Pour la CJUE UberPop est bien un service de transport
Dans un récent arrêt rendu sur renvoi préjudiciel d’une juridiction espagnole, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur le statut du service UberPop qui met en relation, via une application, des chauffeurs non professionnels avec des personnes souhaitant effectuer des déplacements urbains (CJUE, 20 décembre 2017, C-434/15, Asociación Profesional Elite Taxi c/ Uber Systems SpainSL).
Pour la Cour, ce service est indissociablement lié à un « service de transport » et doit donc être qualifié non pas de « service de la société de l’information » au sens de la l’article 2 de la directive 2000/31 du 8 juin 2000 (commerce électronique) mais de « service dans le domaine des transports » au sens de l’article 2 de la directive 2006/123 du 12 décembre 2006 (services), ce dernier texte plaçant expressément ce type de service hors du champ d’application de la directive de 2006.
Cette qualification exclut donc le service Uber Pop du champ d’application :
- des directives 2000/31 et 2006/123 qui interdisent de soumettre à des autorisations administratives les activités entrant dans leur champ d’application ;
- des dispositions de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatives à la libre prestation de services puisque, dans le secteur des transports, celle-ci est régie par un titre spécifique du Traité ainsi que par les textes de droit dérivé adoptés en commun par les Etats membres en la matière conformément à l’article 58 TFUE. Aucune règle commune n’ayant toutefois été établie pour les services de transport urbain non collectif, la Cour conclut qu’il revient aux Etats membres de réglementer ces services et ceux qui leur sont indissociablement liés.
Cette solution vient éclairer le juge national dans un litige où une association professionnelle de chauffeurs de taxis de Barcelone reprochait à Uber Spain des actes de concurrence déloyale dans la mesure où ni la société Uber ni les chauffeurs ne détenaient les autorisations requises par les réglementations nationale, régionale et municipale pour exercer leur activité. En défense, Uber soutenait que le service de mise en relation UberPop était fourni par la société Uber BV qui opère depuis les Pays-Bas et bénéficiait, en tant que service de la société de l’information, de la libre prestation de services.
Afin de trancher la question de la conformité au droit de l’Union européenne de l’obligation de détenir une autorisation administrative préalable pour exercer une telle activité, la Cour a répondu qu’un service tel que celui proposé par Uber « ne se résume pas à un service d’intermédiation » dans la mesure où « le fournisseur de ce service d’intermédiation crée en même temps une offre de services de transport urbain, qu’il rend accessible notamment par des outils informatiques, tels que l’application en cause au principal, et dont il organise le fonctionnement général […] ».
Elle relève à ce titre que le service en cause repose sur la sélection des chauffeurs auxquels la société fournit une application sans laquelle ils n’auraient pas été amenés à offrir de tels services. En outre, Uber exerce une « influence décisive sur les conditions de la prestation » du service de transport puisqu’il en définit le prix maximal, collecte ce prix, le reverse en partie aux chauffeurs et s’assure de la qualité des véhicules et des chauffeurs.
En effet, comme souligné par l’avocat général dans ses conclusions du 11 mai 2017, à la différence d’un site de réservation en ligne de voyages, Uber fait plus que simplement lier l’offre et la demande et propose une prestation globale dont l’élément principal est le transport, la mise en relation n’ayant pas réellement de valeur économique propre puisque les chauffeurs Uber n’exercent pas une activité économique indépendante.
Suivant cette analyse, la Cour conclut que le service d’intermédiation proposé par Uber ne peut être qualifié de service de la société de l’information et doit être considéré comme un « service dans le domaine des transports », cette notion englobant selon la jurisprudence « tout service intrinsèquement lié à un acte physique de déplacement de personnes ou de marchandises d’un endroit à un autre grâce à un moyen de transport ».
Cette solution présente un double intérêt en droit français. D’une part, elle conforte l’action du législateur qui a introduit en 2016 un nouveau régime de responsabilité spécifique aux centrales de réservation de services de transport (article L.3141-1 et s. du Code des transports) ainsi qu’une interdiction de plusieurs pratiques anticoncurrentielles pouvant mettre en péril l’économie du secteur (article L.420-2-2 du Code de commerce).
D’autre part, en circonscrivant la notion de service de la société de l’information, la Cour pose des jalons qui devraient lui être utiles dans une autre affaire impliquant Uber France cette fois et portant sur le champ d’application de l’obligation de notification des règles techniques relatives aux services de la société de l’information (cf. conclusions de l’avocat général Szpunar du 4 juillet 2017 sur l’affaire C-320/16).
Plus largement, en rejetant l’argument d’Uber relatif au caractère innovant de son service d’intermédiation et en retenant la position de son avocat général pour qui « l’innovation relève […] du domaine du transport urbain », la Cour accrédite l’idée qu’une réglementation spécifique aux plates-formes électroniques n’est pas indispensable et que les règles régissant les activités auxquelles elles se rattachent peuvent leur être appliquées, et ce même lorsqu’il s’agit d’une société comme Uber qui symbolise la disruption des modèles économiques par les nouvelles technologies (sur ce sujet, voir aussi la position du Conseil d’Etat dans son étude annuelle 2017 intitulée « Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l’‘ubérisation’ »).
Auteurs
Claire Vannini, avocat associé, droit de la concurrence national et européen
Lola Nihotte, juriste, droit européen et concurrence