Déséquilibre significatif : l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce est-il une loi de police ?
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris retiendra l’attention notamment en ce qu’il se prononce clairement sur la qualification de loi de police de l’interdiction énoncée par l’article L 442-6 I 2° du Code de commerce.
Le ministre de l’Économie avait assigné plusieurs sociétés de droit étranger actives dans le secteur de la réservation hôtelière en ligne devant le Tribunal de commerce sur le fondement de l’article L 442-6 du Code de commerce. Il estimait que les clauses de parité et de disponibilité des chambres insérées dans les contrats conclus par les sociétés de réservation hôtelière avec les hôteliers situés sur le territoire français créaient un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment de ces derniers. Les sociétés de réservation hôtelière mises en cause avaient invoqué l’incompétence du Tribunal français en raison d’une clause attributive de compétence aux juridictions anglaises et d’une clause prévoyant l’application de la loi anglaise présentes dans les contrats.
La Cour d’appel valide la compétence du juge français et confirme que la loi française prohibant le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties est applicable.
Sur la juridiction compétente
La clause attributive de juridiction est inopposable au ministre de l’Économie car celui-ci n’agit ni comme partie au contrat ni sur le fondement du contrat, mais en tant que gardien de l’ordre public économique.
L’action du ministre n’est pas une action indemnitaire fondée sur un manquement aux obligations du contrat, mais une action publique fondée sur le comportement fautif d’une des parties à la relation commerciale ayant consisté à violer une disposition légale (en imposant à l’autre partie des clauses affectées de nullité). L’action du ministre étant de nature extracontractuelle, il doit être fait application des règles inscrites dans le règlement 44/2001 du 22 décembre 2000, Bruxelles I (article 5.3 devenu article 7.2) qui prévoient la compétence du tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. Au cas particulier, l’hôtelier français, en cause dans le litige, est situé sur le territoire de l’Union européenne.
La Cour en conclut qu’elle peut retenir sa compétence car les hôtels signataires des contrats, victimes des pratiques, sont situés sur le territoire français, de sorte que le lieu de survenance du dommage serait la France.
Sur la loi applicable au litige
La Cour d’appel fait application du règlement 864/2007 du 11 juillet 2007, règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles s’agissant d’une procédure relevant de la matière délictuelle, le ministre étant un tiers au contrat.
La Cour se réfère à l’article 4.1 de ce règlement selon lequel la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, « quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit ». Il s’ensuit que la loi applicable est donc le droit français.
Mais surtout la Cour ajoute qu’à « supposer même que la règle de conflit aboutirait à la désignation d’une loi étrangère », les lois de police françaises auraient à s’appliquer (Règl. Rome II, art. 16 visant « l’application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l’obligation non contractuelle »).
La Cour estime alors que l’interdiction du déséquilibre significatif reprise à l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce invoquée par le ministre prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d’une certaine égalité des armes et de la loyauté entre partenaires économiques. Ces dispositions « s’avèrent donc indispensables pour l’organisation économique et sociale ». La Cour se réfère au « régime spécifique commun à ces délits civils prévu au III, caractérisé par l’intervention du ministre de l’économie pour la défense de l’ordre public, et les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment possibilité de demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l’importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions ».
La Cour affirme ici clairement que l’interdiction du déséquilibre significatif s’inscrit dans une logique de régulation du marché, ce qu’ont par ailleurs confirmé plusieurs avis de la CEPC : le dispositif du déséquilibre significatif tend « à assurer un meilleur équilibre des relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs et par là-même, une meilleure égalité des conditions de concurrence sur le marché ».
CA Paris 21 juin 2017, n°15/18784, Ministre de l’économie c/ Sté Expedia Inc
Auteur
Nathalie Pétrignet, avocat associée, spécialisée en matière de droit de concurrence national et européen, pratiques restrictives et négociation commerciale politique de distribution et aussi en droit des promotions des ventes et publicité.