nous mène-t-il ? – Pour pouvoir être exploitées, les données de la commande publique devront être collectées en masse, puis intégrées dans une base de données qui permettra d’en tirer des enseignements statistiques ou d’examiner des segments d’activités en restituant des données pertinentes.
Côté personnes publiques, ce traitement des données pourra avoir pour effet d’accélérer la professionnalisation des services des achats. Ceux-ci pourront par exemple savoir, dans les collectivités comparables à la leur, quel type de concession a été conclu pour la collecte et le traitement des ordures ménagères, quels financements publics ont été mobilisés, quelle pouvait être en moyenne la répartition entre les redevances prévues et la rémunération versée par la personne publique, sur quelle durée sont en moyenne prévus ce type de contrat, etc. Cela permettra de mieux calibrer les phases de mise en concurrence, au bénéfice partagé des personnes publiques et des candidats. Un tel résultat ne sera évidemment possible que si les bases de données traitant les informations publiées sont financièrement accessibles.
Côté candidats, de nombreux traitements de ces données pourraient s’avérer intéressants.
Il sera ainsi possible, pour les sociétés intervenant déjà dans le champ de la commande publique, d’obtenir une représentation fidèle de leur présence auprès des collectivités : combien de marchés remportés sur une année ; majoritairement pour quel type de personnes publiques ; sur quel type de missions. Dans ce cadre, l’ajout à la liste des données publiées des noms des candidats non retenus pourrait être d’un grand intérêt. Cela permettrait de définir de manière plus certaine un positionnement : à quels marchés dois-je répondre pour maximiser mes chances de succès et accroître mon activité ? Sur quels segments du marché dois-je retravailler mon offre commerciale (et comment) pour être compétitif ? Sur quels types de prestations ne suis-je clairement pas compétitif ? En cas d’échecs répétés, vers quel type de procédure puis-je me repositionner ?
Cela permettrait, au prix d’une analyse qui nécessite de la lucidité et une bonne vision stratégique, de réallouer certaines ressources en interne pour une meilleure rentabilité. Si une telle analyse n’est pas à la portée de toutes les sociétés, faute de disposer de personnels qualifiés pour la mener, nul doute que des structures de conseil en stratégie, dotées des bons outils, pourraient accompagner efficacement les entreprises, éventuellement en s’appuyant sur le sourcing, qui est désormais autorisé par le droit de la commande publique.
De manière plus immédiate, les données disponibles pourraient permettre de vérifier si une personne publique accepte une diversité d’intervenants ou est ouverte au changement, ou si in fine, elle a tendance à favoriser les prestataires qu’elle connaît (dans les limites de la légalité). A l’extrême, cela pourrait aider à construire l’argumentaire contentieux d’un candidat évincé, y compris dans un cadre pénal (démonstration d’un délit de favoritisme, par exemple).
Plus simplement, cela pourra donner une indication utile quant au point de savoir si des sociétés similaires, qui pratiquent la même politique tarifaire, ont déjà été retenues par une personne publique précise, ou si les prestataires les plus souvent choisis sont des sociétés plus spécialisées, ou qui proposent des prestations d’une gamme clairement différente.
Il ne s’agira pas à proprement parler de prédictibilité, car les stratégies d’achat des personnes publiques évoluent également, et les décideurs peuvent aussi changer.
Ces hypothèses de travail se réaliseront – peut-être – à moyen terme, le temps que les données utiles soient disponibles, que les opportunités de développement commercial soient comprises et que les informations soient segmentées et analysées, ce qui suppose qu’elles aient été collectées en nombre suffisant pour en tirer des enseignements réels et fiables. Reste à savoir si ces outils serviront un marché de niche, réservé aux seuls acheteurs ou entreprises disposant de moyens financiers conséquents, ou s’ils se démocratiseront.
La commande publique de demain se dessine aujourd’hui. Ceux qui seront attentifs à ces opportunités – côté prestataire – et seront prêts à se saisir les premiers de ces nouveaux outils – côté utilisateur – seront à coup sûr gagnants.
Notes
1 Certains professionnels sont d’ores et déjà soumis à cette obligation, mais ils sont peu nombreux. C’est par exemple le cas des concessionnaires d’autoroute, depuis le 1er janvier 2018 (article R.122-32 du Code de la voirie routière).
2 Marchés d’un montant supérieur ou égal à 25 000 € (décret n°2017-516 du 10 avril 2017).
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
François Tenailleau, avocat associé en droit public des affaires
Hélène Chalmeton, juriste au sein du Département droit des affaires, en charge du knowledge management