Concurrence : engagez-vous … mais en connaissance de cause
Au terme d’une évaluation préliminaire de la Commission européenne révélant des doutes quant à un potentiel effet de verrouillage résultant des contrats de la société Repsol sur le marché espagnol de la distribution de carburant, Repsol a souhaité recourir à la procédure d’engagements.
Cette dernière, prévue à l’article 9§1 du règlement n°1/2003, permet à une entreprise, lorsque la Commission européenne envisage d’adopter une décision exigeant la cessation d’une infraction, de proposer des engagements en vue de répondre à des préoccupations de concurrence identifiées de façon préliminaire. Si la Commission les accepte, la procédure prend alors fin par la voie d’une décision rendant obligatoires les engagements.
En l’espèce, c’est après la décision 2006/446 de la Commission que Repsol a pris des engagements consistant notamment « à ne conclure à l’avenir aucun contrat d’exclusivité à long terme, à offrir aux locataires de stations-services concernés des incitations financières en vue de mettre fin avant l’échéance aux contrats d’approvisionnement qui les liaient à Repsol, ainsi qu’à ne pas acquérir, pendant une période déterminée, de stations-services indépendantes dont elle n’était pas le fournisseur ».
Après cette décision, une société titulaire d’un contrat de location de longue durée avec Repsol comportant une exclusivité d’approvisionnement en carburant a saisi le tribunal de commerce de Madrid d’une demande en annulation du contrat et en dommages-intérêts pour le préjudice subi. Le litige a ensuite été porté devant la Cour suprême espagnole qui a décidé d’interroger par voie de question préjudicielle la Cour de justice de l’Union européenne sur la portée contraignante pour les juridictions nationales de la décision de la Commission.
La réponse de la Cour européenne est très nette (CJUE 25/11/2017, aff.C-347/16) : « une décision sur les engagements adoptée par la Commission concernant certains accords entre entreprises, au titre de l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement, ne s’oppose pas à ce que les juridictions nationales examinent la conformité desdits accords aux règles de concurrence et constatent, le cas échéant, la nullité de ces derniers (…) ».
En outre, sur la base d’une lecture combinée des considérants 13 et 22 du règlement 1/2003, elle estime qu’une décision d’engagements laisse toute possibilité aux autorités de concurrence et juridictions nationales d’appliquer les dispositions européennes sur le droit des ententes et des abus de position dominante.
La Cour précise que la décision d’engagements prise par la Commission ne créé pas « une confiance légitime à l’égard des entreprises concernées quant à la conformité de leur comportement : la décision ne « légalise » pas la pratique sur le marché « et encore moins rétroactivement ».
Mais, outre ce dernier rappel sur la portée d’une décision d’engagements, la Cour parachève son analyse en indiquant qu’en raison des principes de coopération loyale et d’ application uniforme du droit de la concurrence, les juridictions nationales doivent prendre en considération toute décision d’engagements prise sur le fondement de l’article 9, paragraphe 1 du règlement 1/2003. Ainsi, une telle décision doit être regardée par le juge national saisi comme « un indice, voire un commencement de preuve du caractère anticoncurrentiel de l’accord en cause(…) ».
Le droit français connaît lui aussi la procédure d’engagements (art. L.464-2 et R464-2 C. Com.). Si dans son communiqué de procédure du 2 mars 2009 (point 18), l’ADLC rappelle que l’évaluation préliminaire rédigée au terme de mesures d’instruction allégées permet au rapporteur de préciser en quoi les atteintes à la concurrence relevées « sont susceptibles de constituer une pratique prohibée », on relèvera que le tribunal de commerce de Paris a déjà pu être saisi d’une action en réparation de préjudice sur la base d’une décision d’engagements à laquelle il avait fait droit (TC Paris 30 novembre 2015).
La cour d’appel de Paris vient cependant d’infirmer ce jugement faute, selon elle, pour l’intimée d’avoir caractérisé la preuve de l’existence des pratiques anticoncurrentielles. A cette occasion, la Cour a en revanche et pour sa part, estimé que des préoccupations de concurrence n’établissent pas l’existence de pratiques anticoncurrentielles, relevant que les parties reconnaissent qu’une décision d’engagements ni ne certifie la conformité des pratiques à l’origine des préoccupations de concurrence ni n’atteste de leur caractère infractionnel (CA Paris 20 décembre 2017).
La décision d’engagements ne doit pas être prise par les entreprises avec la seule pensée de mettre un terme à une procédure pouvant se terminer par le prononcé d’une amende. Non seulement la décision intervient au prix d’engagements qui doivent être précisément identifiés et ajustés, mais elle n’a aussi aucun d’effet d’absolution, en particulier sur un terrain civil, voire devrait, selon la Commission, être considérée comme un « a priori » défavorable de la pratique en cause.
Finalement, même en droit de la concurrence et comme avec tout engagement, c’est toujours mieux de le faire en parfaite connaissance de cause…
Auteur
Denis Redon, avocat associé en droit douanier et droit de la concurrence, CMS Francis Lefebvre Avocats