Vers un monopole sur l’ensemble ergonomique d’un jeu ?
Une société éditait depuis 2013 une application permettant de participer à un jeu gratuit, en ligne, consistant en des tirages au sort récurrents conditionnés par le visionnage complet d’une vidéo publicitaire.
S’étant aperçu qu’une autre société diffusait une application mobile similaire, l’éditeur avait fait dresser un constat par un agent assermenté de l’Agence pour la protection des programmes (APP) et avait mis en demeure son concurrent de cesser l’exploitation de ladite application. Celui-ci n’ayant pas accédé à sa demande, l’éditeur l’a assigné pour contrefaçon de droit d’auteur et concurrence déloyale.
Le tribunal de grande instance de Paris commence par rappeler l’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel l’auteur jouit d’un monopole d’exploitation de son œuvre pour autant que celle-ci soit suffisamment déterminée et originale.
Puis il constate qu’aucune pièce ne décrit suffisamment précisément l’application, « de sorte que le tribunal ne connaît ni sa physionomie, ni sa structure, ni la composition et le contenu de ses écrans et ne saurait se trouver en mesure, indépendamment de la question ultérieure de l’originalité, de procéder à une quelconque comparaison entre les applications proposées par les parties ». De plus, le procès-verbal dressé par l’APP ne fait pas état de l’existence de ces éléments antérieurement au lancement de l’application concurrente.
De ce fait, l’action fondée sur le droit d’auteur est rejetée faute pour l’éditeur de démontrer l’apport intellectuel de son application, condition sine qua non de la protection des œuvres de l’esprit.
L’action en concurrence déloyale est cependant admise, en présence de comportements fautifs du concurrent « contraires aux usages dans la vie des affaires » et susceptibles de « créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ».
En effet, bien que le Tribunal rejette l’idée d’octroyer un monopole sur une idée de jeu en ligne, il souligne néanmoins que certains éléments créaient la confusion tels que : la présentation, la gratuité, le financement de la cagnotte, la fréquence des loteries ou encore l’ergonomie proche.
Les défendeurs sont ainsi condamnés au versement de 20 000 euros de dommages-intérêts. Le Tribunal prononce par ailleurs l’interdiction d’exploiter l’application litigieuse et la publication de la décision dans trois journaux (TGI Paris, 30 juin 2017, n°1412037).
A priori, les éléments listés par les juges du fond pour caractériser la concurrence déloyale apparaissent relativement banals. Si tel est bien le cas, la crainte d’un monopole sur ces éléments pourrait être justifiée.
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée, droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Thomas Livenais, avocat, droit de la propriété intellectuelle