Le millésime 2018 du droit français de la titrisation
Le nouveau droit français de la titrisation, issu des dispositions de l’ordonnance n°2017-1432 du 4 octobre 2017 portant modernisation du cadre juridique de la gestion d’actifs et du financement par la dette (l’« Ordonnance »), suscite bien des attentes. En effet, rangeant désormais les organismes de titrisation (« OT ») avec les flambants neufs organismes de financement spécialisés (« OFS ») au sein de la catégorie inédite des organismes de financement (« OF »), l’Ordonnance est porteuse d’un grand nombre d’innovations.
En premier lieu, certaines règles applicables aux organes des OT sont modernisées de sorte à offrir une plus grande souplesse aux OT mais aussi à tenir compte de la pratique. Cette modernisation passe notamment par l’institutionnalisation en droit français de la place du sponsor, bien connue du règlement (UE) n°575/2013 dit « CRR » : un OT peut désormais être géré et établi par un sponsor à la condition que la gestion du portefeuille de l’OT soit déléguée à une société de gestion de portefeuille. Par ailleurs, en matière de recouvrement, il revient clairement à la seule société de gestion de désigner un tiers recouvreur et faculté lui est offerte d’assurer elle-même cette tâche. De plus, les conventions par lesquelles les investisseurs peuvent instruire la société de gestion d’agir selon leurs votes font l’objet d’une reconnaissance législative. Enfin, les dispositions relatives aux dépositaires sont presque intégralement refondues : il faudra toutefois attendre une modification du Règlement général de l’Autorité des marchés financiers pour bien apprécier la portée de cette réécriture.
En deuxième lieu, également dans le sens de la flexibilité, les règles relatives au bilan des OT sont elles aussi modifiées. Ainsi, outre ce qui prévalait jusqu’alors, l’Ordonnance autorise les OT à acquérir des sous-participations en risque et trésorerie, mais aussi des titres de capital reçus par conversion de valeurs mobilières composées. Surtout, il est dorénavant possible pour les OT de mettre directement des fonds à disposition d’un emprunteur professionnel dans certaines conditions limitées. Concrètement, cela dispensera bien des montages de la lourde et passablement hypocrite opération de fronting au titre de laquelle un établissement de crédit mettait intégralement le financement à disposition avant de céder sa créance à un OT constitué ad hoc. Au passif, il est aussi possible d’inclure des sous-participations en risque et trésorerie, mais aussi toutes formes de ressources, de dettes ou d’engagements. Enfin, les OT peuvent maintenant octroyer des sûretés et garanties de toutes sortes, même non soumises à la transposition française de la directive dite « Collateral ».
En troisième lieu, le sort des investisseurs se voit amélioré. C’est notamment le fruit de la clarification selon laquelle les ordres de priorité de paiement (waterfalls) conventionnellement mis en place s’agissant des OT sont applicables même en cas de procédure collective. Poursuivant le même objectif, l’Ordonnance complète le régime des OT en prévoyant que la cession, dans le cadre ou à l’issue d’une procédure collective, de biens faisant l’objet d’un crédit-bail titrisé ne peut remettre en cause la poursuite du contrat de crédit-bail correspondant.
En dernier lieu, le bénéfice de la « cession Dailly » est étendu aux OT. Les OT peuvent donc se faire directement consentir des « cessions Dailly » à titre de garantie, et non plus uniquement à titre accessoire comme le permettrait déjà la Cour de cassation, et même faire accepter lesdites cessions par les débiteurs cédés.
Grâce à l’Ordonnance, les OT, et plus généralement les OF – puisque bien des innovations relevées s’appliquent aussi aux OFS –, s’imposent comme des véhicules particulièrement souples et robustes. Néanmoins, l’Ordonnance comporte aussi sa part d’ombre : pourquoi les OT ne peuvent-ils plus être estampillés ELTIF (au contraire des OFS) ? Ou encore : que sont ces entités et institutions régies par un droit étranger dont l’activité est similaire à celle des OT et qui bénéficient d’une nouvelle exception au monopole bancaire français en matière de créances non échues ?
A ces questions, espérons que le décret en Conseil d’Etat annoncé à maintes reprises par l’Ordonnance apporte des réponses. Au demeurant, pour conclure, le fait que ce décret n’ait pas été publié avant le 3 janvier 2018, date d’entrée en vigueur programmée de l’essentiel des dispositions de l’Ordonnance, laisse un planer un doute, et non des moindres : les dispositions de Ordonnance sont-elles vraiment en vigueur ? L’article 1er du Code civil permet d’en douter… 2018 commence bien !
Auteur
Alexandre Bordenave, avocat counsel au sein de l’équipe Titrisation et financements structurés