Vers une « blockchainisation » de l’énergie ?
La blockchain est une technologie qui permet de stocker et transmettre des informations de façon décentralisée : il n’y a pas d’organe de contrôle, la blockchain étant fondée sur des relations peer-to-peer. Elle se veut transparente (chacun peut consulter l’ensemble des échanges inscrits sur une blockchain depuis sa création) et sécurisée, lors de la création de nouveaux blocs et grâce à sa réplication sur l’ensemble des nœuds du réseau (pour plus d’informations, voir l’ouvrage de Blockchain France, la Blockchain décryptée, les clefs d’une révolution, mai 2016, disponible en PDF sur simple demande).
L’application la plus connue de cette technologie est celle de la monnaie virtuelle (bitcoin), créée en 2008 : il s’agit d’un protocole où la création monétaire et la validation des transactions s’effectuent de manière horizontale et transparente, sans autorité centrale ni tiers de confiance.
Blockchain France répertorie dans l’ouvrage précité trois types d’usages de la blockchain :
- celui du transfert d’actifs (monétaires, mais aussi actions, obligations, titres de propriété, votes etc.) ;
- celui de l’enregistrement et de la tenue des registres, en raison du caractère inaltérable et transparent de la blockchain (certificats de naissance, mariage etc.) ;
- et enfin celui des smarts contracts, qui selon Blockchain France a le plus de potentialités.
Hors les crypto-monnaies virtuelles, le développement de la blockchain en est encore à un stade très prospectif, le secteur le plus avancé sur ce sujet étant sans doute celui des services financiers1.
Néanmoins, le secteur de l’énergie sous l’effet de sa décentralisation, de sa digitalisation et de sa financiarisation s’intéresse de plus en plus à cette technologie, sur toute sa chaîne de valeur. Sont ainsi concernées la traçabilité de la production d’énergies renouvelables ainsi que la tenue de registre.
Blockchain France présente le SolarCoin, projet de blockchain qui touche le secteur de la production et de la traçabilité de l’électricité renouvelable : il s’agit d’une crypto-monnaie destinée à inciter la production d’électricité photovoltaïque. Le principe est de donner pour chaque MWh d’énergie solaire 1 SolarCoin au producteur, qui pourra être échangé ensuite sur une place de marché. Pour permettre le développement de cette crypto-monnaie, Lumo, la plateforme de financement participatif, l’a testée en 2016 pour le financement de serres photovoltaïques à Toreilles : les particuliers qui souscrivaient à ce projet se sont vu attribuer un SolarCoin pour chaque MWh produit par l’installation. Lumo a renouvelé l’opération à l’été 2017 pour la centrale photovoltaïque de Brassemonte (voir son communiqué du 24 juillet 2017).
D’autres exemples (e-can.ch, powerpeers, Grid+ Blockchain) ont été récemment exposés par E-Cube Strategy Consultants (E-can.ch, powerpeers, grid+ Blockchain : ces nouveaux modèles qui veulent rapprocher consommateur et producteur d’électricité, novembre 2017). Enfin, ce même cabinet de consultants vient aussi de consacrer une étude aux liens entre autoconsommation et blockchain (Autoconsommation collective et Blockchain : perspectives sur deux phénomènes émergents et liés, novembre 2017).
De nombreux mécanismes dans le secteur de l’énergie nécessitent la tenue d’un registre par un organisme unique, qui consigne les transferts de certains biens meubles cessibles que sont les garanties de capacité, les garanties d’origine ou encore les certificats d’économies d’énergie. La blockchain pourrait désintermédier de tels systèmes.
Ainsi par exemple, les garanties de capacité du mécanisme de capacité sont consignées dans le registre des garanties de capacité, registre à caractère confidentiel tenu par RTE qui comptabilise de manière sécurisée toutes les opérations de délivrance, de transaction et de destruction de garanties de capacité qui sont échangeables et cessibles (article L.335-3 du Code de l’énergie), la propriété d’une garantie de capacité résultant de son inscription, par le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, au compte du propriétaire.
On pense aussi aux garanties d’origine : une garantie d’origine est « un document électronique servant uniquement à prouver au client final qu’une part ou une quantité déterminée d’énergie a été produite à partir de sources renouvelables ou par cogénération » (article R.314-53 du Code de l’énergie) qui permet de prouver qu’une certaine quantité d’électricité renouvelable a été injectée sur le réseau électrique. Cette garantie d’origine peut être transférée dans les conditions de l’article R.314-65 du Code de l’énergie qui énonce qu’ « une garantie d’origine peut, après sa délivrance, être transférée. L’organisme chargé de la délivrance des garanties d’origine est informé du transfert. Il conserve les noms et coordonnées des titulaires successifs d’une garantie d’origine ». L’organisme actuellement chargé de la délivrance des garanties d’origine est Powernext, qui tient à jour le registre des garanties d’origine, accessible au public, dans lequel sont consignés le transfert et l’annulation des garanties d’origine de l’électricité produite à partir de sources renouvelables (article R.314-64 du Code de l’énergie).
Enfin, on peut évoquer les certificats d’économies d’énergie (articles L.221-1 et suivants du Code de l’énergie), dispositif dans lequel les certificats délivrés sont exclusivement matérialisés par leur inscription sur un compte individuel ouvert dans le registre national des certificats d’économies d’énergie, dont la tenue a été déléguée à une personne morale. Le registre accessible sur emmy.fr enregistre l’ensemble des transactions (ventes et achats) de certificats et fournit une information publique régulière sur le prix moyen d’échange des certificats.
On voit donc se dessiner une multitude d’usages possible de la blockchain dans le secteur de l’énergie. Il reste à voir ceux qui prospèreront et à quelle vitesse.
Retrouvez toutes les analyses de nos avocats à propos de la blockchain ici.
Note
1 Voir Karima Lachgar, Arnaud Reygrobellet, Jérôme Sutour, Bruno Zabala, « Les sirènes de la blockchain : mirage ou terre promise ? » in Revue Banque & Droit n°175 septembre-octobre 2017 ; Marc-Etienne Sébire et Jérôme Sutour, « Quel régime pour les Initial Coin Offerings ? », Option Finance, n°1428, septembre 2017 ; Karima Lachgar et Jérôme Sutour, « (R)évolution blockcahin pour les titres non cotés français : enjeux et perspectives autour de la consultation publique de la Direction générale du Trésor », LEXplicite.fr, 9 juin 2017
Auteur
Aurore-Emmanuelle Rubio, avocat en droit de l’énergie et droit public
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