La dénégation du droit au statut des baux commerciaux : une épée de Damoclès sur la tête du preneur
Compte tenu de sa spécificité, le bénéfice de la propriété commerciale suppose la réunion de plusieurs conditions strictes. Lorsque celles-ci ne sont pas remplies, le bailleur pourra évincer le preneur, sans avoir à lui payer une indemnité d’éviction, en lui déniant l’application du statut des baux commerciaux. Si les conditions de mise en œuvre de cette faculté sont connues de longue date, les conditions de délai y présidant ont été affinées très récemment par la Cour de cassation.
Comment mettre en œuvre la dénégation du droit au statut ?
Forme de la dénégation. La dénégation du bénéfice du statut des baux commerciaux n’est soumise à aucune condition de forme. Ainsi, contrairement au refus de renouvellement pour motif grave et légitime, la dénégation du statut ne nécessite pas de délivrer une mise en demeure préalable1. De même, l’acte de dénégation n’a pas à contenir la mention obligatoire imposée par l’article L.145-9 du Code de commerce aux termes de laquelle le bailleur doit indiquer que le locataire qui entend, « soit contester le congé soit demander le paiement d’une indemnité d’éviction, doit [à peine de forclusion] saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné »2.
Motifs de la dénégation. Sur le fond, le bailleur n’a pas à justifier de l’existence d’un préjudice3. Il doit seulement constater qu’une des conditions d’application du statut, donc du droit au renouvellement, n’est pas remplie. Rappelons d’un mot que le bénéfice du droit au renouvellement d’un bail commercial suppose la réunion de plusieurs conditions cumulatives dont notamment :
- l’exploitation par le preneur d’un fonds de commerce dont il est propriétaire pendant une durée effective de trois années ;
- l’immatriculation du preneur au titre des lieux loués4.
Quand mettre en œuvre la dénégation ?
Avant toute procédure. Le bailleur peut dénier le statut dès qu’il signifie son congé au preneur ou qu’il répond à sa demande de renouvellement. Le bailleur peut également, après le congé, refuser le renouvellement du bail sans indemnité, s’il établit que les conditions du droit au renouvellement ne sont pas établies5. A fortiori, l’offre d’une indemnité d’éviction, compte tenu de son caractère provisoire, n’interdit pas au bailleur de refuser, par la suite, le renouvellement du bail sans indemnité, s’il établit que la location litigieuse ne rentre pas dans le champ d’application du statut6.
En cours de procédure. Il est de jurisprudence constante que la dénégation du statut peut intervenir à tout moment de la procédure en fixation du loyer de renouvellement7. De même, il a récemment été jugé que le bailleur qui a délivré un congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction peut, au cours de l’instance en fixation de l’indemnité d’éviction, dénier l’application du statut des baux commerciaux8. Précisons d’ailleurs que la dénégation du statut peut être invoquée pour la première fois devant la Cour d’appel9, mais non devant la Cour de cassation10.
Aussi, la question s’est posée de savoir jusqu’à quelle date la dénégation pouvait intervenir. La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de juger que tant que l’indemnité d’éviction n’est pas définitivement fixée, le propriétaire peut revenir sur son offre lorsqu’il établit que le preneur maintenu dans les lieux ne bénéficie pas du droit au renouvellement11. Elle a récemment affiné sa position dans un arrêt du 7 septembre 201713. Dans l’affaire qui lui était soumise, le bailleur avait délivré un congé avec offre de renouvellement pour le 31 mars 2010. Comme l’y autorise l’article L.145-57 du Code de commerce, il avait ensuite décidé d’exercer son droit d’option et avait donc signifié un nouveau congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction le 6 mars 2012. Plus de deux ans après la date d’effet du congé, il avait assigné le preneur en expulsion en lui déniant l’application du statut des baux commerciaux pour défaut d’immatriculation.
Par un arrêt du 30 mars 2016, la cour d’appel de Paris avait déclaré prescrite l’action en dénégation du droit au statut des baux commerciaux, en retenant que le bailleur doit agir dans le délai de prescription de l’article L.145-60 du Code de commerce, de deux ans à compter de la date d’effet du congé, la condition d’immatriculation s’appréciant à cette date. Cet arrêt est censuré, au visa des articles L.145-1 et L.145-60 du Code de commerce, par la Cour de cassation qui précise que « le bailleur qui a offert le paiement d’une indemnité d’éviction après avoir exercé son droit d’option peut dénier au locataire le droit au statut des baux commerciaux tant qu’une décision définitive n’a pas été rendue sur la fixation de l’indemnité d’éviction« . L’apport novateur de cet arrêt réside dans la reconnaissance de la possibilité pour le bailleur de mettre en œuvre la dénégation même après l’exercice du droit d’option. Or, on le sait, ce dernier est irrévocable. Ainsi, afin d’éviter d’avoir à payer une indemnité d’éviction, le bailleur qui a exercé son droit d’option pourra toujours dénier le statut tant qu’une décision définitive n’aura pas été rendue sur la fixation de cette indemnité.
Il en va de même dans le cadre d’une procédure en fixation du loyer de renouvellement ; à tout moment et tant qu’il n’y a pas eu d’accord sur le montant du loyer de renouvellement ou de décision définitive fixant le montant du loyer du bail renouvelé, le bailleur peut dénier au locataire le droit au statut des baux commerciaux.
Le preneur n’est donc jamais à l’abri d’un revirement et cela même s’il régularise sa situation a posteriori (par exemple s’il s’immatricule après la délivrance du congé ou de la demande de renouvellement).
Notes
1 Cass. 3e civ., 22 septembre 2016, n°15-18.456
2 Cass. 3e civ., 13 juin 2001, n°99-17.012
3 Cass. 3e civ., 22 mai 1979, n°77-15.653
4 Sur cette condition, V. Lettre des baux commerciaux #1, « L’immatriculation : clef de voûte du droit au renouvellement »
5 Cass. 3e civ., 23 février 1994, n°92-15.473
6 Cass. 3e civ., 5 mars 1971, n°69-12.458 ; Cass. 3e civ., 19 octobre 1971, n°70-12.385 ; Cass. 3e civ., 31 mai 1978, n°77-10.371
7 Cass. 3e civ., 10 janvier 1996, n°94-12.348 ; Cass. 3e civ., 18 janvier 2011, n°09-71.910 ; Cass. 3e civ., 19 novembre 2015, n°14-22.000
8 Cass. 3e civ., 3 novembre 2016, n°15-25.427
9 Cass. com., 12 octobre 1960, Bull. civ. III n°320
10 Cass. com., 26 avril 1963, Bull. civ. n°202
11 Cass. 3e civ., 29 février 1972, n°71-10.236
12 Cass. 3e civ., 7 septembre 2017, n°16-15.012
Auteurs
Sandra Kabla, avocat counsel, droit immobilier et droit commercial