Contrefaçon par fourniture de moyens : un papier explicatif
L’article L.613-4 du Code de la propriété intellectuelle constitue une bizarrerie du droit des brevets français. Dérogeant au droit commun, il énonce en effet qu’est interdite « la livraison ou l’offre de livraison […] à une personne autre que celles habilitées à exploiter l’invention brevetée, des moyens de mise en œuvre […] de cette invention se rapportant à un élément essentiel de celle-ci ».
On sait que l’article L.613-3 du Code de la propriété intellectuelle énonce que « l’étendue de la protection conférée par le brevet est déterminée par les revendications ». Cet article restreint donc les hypothèses de contrefaçon, ce qui assure une certaine sécurité juridique et permet un juste équilibre entre la protection de la propriété intellectuelle de l’inventeur et le développement de l’innovation.
L’article L.613-4 sanctionnant la contrefaçon par fourniture de moyens est donc une exception à cette règle, puisqu’il permet de sanctionner celui qui livre ou offre à la livraison un moyen qui ne reproduit pas en lui-même un élément d’une revendication et est protégé à ce titre par un brevet.
Cette disposition était certainement nécessaire, pour pouvoir sanctionner la fourniture d’éléments permettant à des clients finaux de réaliser la contrefaçon d’une invention brevetée.
Pour autant, rédigée en des termes si ambigus qu’elle en devient embarrassante, elle ne laisse indifférente ni la doctrine ni la jurisprudence qui s’attachent régulièrement à en préciser les contours.
La Cour de cassation a précisément rendu, le 8 juin 2017, un arrêt utile à la compréhension de ce texte (Cass. com., 8 juin 2017, n°15-29.378).
En l’espèce, il était question d’un brevet européen désignant la France, ayant pour titre « distributeur de papier toilette dans lequel est logé un rouleau, le rouleau de papier toilette et le distributeur ». La première revendication de ce brevet couvrait un distributeur de papier, comprenant un boîtier dans lequel est logé un rouleau de papier, qui comprend des prédécoupes transversales à la bande. Le boîtier comporte un orifice de distribution, par lequel la bande de papier est dévidée, caractérisé en ce que ledit papier est un papier toilette et ledit distributeur comporte une buse avec ledit orifice de distribution, ladite buse et ledit rouleau de papier étant agencés pour que les feuilles de papier se dévident une à une et sortent avec un froissement réduit à la sortie de la buse. Ayant constaté la mise sur le marché de distributeurs de papier toilette et de rouleaux de papiers identiques à ceux décrits au brevet, la société Tissue France, titulaire du brevet, a assigné les sociétés Sipinco et Global Hygiène en contrefaçon.
Le débat présenté à la Cour de cassation portait sur deux conditions de l’article L.613-4, déjà examinées par la cour d’appel de Paris (CA Paris, 25 novembre 2014, n°2013/13513), à savoir la livraison ou l’offre de livraison de moyens se rapportant à un élément essentiel de l’invention, ainsi que la connaissance par le prétendu contrefacteur de ce que les moyens incriminés sont aptes et destinés à la mise en œuvre de l’invention.
Auteurs
José Monteiro, of Counsel, droit de la propriété intellectuelle
Clotilde Patte, juriste, droit de la propriété intellectuelle