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Déséquilibre significatif : nécessité de démontrer l’absence de négociation effective, même dans la grande distribution

Déséquilibre significatif : nécessité de démontrer l’absence de négociation effective, même dans la grande distribution

Le fameux article L.442-6 I 2° du Code de commerce, introduit par la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008, interdit le fait « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
A la suite des enquêtes menées en 2009 par la « brigade LME », destinées à vérifier notamment la bonne application de cette disposition, le ministre de l’Economie avait assigné neuf enseignes de la grande distribution, critiquant ainsi certaines clauses contenues dans les conventions conclues avec leurs fournisseurs.

C’est l’une de ces « assignations Novelli » dirigée contre l’enseigne Intermarché qui est à l’origine de l’arrêt rendu le 20 décembre 2017 par lequel la cour d’appel de Paris vient préciser davantage cette notion cardinale mais sibylline de déséquilibre significatif du Code de commerce (CA Paris, 20 décembre 2017, n°13/04879).

Deux conditions cumulatives clairement rappelées dans cet arrêt sont nécessaires pour sanctionner un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers sur ce fondement :

  • la soumission ou la tentative de soumission d’un partenaire commercial ;
  • ’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La jurisprudence abondante rendue sur ce fondement depuis 2010 a révélé et précisé les deux piliers de cette interdiction.

En ce qui concerne la seconde condition, l’arrêt commenté rappelle que l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion importante entre les obligations respectives des parties. Les clauses doivent être appréciées dans leur contexte, au regard de l’économie du contrat et in concreto, sachant que les effets des pratiques n’ont pas à être pris en compte ou recherchés. En outre, la preuve d’un rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à l’entreprise mise en cause.

Mais l’apport de l’arrêt réside avant tout dans la méthode de caractérisation de la première condition. La Cour affirme que « l’élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l’absence de négociation effective des clauses incriminées ».

Par conséquent, la seule constatation de la structure fortement déséquilibrée du marché de la grande distribution ne peut pas suffire à démontrer cette condition de soumission ou tentative de soumission, même en présence de contrats-types conclus avec les fournisseurs. La Cour d’appel indique que « l’insertion de clauses ’déséquilibrées’ dans un contrat-type ne peut suffire en soi à démontrer cet élément, seule la preuve de l’absence de négociation effective pouvant l’établir, la soumission ne pouvant être déduite de la seule puissance de négociation du distributeur, in abstracto ».

Le ministre de l’Economie se fondait ici sur seulement cinq contrats et ne démontrait pas que les fournisseurs avaient tous été obligés de signer le contrat-type sans pouvoir en modifier certains éléments. Le distributeur a, au contraire, établi que des négociations avaient eu lieu, sur demande des fournisseurs.

La cour d’appel de Paris rejette donc les prétentions du ministre de l’Economie, considérant que la preuve n’est pas apportée en l’espèce d’une soumission ou d’une tentative de soumission.

A noter que cette condition de la soumission ou tentative de soumission n’existe pas en tant que telle dans le nouvel article 1171 du Code civil issu de la réforme du droit des contrats, qui sanctionne de manière générale le déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion.

La question de la négociabilité des clauses est toutefois également primordiale au regard de la prohibition du « déséquilibre significatif de droit commun ». Elle s’est en effet trouvée au cœur des débats parlementaires portant sur le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats. En l’état des débats, le contrat d’adhésion devrait être redéfini comme « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ».

 

Auteur

Amaury Le Bourdon, avocat, droit de la concurrence et droit de la distribution

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