Refus d’accès à une base de données leader sur le marché
L’affaire Euris/Cegedim, dans laquelle était posée la question du refus d’accès à une base de données leader sur le marché, donne à la Cour de cassation l’occasion de rappeler quelques règles d’appréciation des abus de position dominante dans ce domaine.
En premier lieu, le marché pertinent d’une base de données peut valablement être défini en tenant compte des besoins particuliers et propres aux utilisateurs finals des informations qu’elle contient, quand bien même la demande d’accès émane également de tiers dans le but de créer des logiciels à destination de ces utilisateurs.
En deuxième lieu, il n’est pas nécessaire, pour caractériser une position dominante sur un tel marché, de pouvoir qualifier cette base d’infrastructure essentielle (indispensable pour l’accès à la clientèle et non reproductible par la concurrence dans des conditions économiquement raisonnables). Au cas d’espèce, la position dominante de Cegedim est déduite de sa part de marché et de son portefeuille de clientèle, mais également des qualités de la base de données objet du litige, « telles son exhaustivité et sa mise à jour quotidienne, lesquelles réclament un investissement important et continu, ce qui constitue une réelle barrière à l’entrée ».
En troisième lieu, l’abus de position dominante peut quant à lui être établi sur le seul constat d’un traitement discriminatoire d’une société en particulier (« qu’il était établi que la société Cegedim refusait de vendre sa base de données Onekey aux seuls utilisateurs actuels et potentiels de solutions logicielles commercialisées par la société Euris, cependant qu’elle acceptait de la vendre à des utilisateurs ayant recours à des logiciels concurrents »), dès lors que ce refus discriminatoire crée, sans justification économique ou juridique, un désavantage en termes de coûts et d’image par rapport à l’ensemble de ses concurrents, ce qui a pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché.
En quatrième lieu, s’il reste possible à l’auteur de la pratique de la justifier par des objectifs légitimes, elle doit pouvoir être considérée comme appropriée et proportionnée à ces objectifs. Au cas d’espèce, il a été jugé que la stratégie commerciale de Cegedim consistant à opposer à tous les utilisateurs du logiciel de la société Euris un refus d’accès à la base de données OneKey constituait une pratique discriminatoire qui allait au-delà de la défense légitime de ses droits et procédait d’une exploitation abusive de sa position dominante. Selon la Cour de cassation, les soupçons sur d’éventuelles pratiques de contrefaçon ne pouvaient que conduire la société Cegedim à introduire les actions judiciaires prévues pour la protection de ses droits, ce qu’elle avait d’ailleurs fait.
Enfin, l’arrêt retient l’attention quant au point de départ de la pratique abusive, qui n’est pas la date à laquelle la société Cegedim a fait connaître son refus de laisser les clients d’Euris accéder à sa base de données mais la date de l’introduction de l’action en contrefaçon, action qui n’apparaît pourtant pas abusive en elle-même.
Dans cette affaire, l’Autorité de la concurrence, saisie d’une plainte de la société Euris, avait établi que, grâce à sa position dominante sur le marché des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales, la société Cegedim avait commis un abus sur le marché connexe des logiciels de gestion de la clientèle, en refusant de vendre sa base de données OneKey aux seuls utilisateurs de solutions logicielles commercialisées par la société Euris, et l’avait sanctionnée à hauteur de 5,7 millions d’euros. La Cour de cassation approuve donc cette décision en rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt confirmatif de la cour d’appel de Paris (Paris, 24 septembre 2015).
Cass. Com., 21 juin 2017, n°926, Euris/Cegedim
Auteur
Virginie Coursière-Pluntz, avocat counsel, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris, droit de la concurrence et droit européen tant en conseil qu’en contentieux.