Loi Sapin II : l’entrée en scène de l’Agence française anticorruption
13 mars 2018
La loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dite Sapin II contraint certaines entreprises à élaborer un plan anticorruption et à mettre en place une procédure de recueil des signalements.
Cette loi a également créé l’Agence française anticorruption (AFA), chargée de coordonner les actions de lutte contre la corruption.
L’AFA a diffusé il y a peu ses recommandations en faveur des entreprises, d’autant plus utiles que cette agence a commencé en parallèle à mener des contrôles.
La teneur du plan anticorruption
L’article 17 de la loi Sapin II impose depuis le 1er juin 2017 l’élaboration d’un plan anticorruption aux entreprises qui emploient au moins 500 salariés ou qui appartiennent à un groupe dont la société mère a son siège en France et qui compte au moins 500 salariés, et dont le chiffre d’affaires -éventuellement consolidé- est supérieur à 100 millions d’euros.
Ce plan doit inclure :
- un code de conduite définissant et illustrant les comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence ;
- un dispositif d’alerte permettant aux salariés de signaler une violation du code de conduite ;
- une cartographie des risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption ;
- des procédures d’évaluation des clients, fournisseurs et intermédiaires au regard du risque de corruption ;
- des procédures de contrôle comptable ;
- des actions de formation en matière de lutte contre la corruption ;
- un dispositif de contrôle des mesures mises en œuvre, ainsi qu’un régime disciplinaire.
Par ces mesures, les entreprises doivent identifier et prévenir l’ensemble des situations de nature à les exposer à des faits de corruption, commis ou subis.
L’AFA promeut une vision exigeante et extensive de ce plan
L’AFA apporte d’abord des précisions sur la teneur du code de conduite : celui-ci doit aborder le régime des cadeaux et invitations, des paiements de facilitation, des conflits d’intérêts, du mécénat ainsi que du lobbying ; il ne doit pas se limiter à un « recueil de bonnes pratiques » mais doit intégrer des interdictions précises.
Au-delà, l’AFA prévoit que le code de conduite doit s’appliquer partout où l’entreprise exerce une activité, en France et à l’étranger « sans préjudice de l’application de références anticorruption plus exigeantes » : elle confère ainsi au code de conduite une dimension internationale qui ne ressort pourtant pas de la loi et dont le respect sera en pratique complexe.
L’AFA propose par ailleurs une méthodologie très détaillée d’élaboration de la cartographie des risques, de l’évaluation des tiers et du contrôle comptable.
S’agissant de la cartographie, elle invite à établir une typologie précise des risques de corruption, à mesurer le niveau de vulnérabilité de l’entreprise et à analyser les mesures de contrôle existantes.
Une évaluation poussée des partenaires de l’entreprise est également attendue par le biais de recherches sur leur identité, leur actionnariat, les contrats conclus avec eux, etc., afin de s’assurer que l’intégralité des relations commerciales est exempte de risques.
Au surplus, alors la loi prévoit que cette évaluation vise les clients, les fournisseurs de premier rang et les intermédiaires, l’AFA l’étend à tous les tiers avec qui l’entreprise est en relation ou entre en relation.
De fait, l’AFA attend des entreprises une analyse approfondie et des mesures strictes face aux risques de corruption.
L’AFA évoque aussi la procédure de recueil de signalements des lanceurs d’alerte
L’article 8 de la loi Sapin II impose aux entreprises de plus de 50 salariés la mise en place, depuis le 1er janvier 2018, d’un dispositif permettant aux salariés et aux collaborateurs extérieurs de dénoncer la commission de crimes ou de délits, une violation grave et manifeste de la loi, d’un règlement ou d’un acte international, ou encore une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général1.
Cette procédure de recueil de signalements s’inscrit dans le cadre de la protection légale dont bénéficient les lanceurs d’alertes, qui ne peuvent faire l’objet de mesures de rétorsion pour avoir dénoncé de tels faits ni être sanctionnés pour avoir violé une obligation légale de secret.
La loi Sapin II a ainsi créé deux dispositifs d’alertes : l’un relatif au recueil des signalements de salariés ayant constaté des situations contraires au code de conduite, l’autre dédié aux lanceurs d’alertes.
L’AFA offre la faculté de mettre en place un dispositif unique.
Toutefois, elle précise alors que « le régime légal des lanceurs d’alerte pourra être étendu à l’ensemble des signalements ».
Or, un manquement à un code de conduite ne constitue pas nécessairement la violation d’un acte visé par l’article 8 de la loi : sa dénonciation ne devrait donc pas permettre de bénéficier de la protection inhérente au statut de lanceur d’alerte. L’AFA tend ici à étendre le champ de la loi Sapin II.
La portée des recommandations de l’AFA
L’AFA a certes pris soin de préciser que ses recommandations étaient dépourvues de force obligatoire et ne créaient pas d’obligation juridique.
Elle dispose cependant d’un pouvoir de contrôle des mesures anticorruption appliquées par les entreprises. En cas de violation de la loi et après une phase amiable, sa commission des sanctions peut prononcer des sanctions pécuniaires pouvant atteindre 200.0000 euros pour les personnes physiques et 1 million d’euros pour les personnes morales – étant entendu que les dirigeants des entreprises incriminées peuvent être personnellement sanctionnés.
Il est donc fortement conseillé de suivre les recommandations de l’AFA, d’autant plus que celle-ci mène des contrôles depuis le mois d’octobre 2017.
Note
1 Sur ce sujet, cf. « procédure de recueil des signalements des lanceurs d’alertes : les modalités d’application sont fixées« , V Delage, Les Echos Business, 18 mai 2017
Auteurs
Xavier Cambier, avocat, droit du travail
Virginie Séquier, avocat, droit du travail
Loi Sapin II : l’entrée en scène de l’Agence française anticorruption – Article paru dans les Echos Exécutives le 7 mars 2018
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