SMS, Emails et messages vocaux : les nouveaux moyens de preuve
3 janvier 2014
Les SMS et courriers électroniques (Emails) constituent aujourd’hui un moyen de communication très courant, y compris dans le cadre des relations de travail.
Il est fréquent en effet que les salariés échangent de cette manière avec leur supérieur hiérarchique ou leur employeur, et vice versa. Il est tout aussi patent de constater qu’employeurs et salariés ont pris l’habitude de se laisser des messages vocaux – parfois fleuris – sur le répondeur de leurs téléphones mobiles respectifs.
Ces nouveaux modes de communication constituent-ils un moyen de preuve recevable devant le conseil de prud’hommes ? Ont-ils une quelconque force probante ? Ces questions méritent d’être posées dès lors que ces échanges électroniques sont susceptibles, à un moment ou à un autre, de se retrouver, en cas de contentieux, au centre du débat judiciaire.
1. Le principe général : la preuve est libre en matière prud’homale
Le 23 octobre 2013 (pourvoi n°12.22342), la Cour de cassation a jugé qu’en matière prud’homale, la preuve était libre.
Elle a exposé ce principe pour affirmer que rien ne s’opposait à ce que le juge prud’homal examine une attestation établie par deux salariés ayant représentés l’employeur lors de l’entretien préalable à un licenciement (il s’agissait en l’espèce d’une part du responsable des ressources humaines, et d’autre part du responsable d’une unité) et qu’il appartenait seulement à ce juge d’en apprécier souverainement la valeur et la portée.
Ce principe est transposable aux échanges électroniques et vocaux, sous les conditions exposées ci-après.
La Cour de Cassation a été amenée à juger, les 11 mai 2004 (n°03-80254 et 03-85521) et 30 juin 2004 (n°02-41720 et 02-41771) qu’un salarié pouvait produire en justice les documents dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions (bulletins de paie d’autres salariés, notes manuscrites, rapports ….), à partir du moment où leur production était strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense dans le litige l’opposant à son employeur.
2. Quid de la recevabilité des SMS ?
Aux termes d’une décision en date du 23 mai 2007 (n°06-43209) la Cour de cassation a estimé que l’utilisation par le destinataire de « messages écrits téléphoniquement adressés » (soit en clair des SMS), dont l’auteur ne pouvait ignorer qu’ils étaient enregistrés par l’appareil récepteur, est licite. Dans cette affaire, une salariée se prétendant harcelée sexuellement, s’était notamment appuyée sur les SMS qu’elle avait reçus du présumé harceleur. La Cour de cassation a admis qu’il s’agissait là d’un mode de preuve recevable.
Le destinataire de SMS, en pareil cas, aura intérêt à faire constater par acte d’huissier la présence, le nombre, la date et l’heure, l’expéditeur ainsi que le contenu desdits messages, afin d’éviter les discussions concernant la réalité et la sincérité des messages et de leur contenu.
3. Qu’en est-il également de la recevabilité des Emails ?
S’agissant des Emails, on peut tout d’abord se référer aux dispositions des articles 1316-1 à 1316-4 du Code civil. Il ressort de ces articles, en particulier :
- que « l’écrit sous forme électronique » est admis comme mode de preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane, et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en en garantir l’intégrité,
- que « l’écrit sur support électronique » a la même force probante que l’écrit sur support papier,
- que la signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie celui qui l’appose et manifeste le consentement des parties aux obligations qui en découlent,
- que lorsqu’elle est électronique, la signature consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache ; que la fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garantie.
Dans une affaire tranchée par la Cour de cassation le 25 septembre 2013, une salariée s’est vue notifier son licenciement pour faute grave, motif pris de son absence injustifiée consécutivement à un arrêt maladie.
La salariée contestait cette absence injustifiée et s’appuyait, pour justifier ses dires, sur un Email qu’elle avait reçu de son employeur, et dans lequel il semble que ce dernier lui demandait de ne plus venir travailler.
Les termes de ce mail étaient particulièrement virulents et déplacés : « Salut grosse vache. Alors t’es contente que Marjorie t’ai appelée ? En tous cas, saches que ça ne changera rien du tout !!!! j’attends toujours ta lettre de démission car (…) tu dois bien comprendre que je ne veux plus voir ta gueule et qu’il est hors de question que je débourse un centime pour ton licenciement !!!! Et pas la peine que tu me casses les c….. avec tes conneries de prud’hommes parce que moi j’ai un avocat et je t’enfoncerai encore plus que je l’ai déjà fait et crois-moi c’est possible (…) Pauvre c…., tu croyais vraiment que je t’avais recruté pour tes compétences ? Alors je te préviens envoies-moi ta lettre et plus vite que ça, tu vas enfin bouger ton gros c…. pour quelque chose !!!! (…) P.S : tes heures sup tu peux te les foutre au c…. ».
Manifestement ennuyé par la production de cette pièce, l’employeur a prétendu ne pas être l’auteur de cet Email et a soutenu, notamment :
- que si une partie (lui-même en l’occurrence) conteste l’authenticité d’un courrier électronique, il appartient au juge de vérifier si les conditions posées par les articles 1316-1 et suivants précités du Code civil à la validité de l’écrit ou de la signature électroniques sont satisfaites,
- qu’en affirmant que le gérant de la société, employeur de la salariée, était bien l’auteur et l’expéditeur d’un courrier électronique dont l’authenticité était contestée, aux motifs que l’employeur ne rapportait pas la preuve que l’adresse de l’expéditeur mentionnée sur le courriel soit erronée ou que la boite d’expédition de la messagerie de l’entreprise ait été détournée, et qu’en tout état de cause un tel détournement ne pourrait être imputé à la salariée, sans vérifier comme elle y était tenue si ledit courriel avait été établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité et s’il comportait une signature électronique résultant de l’usage d’un procédé fiable d’identification, la Cour d’appel, qui a donné effet et foi au courriel en cause, a contrevenu aux articles 1316-1 et 1316-4 du Code civil.
La Cour de cassation a balayé cet argument en estimant que les articles 1316-1 et suivants du Code civil ne sont pas applicables au courrier électronique (donc à l’Email) produit pour faire la preuve d’un fait, dont selon la même Cour l’existence peut être établie par tous moyens de preuve, lesquels sont appréciés par les juges du fond (soit concrètement le conseil de prud’hommes puis par la Cour d’appel).
4. Attention aux propos laissés sur la messagerie téléphonique
Dans une affaire soumise à la Haute Cour le 6 février 2013, un salarié, pour se prévaloir d’un licenciement verbal et solliciter en conséquence les indemnités afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, s’est appuyé sur les propos laissés par son employeur sur la messagerie de son téléphone.
L’employeur a en particulier mis en avant la déloyauté de ce procédé, estimant que les messages laissés sur le répondeur vocal d’un téléphone mobile ne sont pas assimilables à des écrits et que ces messages n’avaient pas, dans l’esprit de son auteur, vocation à être conservés ni retranscrits à son insu.
La Cour de cassation n’a pas suivi l’analyse développée par l’employeur. Elle a estimé en effet que l’utilisation par le destinataire (soit en l’espèce le salarié) des messages téléphoniques vocaux, dont l’auteur (l’employeur) ne pouvait ignorer qu’ils étaient enregistrés par l’appareil récepteur, était licite.
5. Quelques limites malgré tout
Il est tout à fait clair que, pour les produire en justice, le salarié ne doit pas s’être procuré les documents sur lesquels il s’appuie dans des conditions douteuses, et a fortiori qu’il ne doit pas les avoir subtilisés ou volés.
De la même manière, dans sa décision précitée du 23 mai 2007, confirmée depuis lors par un arrêt en date du 6 février 2013 (n°11-23738), la Cour de cassation a estimé que l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué à l’insu de l’auteur des propos invoqués, se présente comme un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue.
L’enregistrement « sauvage » de conversations avec son supérieur hiérarchique à son insu ou des propos tenus par ce dernier lors de l’entretien préalable au licenciement, qui n’en a là encore pas été préalablement avisé, n’a donc que peu d’intérêt.
Au-delà des limites et réserves qu’elle a posées, on voit bien que la Cour de cassation fait preuve d’une certaine souplesse sur ces sujets, pourtant placés au cœur d’une partie significative des affaires plaidées devant les juridictions prud’homales. Sa jurisprudence est d’autant plus surprenante que l’on sait à quel point il est facile, s’agissant à tout le moins des Emails, de manipuler et/ou de modifier leur contenu d’origine.
En considération de ces éléments, il y a lieu pour les salariés comme pour les employeurs non seulement de limiter le nombre d’envoi de mails, mais encore d’appliquer, lors de la rédaction de messages écrits par SMS, Emails ou tout autre support électronique, ou lors de la dictée de messages vocaux, les principes de précaution et de prudence. Les écrits restent et il est particulièrement aisé, pour celui qui y aura intérêt, d’en faire état ultérieurement, au moment le plus opportun.
De la même manière, la pratique des contentieux montre que le sens donné à un mail au moment où l’affaire est plaidée n’est pas toujours celui souhaité au départ par son auteur.
A propos de l’auteur
Rodolphe Olivier, avocat associé. Il anime l’équipe contentieuse et intervient plus particulièrement dans les litiges pendants devant le conseil de prud’hommes (tous types de litiges), le tribunal d’instance (contestation de désignations de délégués syndicaux, élections professionnelles, représentativité syndicale, reconnaissance d’unité économique et sociale, référendum des salariés à la suite de la signature d’accords collectifs…), le tribunal de grande instance (dénonciation et mise en cause d’accords collectifs, demande de suspension de la procédure consultative auprès du comité d’entreprise, demande d’annulation de plans de sauvegarde de l’emploi, grèves, contestation d’expertise CHSCT ou CE…), le tribunal des affaires de sécurité sociale (urssaf, affiliation, accident du travail, maladie professionnelles, faute inexcusable,…), le tribunal de police et tribunal correctionnel (discrimination syndicale, délit d’entrave, contraventions à la durée du travail, harcèlement moral…) et le tribunal administratif et cour administrative d’appel (contestation des décisions de l’Inspection du travail ou du Ministre…).
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