Une cotation technique au Luxembourg pour échapper aux lourdeurs du règlement abus de marché ?
Au nom de la lutte contre les abus de marché, des contraintes lourdes sont imposées aux émetteurs et à leurs dirigeants quand des titres sont admis aux négociations sur un marché, qu’il s’agisse d’un marché réglementé ou d’un système multilatéral de négociation (gestion de l’information privilégiée, périodes de fenêtres négatives, déclaration des transactions des dirigeants, etc.). Depuis juillet 2016, le règlement européen n°596/2014 sur les abus de marché est ainsi applicable aux titres admis aux négociations sur tout marché réglementé de l’Union européenne, mais aussi sur Euronext Growth (ex-Alternext) et Euronext Access (ex-Marché Libre) en France, sur l’Open Market (Freiverkehr) de Francfort ou encore sur l’Euro MTF au Luxembourg.
Si la lutte contre les abus de marché est légitime pour assurer la protection des investisseurs et l’intégrité du marché, certaines des obligations imposées aux émetteurs peuvent parfois sembler disproportionnées. Cela est particulièrement vrai pour les émetteurs qui ont un besoin ponctuel d’une cotation technique, sans rechercher la liquidité d’un marché financier. Il en va ainsi notamment sur le marché du high yield ou de l’Euro PP, où certains investisseurs, bien que traditionnellement « buy and hold », peuvent avoir la contrainte de n’investir que dans des titres cotés. Si une cotation sur Euronext Access ou l’Open Market (Freiverkehr) de Francfort a pendant longtemps été relativement indolore pour les émetteurs, l’élargissement à ces marchés des contraintes imposées par le règlement européen sur les abus de marché a changé la donne. Des cotations hors de l’Union européenne, par exemple à Jersey ou à Singapour, ont pu être recherchées ; les intérêts des investisseurs y sont-ils mieux protégés ?
Dans ce contexte, la récente initiative de la Bourse de Luxembourg de permettre aux émetteurs de faire coter leurs titres sur l’Official List au Luxembourg, sur le segment Securities Official List (SOL), sans qu’ils ne soient admis aux négociations sur un marché peut être intéressante. Cette cotation s’appuie sur la directive européenne 2001/34/CE du 28 mai 2001 concernant l’admission de valeurs mobilières à la cote officielle et l’information à publier sur ces valeurs, qui n’a jamais été transposée en France, mais l’a été dans d’autres Etats membres, et notamment au Luxembourg.
En termes de formalités au moment de la cotation, l’émetteur qui demande une cotation sur SOL doit faire approuver une notice d’information par la Bourse de Luxembourg, destinée à être publiée sur le site de la bourse où le public pourra librement la consulter. Le rulebook de la Bourse de Luxembourg décrit les informations à inclure dans la notice d’information, lesquelles varient selon la nature des titres (actions, obligations, titres adossés à des actifs, etc.), mais sont similaires aux informations traditionnellement requises dans un prospectus de titres (la notice d’information peut d’ailleurs prendre la forme d’un prospectus). L’émetteur doit ainsi notamment inclure une description de son activité, des informations financières (les normes IFRS sont permises mais ne sont pas obligatoires), des facteurs de risque, etc. La notice d’information peut être rédigée en français ou en anglais.
Une fois les titres cotés, la transparence exigée de l’émetteur est bien moindre. Il n’a par exemple pas d’obligation de publier ses comptes et le règlement abus de marché n’est pas applicable, les titres n’étant pas admis aux négociations sur un marché. L’émetteur doit néanmoins informer la Bourse de Luxembourg de certains événements affectant les titres, tels qu’une modification des droits attachés aux titres, un remboursement anticipé, etc.
Une cotation sur SOL ne répondra pas à tous les besoins et les investisseurs n’y trouveront aucune liquidité. Les investisseurs devront donc s’assurer que cette cotation « technique » sans admission aux négociations sur un marché satisfait les critères d’investissement auxquels ils peuvent être soumis. Du côté de l’émetteur, s’il est libéré de l’essentiel des obligations d’information permanente pendant la vie du titre, il devra faire preuve de transparence lors de la cotation initiale avec la publication du document d’information. Mais si elle ne convient pas à toutes les situations, la cotation sur SOL a le mérite d’exister et d’offrir une réponse européenne pour les opérations qui peuvent y trouver un intérêt.
Auteur
Marc-Etienne Sébire, avocat associé, responsable marchés de capitaux
Une cotation technique au Luxembourg pour échapper aux lourdeurs du règlement abus de marché? – Analyse juridique parue dans Option Finance le 30 avril 2018