Budgets du comité d’entreprise : le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation
2 mai 2018
Par deux arrêts du 7 février 2018, la Cour de cassation est revenue sur sa jurisprudence en matière de budgets du comité d’entreprise (« CE ») en décidant que, « sauf engagement plus favorable, la masse salariale servant au calcul de la subvention de fonctionnement comme de la contribution aux activités sociales et culturelles, s’entend de la masse salariale brute constituée par l’ensemble des gains et rémunérations soumis à cotisations de sécurité sociale en application de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale » (Cass. soc., 7 février 2018, n°16-24.231 et n°16-16.086). Ce revirement tant attendu suscite néanmoins quelques interrogations.
L’abandon de la référence au compte 641
Selon le Code du travail, le budget de fonctionnement du CE est calculé par référence à « la masse salariale brute » et celui de la contribution patronale aux activités sociales et culturelles par référence au « montant global des salaires payés ».
En pratique, la plupart des entreprises déterminaient à l’origine le montant de ces subventions en retenant comme assiette de calcul le montant brut des rémunérations mentionnées à la DADS, c’est-à-dire soumises à cotisations sociales.
Pendant de nombreuses années, la question de la définition de la masse salariale permettant de déterminer les budgets du CE n’a pas fait l’objet de débat au sein des entreprises et des prétoires.
Pourtant, en 2011, la Cour de cassation a, de manière tout à fait inattendue, remis en cause la pratique habituelle des entreprises en décidant que, sauf engagement plus favorable, la masse salariale servant au calcul de la contribution patronale aux activités sociales et culturelles devait s’entendre « de la masse salariale brute comptable correspondant au compte 641 « Rémunérations du personnel » tel que défini par le plan comptable général » (Cass. soc., 30 mars 2011, n°09-71.438).
Cette décision apparaissait extrêmement critiquable notamment parce que le compte 641 ne répond pas à une définition juridique mais résulte d’une norme comptable évolutive. Par ailleurs, la référence à ce compte conduisait inévitablement à augmenter, parfois significativement, le montant servant de base aux calculs des subventions du CE, dès lors que le compte 641 comprend des sommes qui n’ont pas la nature de salaire.
Un abondant contentieux s’est formé suite à cette décision puisque nombre de comités d’entreprise ont sollicité auprès des entreprises des arriérés de subventions.
Par la suite, la Cour de cassation a réajusté sa jurisprudence en multipliant les retraitements du compte 641 (à titre d’exemple, en décidant qu’il fallait y soustraire les sommes qui correspondent à la rémunération des dirigeants sociaux, à des remboursements de frais, ainsi que celles qui, hormis les indemnités légales et conventionnelles de licenciement, de retraite et de préavis, sont dues au titre de la rupture du contrat de travail) jusqu’à ce que la référence à celui-ci perde toute forme de cohérence.
Par ses arrêts du 7 février dernier, la Cour de cassation, s’inspirant de l’ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 relative au comité social et économique (« CSE »), a entendu éteindre les contentieux en abandonnant le fondement du compte 641 et en se référant désormais à la notion de « gains et rémunérations soumis à cotisations de sécurité sociale, en application de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale », c’est-à-dire aux montants inscrits à la DADS.
A cette occasion, la Cour de cassation a précisé que les sommes versées au titre de l’intéressement ou de la participation, n’ayant pas le sens de rémunération conformément à l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale, étaient exclues de l’assiette de calcul des budgets du comité d’entreprise. Elle a également décidé que la rémunération des salariés mis à disposition n’avait pas à être prise en compte, sous certaines conditions spécifiques, par la société utilisatrice pour procéder au calcul du budget de fonctionnement et de la contribution patronale aux activités sociales et culturelles.
L’exclusion éventuelle des indemnités de licenciement et de fin de contrat
Alors que la Cour de cassation n’évoque pas les indemnités légales ou conventionnelles de licenciement dans son attendu de principe, doit-on en déduire que ces sommes sont exclues de l’assiette de calcul des budgets du CE ?
En application de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale, les indemnités légales et conventionnelles de licenciement peuvent être partiellement soumises à cotisations sociales dès lors qu’elles excèdent certaines limites.
Dans ses arrêts, la Cour de cassation n’évoque pas la question des indemnités légales et conventionnelles de licenciement de manière explicite.
Néanmoins, elle confirme l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 22 juillet 2016 qui avait retenu qu’il n’y a pas lieu d’inclure dans la base de calcul des budgets du CE les indemnités légales ou conventionnelles de licenciement.
Cette solution est frappée au coin du bon sens : il n’y a en effet aucune pertinence à ce que le versement d’indemnités à des salariés licenciés conduise à augmenter le budget des activités sociales et culturelles profitant aux salariés restés dans l’entreprise.
Il s’agit du reste de la position du législateur puisque l’ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 a expressément exclu de la masse salariale brute servant d’assiette de calcul de la subvention de fonctionnement et de la contribution aux activités sociales et culturelles du nouveau comité social et économique, les indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail.
Dès lors, il semble cohérent de considérer que les indemnités légales et conventionnelles de licenciement ne doivent pas être incluses dans le calcul des budgets des CE, même pour la part assujettie à cotisations sociales.
Cette solution doit, selon nous, également s’appliquer à des indemnités assimilées comme des indemnités transactionnelles ou des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse attribués par le juge.
Le remboursement des sommes indûment versées
Suite à la décision de la Cour de cassation du 30 mars 2011, de nombreuses sociétés, souvent sous la pression de l’expert-comptable du CE, ont utilisé la référence au compte 641 pour calculer les budgets du CE.
Désormais, et eu égard au revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, ces sociétés peuvent envisager de solliciter le remboursement des sommes indûment versées à celui-ci.
Les chances qu’une telle action prospère diffèrent en fonction des circonstances ayant conduit à l’application du compte 641.
En effet, selon la Haute juridiction, la masse salariale servant au calcul des budgets du CE s’entend de la masse salariale brute constituée par l’ensemble des gains et rémunérations soumis à cotisations de sécurité sociale en application de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale « sauf engagement plus favorable de l’employeur ».
L’engagement plus favorable pourrait tout d’abord résulter d’un accord collectif. Dans une telle hypothèse, lorsqu’un accord a été conclu et qu’il définit une masse salariale en fonction du compte 641, aucune demande de restitution ne pourrait en principe être formulée par l’employeur puisqu’il y a une volonté manifeste de l’entreprise d’utiliser le compte 641 comme assiette de calcul.
Cette affirmation pourrait néanmoins être tempérée dans les cas d’accords conclus « avec réserves » : dans une telle situation, une restitution serait envisageable, par exemple si l’accord faisait expressément référence à la position de la Cour de cassation.
L’engagement plus favorable pourrait également résulter d’un usage ou d’un engagement unilatéral de l’employeur.
A cet égard, il convient de souligner que la notion d’engagement unilatéral ou d’usage implique la démonstration d’une forme d’intention libérale de l’employeur, ou à tout le moins de l’intention d’appliquer une règle plus favorable. En l’absence d’une telle intention, il serait possible de réclamer le remboursement des sommes indûment perçues par le CE.
Le remboursement pourrait également être obtenu en soutenant que l’employeur a commis une erreur légitime d’interprétation du droit et n’a pas entendu prendre un engagement plus favorable que la loi.
La nécessité d’un accord avec le comité d’entreprise
Si aucune action en remboursement n’était engagée, les employeurs seraient à notre sens liés pour l’avenir par les valeurs des contributions aux activités sociales et culturelles effectivement versées compte tenu de l’utilisation du compte 641.
En effet, selon le Code du travail, la contribution annuelle de l’employeur pour financer les activités sociales et culturelles :
- ne peut être inférieure au total le plus élevé des sommes affectées aux dépenses sociales de l’entreprise atteint au cours des trois dernières années précédant la prise en charge des activités sociales et culturelles, à l’exclusion de certaines dépenses temporaires ;
- et le rapport de cette contribution à la masse salariale brute ne peut être inférieur au même rapport existant pour cette même année de référence.
Si aucune contestation des budgets passés n’était effectuée, et compte tenu de ce système de cliquet, le montant en numéraire résultant de l’utilisation passée du compte 641 serait maintenu pour l’avenir puis transmis au comité social et économique lorsque cette instance succèdera au CE.
C’est la raison pour laquelle il peut être recommandé que l’employeur et le CE reconnaissent dans un accord que le budget a été surévalué dans le passé compte tenu de la référence au compte 641 et que le CE accepte pour l’avenir qu’il ne soit pas tenu compte de cette surévaluation.
Cet engagement pourrait trouver sa contrepartie dans la renonciation par l’employeur à solliciter une restitution de la fraction indue de la contribution versée au titre des exercices passés.
Auteurs
Damien Decolasse, avocat en de droit du travail, droit de la sécurité sociale et de la protection sociale.
Matthieu Beaumont, avocat, en droit social
Budgets du comité d’entreprise : le revirement de jurisprudence de la Cour de cassationBudgets du comité d’entreprise : le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation – Article paru dans Les Echos Exécutives le 30 avril 2018
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