SFR débouté de sa demande de révision de l’accord passé avec Orange portant répartition des zones de déploiement de réseaux de fibre optique
Il importe de rappeler le contexte dans lequel le litige est survenu entre les parties. A la suite de l’appel à manifestation d’intention d’investissement (AMII) en zone moins dense lancé par le Gouvernement en 2011, seuls Orange et SFR avaient répondu et avaient donc été amenés, sous le contrôle de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et de l’Autorité de la concurrence, à se répartir les zones.
C’est par un protocole passé par les deux opérateurs le 14 novembre 2011 qu’Orange avait été désignée responsable exclusif du déploiement FTTH de 80% des zones (7,8 millions de lignes) contre 20% (2,4 millions de lignes) pour SFR, dans un temps imparti et dans une logique de co-investissement.
Toutefois, lors du rachat de SFR par Numéricable en 2014, SFR s’était engagée vis-à-vis de l’Autorité de la concurrence à négocier dans un délai de six mois avec Orange l’échange de certaines communes, à défaut de quoi elle devrait lever l’interdiction pesant sur Orange de déployer son réseau de fibre optique dans les communes qui lui avaient été attribuées par le protocole.
Or, faute d’accord entre les parties, SFR avait été contrainte de lever cette interdiction.
Reprochant à Orange de ne pas avoir négocié de bonne foi et de ne lui avoir adressé aucune proposition acceptable, SFR a alors saisi le tribunal de commerce de Paris d’une demande tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du protocole, à tout le moins sa caducité ou, subsidiairement, à ce qu’il soit renégocié sous l’égide du Tribunal, ainsi que l’indemnisation de ses préjudices.
Avant de rejeter l’ensemble de ces demandes, le Tribunal a rappelé que le différend entre les parties faisait suite à l’engagement pris par l’actionnaire majoritaire de Numéricable devant l’Autorité de la concurrence en 2014. Celle-ci craignait que la nouvelle entité NC/SFR, disposant déjà d’un important réseau câblé, ne freine le déploiement du réseau FttH dans les zones déjà câblées, en particulier dans celles sur lesquelles le protocole de 2014 donnait à SFR une exclusivité, alors que la duplication d’infrastructures à très haut débit concurrentes n’est pas un choix économique rationnel pour l’opérateur et porte atteinte non seulement à la concurrence mais aussi à l’intérêt des consommateurs finals.
Ainsi les négociations relatives à la redéfinition des zones de déploiement se placèrent-elles dans le strict cadre de la procédure devant l’Autorité de la concurrence et se trouvèrent-elles en dehors du champ d’application du protocole.
Le Tribunal de commerce a par ailleurs relevé qu’Orange avait adressé à SFR, dès décembre 2014, un projet d’accord de confidentialité, mais que les discussions n’avaient démarré que le 4 février 2015, et que SFR avait formellement reconnu la volonté d’Orange d’entrer en négociation. Surtout, il a été établi qu’une première proposition de SFR en date du 4 février 2015 consistait à lever l’exclusivité dans 160 communes, représentant environ 800 000 prises, en échange de 3,1 millions de prises en zone Orange. Cette proposition avait été considérée comme inacceptable par Orange dès lors qu’elle concernait des prises en dehors du périmètre concerné et aurait généré d’importantes difficultés d’application.
En outre, une seconde proposition de SFR en date du 16 juin 2015 (soit peu de temps avant l’expiration du délai de six mois), consistant en la rétrocession de 172 communes à Orange en échange d’un nombre identique de prises Orange, n’avait pas abouti. SFR n’avait toutefois pas établi en quoi le refus opposé par Orange à cette proposition et l’absence de contre-proposition auraient caractérisé la violation d’une obligation de négociation de bonne foi.
Au résultat, le Tribunal a débouté SFR de l’ensemble de ses demandes aux motifs :
- d’une part, que SFR n’avait pas demandé à l’Autorité de la concurrence de renouveler la période de négociation et ce, malgré l’absence de réticence d’Orange ;
- d’autre part, que la cohérence voulue par les pouvoirs publics tendait au développement de la fibre sur le territoire national quand bien même la répartition des communes n’était pas équilibrée entre les parties et que la levée de l’exclusivité opérée à la suite des négociations précitées ne s’était pas faite sans contrepartie pour SFR (l’opération NC/SFR ayant été autorisée), le Tribunal de commerce a débouté SFR de l’ensemble de ses demandes (cf. TC Paris, 29 janvier 2018, n°2017029202, SFR c/ Orange).
Ainsi, sauf décision de SFR d’interjeter appel, ce jugement constitue une bonne nouvelle pour Orange : ses investissements dans les communes de la « zone AMII » sont sécurisés. L’accord de 2011 qui répartissait les déploiements dans les 148 communes de la zone moins dense continuera donc de s’appliquer selon les ajustements effectués depuis le rachat de SFR : 87% des lignes Orange contre 13% chez SFR.
Rappelons par ailleurs que, dans son avis n°2017-1293 du 23 octobre 2017 rendu à la demande du Sénat et portant sur la couverture numérique des territoires, l’ARCEP estimait qu’un nouveau partage rapide et pragmatique de la zone d’initiative privée pourrait permettre d’accélérer les déploiements de fibre optique et faire entrer dans la course d’autres opérateurs nationaux (dont Bouygues et Free) disposant de la capacité industrielle et financière requise.
Le secrétaire d’État auprès du ministre de la Cohésion des territoires a toutefois estimé que cela pourrait freiner le rythme des déploiements et que le cadre juridique devait à l’inverse rester stable pour accélérer ces derniers.
Auteur
Audrey Maurel, avocat, droit des communications électroniques