Négociation dans les entreprises d’au moins 50 salariés sans délégué syndical : un dispositif confirmé et précisé
28 mars 2018
La négociation collective dans les entreprises d’au moins 50 salariés constitue le dernier volet de la série d’articles consacrés à la négociation au sein des entreprises dépourvues de délégués syndicaux après la publication de l’ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.
Ce dispositif, instauré à l’origine par la loi du 20 août 2008, avait pour objectif de permettre aux entreprises non dotées de délégués syndicaux de négocier un accord collectif avec leurs élus ou un salarié mandaté par une organisation syndicale. Il fut cependant loin d’avoir le succès escompté en raison des strictes conditions encadrant le recours à cette négociation : restriction du contenu de la négociation aux seules mesures dont la mise en œuvre nécessitaient un accord collectif, limitation de la faculté de négocier avec les élus du personnel aux seules entreprises de moins de 200 salariés, exigence de validation de l’accord collectif conclu avec ces derniers par une commission paritaire de branche, etc.
Les lois du 17 août 2015 et du 8 août 2016 ont considérablement ouvert et simplifié ces modalités de négociation en étendant le champ d’application de cette négociation à toutes les entreprises sans condition d’effectif, en élargissant, dans certains cas, le contenu possible de la négociation et en facilitant la conclusion de tels accords.
Les récentes ordonnances, si elles créent un nouveau régime de négociation dans les entreprises de moins de 50 salariés ne comptant aucun délégué syndical – sensiblement différent de celui qui s’appliquait jusqu’alors dans toutes les entreprises sans délégué syndical – ne remettent pas en cause ce dernier pour les entreprises dont l’effectif compte au moins 50 salariés. Le régime de négociation jusqu’alors applicable à toutes les entreprises souhaitant, en l’absence de délégué syndical, négocier un accord collectif, se trouve confirmé et précisé pour ces entreprises.
Des modalités de négociation définies selon un ordre prioritaire
Contrairement à ce qui est prévu dans les entreprises dont l’effectif est inférieur à 50 salariés dans lesquelles la négociation peut avoir lieu indifféremment avec les élus du personnel ou un salarié mandaté par une organisation syndicale, la négociation dans les entreprises comptant au moins cinquante salariés s’organise selon un ordre prioritaire. Ainsi, le droit de négocier appartient en premier lieu aux membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique mandatés par une organisation syndicale représentative ou -pour les entreprises qui ne sont pas encore dotées d’une telle instance- du comité d’entreprise, de la délégation unique du personnel ou, à défaut des délégués du personnel.
Les articles L.2232-24 à L.2232-26 du Code du travail définissent précisément la procédure à suivre pour engager la négociation.
Dans les entreprises pourvues d’élus du personnel, l’employeur doit informer les organisations syndicales représentatives dans la branche ou, à défaut, les organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel, de son intention d’engager des négociations. Il doit également informer les élus du personnel de cette intention, par tout moyen de nature à lui conférer une date certaine.
Les élus qui souhaitent négocier disposent alors d’un délai d’un mois à compter de cette information pour l’indiquer à l’employeur et lui préciser s’ils sont mandatés ou non par une organisation syndicale représentative. A cet égard, les textes ne font aucune obligation à l’employeur de mentionner dans le document d’information adressé aux élus le délai de réponse qui leur est imparti, ni la faculté d’obtenir un mandatement syndical. Il paraît cependant préférable de leur communiquer ces précisions en raison de l’obligation de loyauté qui doit présider aux négociations.
Aux termes de l’article L.2232-25-1 du Code du travail, la négociation s’engage à l’issue du délai d’un mois avec les élus mandatés ou si aucun d’entre eux n’a été mandaté par une organisation syndicale de branche ou à défaut interprofessionnelle, avec les élus du personnel non mandatés. Il résulte de la rédaction de ce texte que, même si les élus ont fait savoir, avant l’expiration de ce délai, leur souhait de négocier ainsi que l’existence ou non d’un mandatement syndical, la négociation ne peut, en principe, s’engager qu’à son terme.
Dans le cas où aucun élu du personnel n’a fait connaitre à l’employeur son intention de négocier à l’issue du délai d’un mois, la négociation peut alors s’engager avec un salarié expressément mandaté par une organisation syndicale représentative dans la branche ou, à défaut, au niveau national et interprofessionnel.
Dans les entreprises dépourvues d’élus du personnel, cette faculté de négociation avec un salarié mandaté par une organisation syndicale représentative s’applique de plein droit dès lors qu’un procès-verbal de carence aux élections professionnelles a été régulièrement établi, ce qui suppose que ces élections aient été effectivement organisées.
Au terme de cette procédure, la qualité des négociateurs finalement habilités à négocier l’accord collectif va conditionner l’étendue de la négociation susceptible d’être engagée.
Un champ de négociation défini en fonction de la qualité des négociateurs
Alors que dans les entreprises de moins de 50 salariés, la négociation peut porter sur tous les domaines quelle que soit la qualité des négociateurs, le champ de la négociation peut, dans certains cas être restreint dans les entreprises dont l’effectif compte au moins 50 salariés.
En effet, lorsque la négociation est engagée avec des élus du personnel qui n’ont pas été mandatés par une organisation syndicale représentative dans la branche ou, à défaut, au niveau national et interprofessionnel, celle-ci ne peut porter que sur des mesures dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à l’existence d’un accord collectif.
Il s’agit de mesures qui ne peuvent être mises en place que par un accord collectif.
Il en est ainsi, notamment, d’un certain nombre de mesures concernant la durée du travail (fixation du contingent annuel d’heures supplémentaires ou d’un taux de majoration des heures supplémentaires inférieur au taux légal, remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires par un repos compensateur équivalent, mise en place de conventions de forfait en heures ou en jours, d’un régime de compte épargne temps ou du travail intermittent, etc.), de mesures concernant les congés payés (fixation d’une période d’acquisition des congés différente de la période légale, majoration de la durée du congé en raison de l’âge, de l’ancienneté ou du handicap, etc.) de mesures concernant la représentation du personnel (réduction de la durée des mandats, etc.) ou encore de la conclusion d’un accord de performance collective en application de l’article L.2254-2 du Code du travail.
Il existe cependant une exception à cette règle, s’agissant des accords de méthode visés à l’article L.1233-21 du Code du travail, c’est-à-dire des accords portant sur les modalités d’information et de consultation du comité social et économique (ou du comité d’entreprise) en cas de licenciement économique d’au moins 10 salariés sur une période de 30 jours. Bien que la mise en place de cette mesure soit subordonnée à la conclusion d’un accord collectif, il ne sera pas possible de la mettre en œuvre en concluant un accord collectif avec des élus du personnel non mandatés.
D’une manière générale, toutes les mesures qui peuvent être mises en place par une décision unilatérale de l’employeur, sont exclues du champ de la négociation avec des élus du personnel non mandatés.
En revanche, les élus du personnel et les salariés, lorsqu’ils sont mandatés par une organisation syndicale représentative, peuvent négocier des accords collectifs dans tous les domaines, sauf lorsque la loi réserve expressément la mise en place d’une mesure à la conclusion d’un accord collectif avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise.
Quel que soit leur domaine, la loi assure désormais la primauté de ces accords collectifs d’entreprise sur les accords de branche et les accords interprofessionnels, sauf dans les domaines et dans les conditions limitativement énumérés par les articles L.2253-1 et L.2253-2 du Code du travail.
A cette distinction tenant à l’étendue du champ de la négociation s’ajoute des différences tenant aux conditions de validité des accords conclus, lesquelles sont également définies selon la qualité des signataires.
Des conditions de validité confirmées et précisées
Les conditions de validité des accords conclus dans les entreprises de 50 salariés et plus dépourvues de délégués syndicaux sont identiques à celles qui étaient applicables, avant l’ordonnance, aux accords conclus dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, sans distinction d’effectif :
- les accords conclus avec des élus du personnel titulaires, mandatés par une organisation syndicale représentative doivent, pour être valables, avoir été approuvés par les salariés à la majorité des suffrages exprimés dans des conditions définies par décret, aux articles D. 2232-2 et suivants du code du travail ;
- les accords conclus avec des élus du personnel titulaires, non mandatés, doivent être conclus par des élus représentant la majorité des suffrages exprimés en faveur des membres du comité.Pour éviter une dilution des voix rendant difficile – voire impossible – la conclusion d’un accord collectif avec les membres du comité central, il est désormais précisé que, dans ce cas, la condition de majorité s’apprécie en tenant compte, pour chacun des membres titulaires de la délégation, d’un poids égal au rapport entre le nombre de suffrages exprimés dans l’établissement en faveur de ce membre et du nombre total des suffrages exprimés dans chaque établissement en faveur des membres titulaires composant ladite délégation ;
- les accords conclus avec un salarié mandaté par une organisation syndicale sont également soumis à l’approbation de la majorité des salariés, dans les mêmes conditions que les accords conclus avec des élus du personnel mandatés.
De manière surprenante, les rédacteurs de l’ordonnance n’ont pas complètement aligné le régime des accords collectifs conclus avec les élus titulaires – mandatés ou non – sur celui prévu pour les entreprises de moins de 50 salariés, lequel subordonne la validité de l’accord conclu avec les élus titulaires, mandatés ou non, à leur signature par des élus représentant la majorité des suffrages exprimés en faveur des membres du comité.
Cette différence de régime est susceptible de poser des difficultés lorsque l’effectif de l’entreprise est modifié au cours de la négociation, passant au-dessus ou au-dessous du seuil de 50 salariés. En effet, si les textes précisent que le calcul des effectifs s’effectue selon les modalités définies à l’article L.1111-2 du Code du travail, ils n’indiquent pas à quelle date – engagement des négociations ou conclusion de l’accord – cet effectif doit être apprécié. Dans le silence des textes, il y a sans doute lieu de considérer que si l’entreprise doit tenir compte de l’effectif à la date de l’engagement des négociations pour déterminer le régime qui lui est applicable, c’est sous la réserve qu’elle remplisse toujours ces conditions à la date de conclusion de l’accord collectif, à laquelle s’apprécient les conditions de validité de l’accord.
Cette solution ne posera pas trop de difficultés lorsque l’effectif sera passé en dessous du seuil de 50 salariés à la date de conclusion de l’accord (il sera en effet toujours possible d’apprécier la validité de l’accord dans les conditions définies pour ces entreprises). En revanche, la situation est plus délicate lorsque l’effectif de l’entreprise atteint 50 salariés au cours de la négociation.
Sauf à avoir anticipé cette augmentation de personnel, l’entreprise n’aura sans doute pas respecté l’ordre de priorité applicable à la négociation dans les entreprises d’au moins 50 salariés.
Dans ce cas, il semble qu’il y ait lieu de considérer que l’entreprise doit engager à nouveau les négociations en respectant cette fois les prescriptions fixées pour les entreprises d’au moins 50 salariés.
D’une manière générale et en l’état des textes, les entreprises devront, quelle que soit leur taille, anticiper les éventuels changements d’effectif susceptibles de survenir au cours de la négociation de l’accord, afin de s’assurer qu’elles rempliront toujours, au jour de sa conclusion, les conditions d’effectif déterminant le régime applicable à sa conclusion. Cependant si le dispositif de négociation dérogatoire conserve des éléments de complexité, il est vraisemblable que les efforts réalisés depuis plusieurs années pour simplifier et élargir le champ de la négociation sans délégué syndical, entraîneront dans les prochaines années un accroissement des accords conclus sous cette forme.
Auteurs
Béatrice Taillardat Pietri, adjoint du responsable de la doctrine sociale
Rodolphe Olivier, avocat associé, droit social
Négociation dans les entreprises d’au moins 50 salariés sans délégué syndical : un dispositif confirmé et précisé – Article paru dans Les Echos Exécutives le 27 mars 2018
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