Réforme ferroviaire
C’est le 1er juillet 2017 lors de l’inauguration de la ligne à grande vitesse Paris/Rennes que le président de la République a exposé son intention de lancer une vaste réforme de la SNCF couplée à l’ouverture à la concurrence du marché du transport ferroviaire de voyageurs prévue par les directives européennes issues du « quatrième paquet ferroviaire ».
Dans la continuité de cette annonce, le Premier ministre a confié le 16 octobre 2017 une mission à Jean-Cyril Spinetta, ancien président-directeur général d’Air France-KLM, afin de concevoir une stratégie d’ensemble pour une refondation du modèle de transport ferroviaire, dans le « cadre d’un marché ouvert à la concurrence, en préservant les missions d’un service public performant ».
Le rapport Spinetta a été remis au Premier ministre le 15 février 2018 et a souligné la « nécessité et l’urgence d’engager sans tarder une refondation de notre système ferroviaire » (voir notre synthèse de son rapport, publiée dans la dernière lettre des régulations).
Sur le fondement des constats dressés et des recommandations formulées par ce rapport, le Gouvernement a proposé, le 26 février 2018, « un nouveau pacte ferroviaire entre la Nation, la SNCF et les cheminots » ayant pour objet d’améliorer « le service public ferroviaire au meilleur coût pour les voyageurs et les contribuables ».
Le 14 mars 2018, un projet de loi a été présenté en conseil des ministres. Il s’agit essentiellement d’un texte d’orientation qui fixe les grandes lignes de la réforme et habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnances.
Le 17 avril 2018, l’Assemblée nationale a très largement adopté en première lecture, par 454 voix contre 80, le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire.
Pendant les deux semaines de discussion en commission (du 2 au 9 avril) et en séance (du 9 au 12 avril), le projet de loi a été enrichi par voie d’amendements pour préciser, dans la loi, un certain nombre de principes avant l’adoption des ordonnances (26 amendements déposés par le Gouvernement après concertation et 82 amendements votés entre la commission et la séance).
Les principales mesures contenues dans le projet de loi, tel qu’adopté en première lecture par l’Assemblée nationale sont les suivantes :
Une nouvelle organisation pour le Groupe public ferroviaire
L’architecture actuelle du système ferroviaire repose sur une structure verticalement intégrée, le Groupe public ferroviaire (GPF). Le GPF intègre, sous le chapeau d’un établissement public industriel et commercial (EPIC) de tête dénommé SNCF, un EPIC en charge des fonctions de gestion de l’infrastructure, dénommé SNCF Réseau, et un autre en charge de l’exploitation des services de transport ferroviaire, dénommé SNCF Mobilités.
Or, le statut d’EPIC ayant été assimilé par la Commission européenne, approuvée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) (CJUE, 3 avril 2014, C-559/12 P, France c/ Commission), à une aide d’Etat, la soumission du GPF et surtout de sa filiale SNCF Mobilités à un tel statut ne pouvait perdurer dans le contexte de l’ouverture à la concurrence du marché.
En effet, pour la Commission et la Cour, il existe une « garantie illimitée de l’Etat » liée au statut d’EPIC qui permet au GPF d’obtenir des conditions d’emprunt quasiment équivalentes à celles de l’Etat et donc beaucoup plus favorables que celles de ses concurrents.
Pour tenir compte des conséquences de cette jurisprudence de la CJUE et satisfaire les demandes de la Commission européenne, le projet de loi prévoit, à compter du 1er janvier 2020, la transformation de la SNCF en société nationale à capitaux publics détenue en totalité par l’Etat et soumise aux dispositions du Code de commerce relatives aux sociétés anonymes. Les filiales SNCF Mobilités et SNCF Réseau seront intégralement détenues par la SNCF. Les trois entités constitueront un groupe public unifié.
Le projet de loi habilite le Gouvernement à « prendre par voie d’ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour améliorer le fonctionnement du groupe public ferroviaire dans le contexte de l’achèvement de l’ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire ».
Le Gouvernement aura ainsi douze mois (au lieu de six initialement) à compter de la publication de la loi pour fixer les conditions de création et de fonctionnement du groupe public constitué par la société nationale SNCF et ses filiales, en prévoyant notamment :
- l’attribution aux sociétés du groupe, en fonction de leur objet, de tout ou partie des biens, droits et obligations des trois EPIC actuels ;
- les conditions dans lesquelles sont assurées certaines missions de la société nationale SNCF au sein du groupe public ;
- les conditions dans lesquelles les contrats de travail se poursuivront ;
- la réunification de la gestion des gares de voyageurs aujourd’hui éclatées entre différentes entités de la SNCF ;
- les modalités transitoires de gestion des sociétés composant le groupe public nouvellement constitué ;
- les modalités de gouvernance de la société nationale SNCF ;
- les garanties propres à assurer l’indépendance de SNCF Réseau et le régime des biens relevant du domaine public.
Le statut des salariés du groupe
A titre liminaire, il convient de rappeler qu’une grande partie du personnel de la SNCF bénéficie d’un statut particulier. L’embauche au « statut » de cheminot est subordonnée à certaines conditions : il faut avoir moins de 30 ans, réussir des tests d’aptitude et passer une période d’essai qui peut durer jusqu’à deux ans et demi.
Le projet de loi n’évoque que très peu le statut des cheminots.
Il est prévu à cet égard que « les modifications de l’organisation du Groupe public ferroviaire […] rendues nécessaires par la mise en œuvre des dispositions prévues par le présent article au 1er janvier 2020 ne portent pas atteinte aux dispositions législatives, réglementaires ou contractuelles régissant la situation des personnels employés par les établissements publics SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités ». A contrario, il peut en être déduit que le statut des personnels embauchés postérieurement au 1er janvier 2020 pourrait être sujet à des modifications.
Dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale, le projet de loi habilite le Gouvernement à fixer par voie d’ordonnance « les conditions de recrutement, d’emploi, de représentation du personnel et de la négociation collective au sein des sociétés composant le groupe public », ce qui lui permettra de mettre fin à l’embauche au statut de cheminot et de définir le cadre contractuel applicable aux nouvelles recrues.
Le projet de loi comprend cependant toute une série de garanties pour les cheminots transférés de la SNCF à une autre entreprise ferroviaire, notamment en cas de perte de contrat par l’opérateur historique. Ces transferts se feront « prioritairement au volontariat ». Sont aussi prévus, sans limite de durée, le maintien du niveau de rémunération au moment du transfert, du régime spécial de retraite, ainsi que la garantie de l’emploi pour ceux ayant été embauchés au statut et la conservation des « avantages » accordés par l’entreprise historique, comme les facilités de circulation ou l’accès aux médecins spécialisés.
L’objectif de cette réforme est double : il s’agit à la fois de créer les conditions d’une meilleure compétitivité pour l’opérateur historique dans le cadre de l’ouverture à la concurrence et de faire converger le statut des personnels de SNCF Mobilités avec ceux de ses futurs concurrents afin de ne pas créer de distorsions.
Il s’agit de mesures structurelles qui accompagnent classiquement l’ouverture à la concurrence de tous les secteurs ayant historiquement fait l’objet d’un monopole public et de telles mesures ont par exemple été prises pour EDF, La Poste ou encore France Télécom au moment de l’ouverture à la concurrence de ces marchés.
Le calendrier d’ouverture à la concurrence
S’agissant des services commerciaux, la directive 2016/2370 du 14 décembre 2016 dispose qu’« à compter du 1er janvier 2019, les entreprises ferroviaires disposent d’un droit d’accès à l’infrastructure, y compris aux infrastructures reliant les installations de service, dans des conditions équitables, non discriminatoires et transparentes ».
Le projet de loi prévoit qu’il sera possible de demander l’accès au réseau ferroviaire à compter du 1er janvier 2019 en vue d’une exploitation effective du réseau à compter du 12 décembre 2020. En effet, le processus de commande d’un sillon pour l’horaire de service de l’année N commence au début de l’année N- 2. Dans la mesure où le projet de loi permet de commander des sillons à partir du 1er janvier 2019, les premières liaisons concurrentes en open access pourront voir le jour durant l’horaire de service 2021, soit à partir du 12 décembre 2020.
S’agissant des services conventionnés, c’est-à-dire les services publics organisés par une « autorité organisatrice », comme c’est le cas des régions pour les TER, le quatrième paquet ferroviaire fixe un calendrier progressif mais impératif d’ouverture à la concurrence. Il ménage la faculté pour les autorités compétentes d’attribuer sans mise en concurrence leurs contrats de service public ferroviaire entre le 3 décembre 2019 et le 24 décembre 2023, cette possibilité n’étant plus autorisée à compter du 25 décembre 2023, date à laquelle l’attribution après mise en concurrence devient la règle, sous réserve de la mise en œuvre de certaines exceptions limitativement énoncées dans le règlement 1370/2007 du 23 octobre 2007, modifié (dit « règlement OSP »).
Le projet de loi prévoit, à compter du 25 décembre 2023, l’obligation, pour toutes les autorités compétentes, de procéder à l’attribution des contrats de service public après mise en concurrence, sauf dans les cas où le règlement OSP lui-même prévoit des dérogations. Par conséquent, à partir de cette date, l’ouverture à la concurrence deviendra la règle.
Entre le 3 décembre 2019 et le 25 décembre 2023, période transitoire prévue par le règlement OSP, le projet de loi prévoit que :
- pour la période allant du 3 décembre 2019 au 25 décembre 2023, chaque région aura le choix entre fournir de nouveaux services en régie, attribuer des contrats à un opérateur « interne » (entité juridiquement distincte de la région mais sur laquelle la région exerce un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services), attribuer des contrats directement à SNCF Mobilités sans appel d’offres, ou bien attribuer des contrats après publicité et mise en concurrence préalables ;
- les conventions qui auraient été conclues entre des régions et SNCF Mobilités avant le 25 décembre 2023 se poursuivront jusqu’à leur terme, à condition que la durée ne dépasse pas dix ans.
La reprise de la dette : question qui reste en suspens
Le projet de loi est totalement muet sur la question de la reprise de la dette de la SNCF par l’Etat qui est actuellement au cœur des négociations menées entre le Gouvernement et les organisations syndicales.
La dette du groupe public ferroviaire atteint désormais les 54,5 milliards d’euros. SNCF Réseau concentre l’essentiel du déficit annuel du système ferroviaire français. La dette du gestionnaire d’infrastructure a augmenté de 15 milliards d’euros entre 2010 et 2016 et s’élève aujourd’hui à 46,6 milliards d’euros.
Il convient de rappeler que l’équilibre économique du gestionnaire d’infrastructure constitue une obligation européenne (Cf. article 8, paragraphe 4, de la directive 2012/34 du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen. Cette directive a été modifiée par la directive 2016/2370 du 14 décembre 2016, et la décision déléguée 2017/2075 de la Commission du 4 septembre 2017). Cette obligation a été transposée en droit français par la loi n°2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, qui prévoit que la somme des recettes des péages et des concours publics doit permettre la couverture du coût complet de l’infrastructure.
L’article 9 de la directive 2012/34 dispose que « sans préjudice des règles de l’Union sur les aides d’Etat et conformément aux articles 93, 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les Etats membres mettent en place des mécanismes adéquats pour contribuer à réduire l’endettement des entreprises ferroviaires publiques jusqu’à un niveau qui n’entrave pas une gestion financière saine et qui réalise l’assainissement de la situation financière de celles-ci ».
Plusieurs solutions sont avancées par les parties impliquées pour traiter la dette de la SNCF et permettre un retour à l’équilibre du gestionnaire d’infrastructure à terme.
La CGT propose que l’Etat reprenne l’intégralité de la dette actuelle dans une structure de défaisance, une caisse d’amortissement de la dette ferroviaire d’Etat, qui serait financée par le produit des concessions autoroutières, nationalisées au passage. Par ailleurs, le syndicat propose d’affecter 6 milliards d’euros de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) au financement des infrastructures ferroviaires.
Un rapport réalisé par le Gouvernement en août 2016 avait au contraire conclu qu’une reprise totale ou partielle de la dette risquait d’augmenter le déficit public bien au-delà des 3% du PIB exigés par les critères de Maastricht. En effet, la dette de la SNCF représente l’équivalent de 2 points du PIB français. Le rapport concluait que l’urgence était de retrouver une situation excédentaire à la SNCF, grâce à une meilleure gestion, permise par la réforme ferroviaire de 2014 (rapport du Gouvernement relatif à la trajectoire de la dette de SNCF Réseau et aux solutions qui pourraient être mises en œuvre afin de traiter l’évolution de la dette historique du système ferroviaire).
Cette idée a été réitérée par le ministre de l’Economie lors de la présentation du nouveau projet de réforme qui a déclaré à cet égard que « La priorité, c’est transformer la SNCF, la rendre plus compétitive, dégager des bénéfices et au bout du compte, à la fin de cette transformation, nous pourrons envisager que l’Etat reprenne la dette de la SNCF ».
Toutefois, en dépit des réticences initiales, le Premier ministre, Edouard Philippe, a précisé lors d’une réunion qui a eu lieu le 7 mai dernier que la reprise de la dette de SNCF Réseau serait « progressive mais substantielle ». Il est resté cependant flou sur l’étendue, le financement et les modalités de mise en œuvre de cette opération. De « nouvelles discussions » sont programmées à Matignon, avant l’examen de la réforme au Sénat.
Le projet de loi a été transmis au Sénat qui l’examinera en commission le 23 mai et en séance publique les 29, 30 et 31 mai. Le scrutin public aura lieu le 5 juin.
Auteurs
Claire Vannini, avocat associé, droit de la concurrence nationale et européen
Eleni Moraïtou, avocat en droit de la concurrence nationale et européen