Précisions du Gouvernement sur la mise en place des « Appels à manifestation d’engagements locaux » (AMEL)
Annoncés en décembre 2017 comme la possibilité offerte aux collectivités locales de bénéficier du déploiement ou de l’extension de réseaux à très haut débit financé sur fonds propres des opérateurs, les conditions de mise en œuvre techniques, économiques et juridiques des AMEL sont ensuite restées floues.
Par une note de l’Agence du numérique adressée début avril 2018 aux autorités locales portant des projets de réseaux d’initiative publique (RIP), le Gouvernement a donc entendu répondre à certaines interrogations qui se faisaient jour.
En premier lieu, sans préciser quelles prises seront concernées par la mise en œuvre de ces AMEL, le Gouvernement a précisé que l’objectif poursuivi n’est pas de concurrencer les RIP déployés ou projetés, mais de laisser la possibilité aux collectivités ou à leurs groupements d’identifier de nouveaux périmètres d’intervention privée sur les zones d’initiative publique.
En pareil cas, la collectivité pourrait contractualiser avec les opérateurs intéressés dans un cadre juridique librement choisi, pour autant que ces opérateurs soient mis en mesure de faire une proposition sur des bases objectives et non discriminatoires.
En second lieu, si l’issue de l’AMEL conduit effectivement une collectivité à permettre le déploiement d’un réseau privé sur fonds propres en complément de son RIP, elle pourra solliciter le Gouvernement pour rendre ces engagements opposables au titre de l’article L.33-13 du Code des postes et des communications électroniques (CPCE). Quatre conditions devraient alors être réunies pour que l’Etat fasse droit à une telle demande :
- la concertation entre l’opérateur privé et la collectivité locale devra déboucher sur un accord;
- l’opérateur privé devra prendre des engagements de couverture fermes, c’est-à-dire opposables, et exhaustifs (dans une logique de complétude) sur un périmètre technique et économique cohérent;
- Une bonne articulation devra être établie avec les investissements publics et il conviendra de tendre à l’équilibre économique des contrats d’exploitation de RIP conclus ou à venir;
- le projet devra permettre le maintien, voire l’accélération du calendrier de déploiement, étant précisé que certains engagements pourront être réalisés après 2020, sans toutefois excéder 2025.
Le contrôle sera du ressort des collectivités locales au regard, notamment, des obligations liées aux RIP. Si, toutefois, les collectivités souhaitent rendre les engagements opposables au sens de l’article L.33-13 du CPCE, ils devront comporter un certain nombre d’exigences définies par la note de l’Agence du numérique et seront soumis à l’appréciation de l’ARCEP.
Dans tous les cas, en l’état actuel du droit et comme le rappelle le Gouvernement, les déploiements sur fonds propres ne seront pas protégés d’éventuels déploiements parallèles concurrents, en vertu, notamment, du principe constitutionnel de liberté d’entreprendre, duquel découle un droit au libre établissement de réseaux.
Observations complémentaires :
Afin d’atteindre les objectifs nationaux de bon et très haut débit, le Gouvernement invite les collectivités locales à mettre en œuvre des AMEL d’ici la fin du 1er semestre 2018 et à lui indiquer avant le 30 juin les engagements pris à ce titre qu’elles souhaitent rendre opposables au titre de l’article L.33-13 du CPCE. Ces délais semblent toutefois indicatifs, si l’on en croit les réponses apportées par l’Agence du numérique lors de la réunion qui s’est tenue le 10 avril dernier avec les porteurs de RIP.
Il n’en reste pas moins que, si cette note de l’Agence du numérique apporte un certain nombre de précisions sur les modalités de mise en œuvre de ces AMEL, elle reste silencieuse sur un certain nombre de points :
- d’abord, si l’objectif des AMEL n’est pas de concurrencer les RIP existants ou projetés, il importe de rappeler que le périmètre des tranches conditionnelles (ou « phase 2 ») des RIP est souvent pris en compte par les délégataires de service public dans l’élaboration de leur modèle d’affaires initial. La définition du périmètre des AMEL va exiger des collectivités locales un effort de coordination, voire de conciliation. A défaut, leur mise en œuvre recèlerait des risques contentieux importants de la part des délégataires de service public au regard, notamment, des clauses d’exclusivité qui figurent dans leurs conventions ;
- ensuite, si le Gouvernement reste silencieux sur le cadre juridique dans lequel ces engagements pourront se déployer, l’obligation faite aux collectivités locales de solliciter les opérateurs sur une base objective et non discriminatoire conduit à s’interroger sur les conditions d’évaluation des propositions. En effet, outre Orange et SFR, l’ensemble des opérateurs nationaux et des opérateurs de RIP pourraient avoir intérêt à répondre aux AMEL lancés par les collectivités locales. Il pourrait dès lors apparaître souhaitable soit de mettre en œuvre une procédure de passation formalisée, soit de rendre publics les critères en vertu desquels le choix de l’opérateur sera effectué. A défaut, le risque existerait de voir se développer des contentieux sur le terrain du principe d’égalité de traitement des candidats ;
- enfin, comme cela est rappelé dans la note de l’Agence du numérique, la rédaction actuelle de l’article L.33-13 du CPCE ne permet pas de protéger les opérateurs qui s’engageraient dans un AMEL contre d’éventuels déploiements concurrents. On peut dès lors s’interroger sur l’intérêt que pourraient trouver les opérateurs à s’engager fermement vis-à-vis des collectivités, voire du Gouvernement, sans bénéficier en contrepartie d’une quelconque protection. Le législateur pourrait concilier le principe de liberté d’entreprendre avec d’autres principes ou objectifs d’intérêt général, afin de préserver les conditions d’une concurrence loyale sur ce marché. Faute de disposition en ce sens dans le projet de loi ELAN et dans l’attente des recommandations de l’ARCEP sur la cohérence des réseaux à très haut débit en fibre optique, on peut donc douter de l’efficacité du mécanisme des AMEL.
Auteur
Audrey Maurel, avocat, droit des communications électroniques