Management packages et PEA : le comité de l’abus de droit fiscal reprend la main
Les affaires de management packages ne cessent de fleurir dans le paysage juridique français.
Après un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles rendu en matière fiscale1, puis une décision retentissante prise par la cour d’appel de Paris en matière sociale2, c’est au tour du Comité de l’abus de droit fiscal (CADF) de préciser sa doctrine. Le groupe Webhelp, véritable success story à la française, avait fait l’objet d’un LBO3 en 2007 au cours duquel un fonds avait investi de manière minoritaire au côté des deux fondateurs du groupe et de plusieurs cadres opérationnels.
Plusieurs catégories de titres avaient été émises à cette occasion par la holding de reprise :
- des titres de capital (actions ordinaires, actions de préférence et ABSA4) avaient été souscrits à la fois, d’une part, par le fonds et, d’autre part, par les managers, fondateurs et cadres, au travers de leur plan d’épargne en actions (PEA) ;
- des obligations convertibles en actions (OCA) avaient par ailleurs été souscrites par le fonds et présentaient la particularité de n’être convertibles que si, en cas de cession, le taux de rentabilité interne réalisé par le fonds restait inférieur à 18% et le multiple inférieur à 2.
Ce mécanisme financier, dit de reverse ratchet, avait donc pour effet de diluer les actionnaires managers au profit du fonds, via la conversion des OCA, si les objectifs de valorisation financière du groupe n’étaient pas atteints à la sortie.
La cession du groupe a finalement eu lieu en 2011. Les objectifs ayant été atteints, le fonds d’investisse-ment est sorti sans que les OCA ne soient converties. Les managers ont également cédé et/ou apporté leurs titres et ont, ce faisant, réalisé des plus-values qui ont été exonérées dans le cadre de leur PEA. C’est cette exonération qu’avait contestée l’administration fiscale. Cette dernière a considéré que le mécanisme de ratchet avait pour seul objectif de dissimuler un « dispositif d’intéressement » et a ainsi requalifié la partie du gain générée par la non-conversion des OCA en un salaire taxable au taux plein.
L’Administration a néanmoins été déboutée par le CADF. Le Comité a tout d’abord relevé que les managers étaient à l’origine de cette structure financière et de l’entrée du fonds dans le groupe. Il a également constaté que leur investissement représentait une part substantielle de leur patrimoine s’agissant des fondateurs, et de leurs revenus s’agissant des cadres. Il a dès lors estimé que les managers avaient encouru un risque en tant qu’investisseurs et n’avaient pas agi en tant que salariés.
Ces avis du CADF, favorables aux contribuables, sont intéressants à plusieurs titres.
Tout d’abord, le CADF réitère sa doctrine selon la-quelle des managers peuvent tout à fait co-investir dans le groupe qui les emploie sans que cet investissement soit considéré comme un vecteur d’intéressement salarial.
L’investissement en PEA, pour autant qu’il soit techniquement éligible5, n’est alors pas considéré comme abusif si le manager prend un véritable « risque encouru en tant qu’investisseur », risque qui s’apprécie au regard des critères -factuels- de l’investissement réalisé. Ces avis ont par ailleurs été rendus, pour la première fois à notre connaissance, dans le cadre d’un mécanisme de reverse ratchet, organisé via des OCA, qui est une structuration financière assez répandue dans ce type d’opérations de capital-investissement.
Enfin, l’administration fiscale a choisi de se ranger aux avis du CADF. La prudence demeure malgré tout de mise : nous comprenons en effet que la décision de l’Administration a été prise « compte tenu des circonstances d’espèce » et notamment du fait que le groupe était contrôlé par les fondateurs et managers, qui détenaient environ 70% du capital.
Dans ces circonstances, refuser aux managers la qualité d’actionnaire et les conséquences favorables de son régime fiscal peut en effet sembler être une position bien délicate à défendre…
Notes
1 CAA Versailles, 26 janv. 2017, n°14VE02824, min. c/ Lefevre.
2 CA Paris, 6 juill. 2017, n°14/02741, Lucien Barriere.
3 Leverage buy-out.
4 Actions à bons de souscription d’actions.
5 Il n’est plus possible, depuis 2014, d’inscrire en PEA des actions de préférence.
Auteurs
Philippe Gosset, avocat, droit fiscal
Floriane Dienger, avocat, droit fiscal