Exercice d’une activité professionnelle pendant un arrêt maladie : la Cour de Cassation à contre-courant
20 janvier 2014
Alors que les Caisses Primaires s’efforcent de lutter contre la fraude à l’Assurance Maladie, la Cour de Cassation persiste à considérer, en matière de droit du travail, que l’exercice d’une activité professionnelle pendant un arrêt maladie ne constitue pas, en lui-même, une faute sanctionnable.
Une obligation de loyauté du salarié restreinte pendant un arrêt maladie
Selon une jurisprudence constante de la Cour de Cassation (notamment Cass.soc, 4 juin 2002, n°00-40.894 ; Cass.soc, 11 juin 2003, n°02-42.818), l’exercice d’une activité professionnelle pendant un arrêt maladie ne constitue en lui-même pas un manquement à l’obligation de loyauté du salarié.
Or, en continuant à exercer une activité, le salarié détourne l’arrêt de travail de sa finalité et le vide de sa substance. Il compromet sa convalescence au détriment de son employeur qui devra possiblement avoir à pallier une absence plus longue.
De surcroît, si le salarié est en mesure de travailler pour le compte d’un autre employeur ou pour son propre compte, c’est qu’il est également vraisemblablement capable, au moins en partie, de travailler pour son employeur initial.
Le fait que la nouvelle activité soit, le plus souvent, exercée à l’insu de l’employeur laisse à penser que le salarié lui-même n’est pas convaincu de l’intégrité de sa démarche…
Une obligation de loyauté qui devrait être renforcée et proportionnée aux contraintes que génère l’absence du salarié
Les restrictions imposées à l’employeur pendant la suspension du contrat de travail sont particulièrement sévères : il ne peut ni demander au salarié de poursuivre la collaboration (Cass.soc, 15 juin 1999, n°96-44.772), ni même laisser un salarié animé d’une conscience professionnelle aigüe prêter son concours volontairement, ponctuellement et bénévolement (Cass.soc, 21 novembre 2012, n°11-23.009). Comment, dès lors, admettre qu’il en soit différemment pour un autre employeur ?
L’aptitude du salarié à exercer ses fonctions devrait pouvoir être immédiatement vérifiée et la pertinence de l’arrêt de travail (ainsi que des avantages qui y sont attachés en matière de droit du travail) reconsidérée.
L’indulgence dont fait preuve la Cour de Cassation incite certains salariés à profiter de leur arrêt maladie pour s’essayer à d’autres activités professionnelles, tout en restant « subventionnés » par leur employeur initial (ainsi que par la sécurité sociale) et en s’assurant de retrouver leur place dans l’entreprise si leur nouveau projet ne devait pas prospérer.
Un licenciement délicat…
Ces abus mériteraient d’être sanctionnés, a fortiori dans un contexte économique difficile pour les
entreprises.
Toutefois, dans l’attente d’une jurisprudence plus nuancée en adéquation avec les réalités du monde de l’entreprise, il est recommandé aux employeurs de faire preuve de prudence dans l’appréciation de la situation de leur salarié.
… mais pas impossible
Dans un arrêt du 16 octobre 2013 (Cass.soc, 16 octobre 2013, n°12-15.638), la Cour de Cassation vient de confirmer une jurisprudence récente (Cass.soc, 12 octobre 2011, n°10-16.649) invitant les juges du fond à rechercher si l’activité exercée par le salarié pendant son arrêt de travail a causé, ou non, un préjudice à l’employeur.
L’employeur n’est plus totalement démuni lorsqu’il découvre que l’un de ses salariés exerce, pendant son arrêt de travail, une activité professionnelle pour son propre compte ou pour le compte d’un autre employeur.
Il convient toutefois d’observer que, dans les faits, la démonstration du préjudice n’est pas évidente.
En dehors de l’hypothèse où le salarié exerce une activité concurrente pendant son arrêt maladie, les juges peinent à admettre que le comportement du salarié soit dommageable pour l’employeur.
Le préjudice des entreprises est pourtant bien réel, que l’activité exercée par le salarié pendant l’arrêt maladie soit, ou non, concurrente.
Quelques pistes sur le préjudice de l’employeur
L’employeur pourrait par exemple faire valoir un trouble au bon fonctionnement du service auquel appartient le salarié absent et soulever des difficultés d’ordre managérial.
En effet, avec un tel modèle, est-il encore possible de lutter contre l’absentéisme ? Comment faire admettre aux collaborateurs de l’équipe qu’ils doivent assumer, en plus de leur propre charge de travail, celle du salarié absent alors que celui-ci est manifestement en état d’exercer une activité (même réduite) et cumule, de surcroît, les avantages liés à l’arrêt maladie avec un autre revenu professionnel ? Une telle situation ne peut que susciter de vives réactions en interne.
L’employeur pourrait également déplorer un préjudice financier.
L’absence du salarié implique des adaptations coûteuses (maintien de salaire sans contrepartie, embauche pour pourvoir le poste vacant, etc.) qui n’apparaissent plus justifiées si l’arrêt de travail n’est pas totalement légitime ou si le salarié ne consacre pas cette période à son seul rétablissement.
A propos des auteurs
Nicolas Callies, avocat associé. Il est spécialisé dans la réorganisation de grands groupes industriels et d’établissements financiers, dans l’accompagnement lors de négociation avec les partenaires sociaux dans des contextes de crise, dans l’assistance à l’occasion de la négociation annuelle obligatoire et de négociation de statut collectif, d’accords seniors, GPEC, droit syndical… dans les contentieux collectifs (contestation désignation d’expert, élections professionnelles…), l’épargne salariale (négociation d’accords d’intéressement, de participation et plan d’épargne dans de grands groupes), la formation en matière sociale des directeurs d’agence d’un établissement financier et de directeurs de magasin et responsables régionaux d’un groupe de distribution, le contentieux prud’homaux, le statut des dirigeants et l’assistance lors des contrôles URSSAF et contentieux sécurité sociale.
Faustine Monchablon-Polak, avocat spécialisé en droit social,
Article paru dans Les Echos Business du 20 janvier 2014
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