Prêts « toxiques » : lorsqu’une commune est considérée comme emprunteur averti
On se rappelle que, au milieu des années 2000, près de 600 collectivités locales avaient contracté des prêts bancaires structurés, comportant un taux variable souvent construit par référence à la parité euro/franc suisse ou dollar/franc suisse. Les difficultés sont apparues lorsque, du fait de cette structuration, la composante variable du taux stipulé a explosé atteignant 15, 20, voire 25% et a conduit certaines collectivités à une véritable impasse.
Pour résoudre la difficulté, les pouvoirs publics ont agi sur deux terrains. D’une part, un fonds de soutien a été mis en place pour aider les collectivités les plus dangereusement endettées, notamment en leur permettant de régler les indemnités de remboursement anticipé pour convertir à taux fixe leur charge d’emprunt (le rapport de la Cour des comptes, rendu public en février 2018, évalue le coût de sortie de ces emprunts pour le fonds dédié à 2,6 milliards d’euros). D’autre part, afin de neutraliser la tentation de porter le débat sur le terrain judiciaire, les banques concernées étant souvent à capitaux publics, une loi fut votée en juillet 2014 validant la stipulation d’intérêts prévue par tout écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant conclu antérieurement au 31 juillet 2014 entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public, en tant que la validité de cette stipulation serait contestée par le moyen tiré soit du défaut de mention du TEG, soit de la mention erronée d’un TEG, d’un taux de période ou d’une durée de période.
Toutefois, toutes les collectivités concernées n’ont pas renoncé à obtenir gain de cause en justice. En témoigne un arrêt important qui vient d’être rendu par la Cour de cassation (Cass. com., 28 mars 2018, n°16-26.210, P+B+I). Parmi les nombreux arguments articulés dans le pourvoi, la commune emprunteuse a tenté, en vain, d’obtenir la nullité des emprunts contractés ou, à défaut, la responsabilité de la banque en tant que dispensateur de crédit.
Elle plaidait ainsi le caractère spéculatif de l’emprunt, ce qui aurait dû entraîner son annulation. La Cour de cassation écarte l’argument en observant, d’une part, que les prêts litigieux ne peuvent être assimilés à un contrat d’option (au sens de l’article D. 211-1-A du Code monétaire et financier), d’autre part que, en souscrivant ces prêts, « la commune n’a pas cherché à s’enrichir mais seulement à refinancer des investissements réalisés dans l’intérêt général à des conditions de taux d’intérêt les plus avantageuses possibles ». Pour la Haute juridiction, il ne faut donc pas confondre contrat aléatoire et opération spéculative, cette qualification ne pouvant « résulter de la seule exposition de la collectivité territoriale à des risques illimités ». L’analyse est intéressante car, curieusement, il n’existe, en droit privé, aucune définition de la notion de spéculation. On pouvait penser que la loi du 26 juillet 2013, qui avait notamment pour objet « la séparation des activités utiles au financement de l’économie des opérations spéculatives », en donnerait les critères, mais il n’en a rien été (v. C. mon. fin., art. L. 511-47). L’idée de la recherche d’un gain comme composante de la spéculation nous paraît pertinente, en ce qu’elle rejoint l’approche retenue par l’économiste Nicholas Kaldor en 1939.
Quant à la mise en cause de la responsabilité de la banque pour défaut de mise en garde, une jurisprudence classique exige la double démonstration que l’emprunteur était profane et que l’opération l’exposait à un risque d’endettement excessif. L’appréciation de ce que le client est profane ou averti relève du pouvoir souverain des juges du fond. La Cour de cassation se contente donc de reprendre les éléments mis en avant par l’arrêt d’appel pour conclure au caractère averti de la commune lors de la souscription de l’emprunt : la relative importance de la commune (15 000 habitants) ; le recours depuis près de 30 ans à une vingtaine d’emprunts auprès de différents établissements de crédit ; le fait que le maire était diplômé en science de gestion et que la commune, qui disposait d’une Commission des Finances, avait développé une politique active de gestion de sa dette.
Sans doute la commune aurait-elle dû activer l’option de « désensibilisation » qui lui était ouverte via un accord avec le fonds d’aide mis en place par Bercy.
Auteur
Arnaud Reygrobellet, of counsel, Doctrine juridique et Professeur à l’Université de Paris Ouest Nanterre