Retraite supplémentaire et caractère collectif : une condition d’ancienneté continue ne peut être exigée
12 septembre 2017
Dès 2005, la Direction de la sécurité sociale admettait l’existence d’une condition d’ancienneté de 12 mois maximum dans le cadre d’un régime de retraite supplémentaire, sans que le caractère collectif de celui-ci ne soit remis en cause. La Cour de cassation est venue toutefois préciser très récemment que ne peut être exigée une condition d’ancienneté continue.
Pour mémoire, les contributions patronales finançant un régime de retraite supplémentaire sont exclues de l’assiette des cotisations de sécurité sociale, dans certaines limites, sous réserve notamment que celui-ci présente un caractère collectif. Depuis une circulaire du 25 août 2005, la Direction de la sécurité sociale admet qu’une condition d’ancienneté maximum de 12 mois puisse être prévue dans le cadre d’un régime de retraite supplémentaire, sans que le caractère collectif du régime ne soit remis en cause. Ce même principe a été repris de manière constante par une circulaire de la Direction de la sécurité sociale du 30 janvier 2009, puis par le décret n°2012-25 du 9 janvier 2012.
Toutefois, aucun de ces textes n’encadrait le mode de décompte de l’ancienneté susceptible d’être retenu dans ce contexte, excepté la circulaire du 30 janvier 2009 précitée qui indiquait, par analogie avec les plans d’épargne d’entreprise, « Cette condition d’ancienneté doit être appréciée au regard de la seule durée d’appartenance juridique à l’entreprise (et non au regard de la durée d’appartenance à la catégorie bénéficiaire du système de garanties).
Exemple : un dispositif soumis à une condition d’ancienneté d’un an et bénéficiant aux seuls cadres doit être ouvert à tous les cadres ayant au moins un an d’ancienneté dans l’entreprise, quel que soit l’emploi effectivement occupé pendant ce temps ».
Mais ce n’est que très récemment (Cass. 2e Civ. 15 juin 2017, n°16-18.532) que la Cour de cassation s’est prononcée sur ce point, en retenant une solution qui n’est pas sans soulever d’importantes difficultés. Dans cette affaire, une URSSAF avait considéré que le régime de retraite à cotisations définies mis en place par une société à effet du 1er septembre 2009 au profit de l’ensemble du personnel, ne présentait pas un caractère collectif car un an d’ancienneté continue était exigé pour le bénéfice du régime. Elle relevait notamment que les salariés titulaires d’un contrat à durée déterminée de moins de 12 mois ne pouvaient bénéficier du régime de retraite, même s’ils avaient déjà été titulaires antérieurement de contrats à durée déterminée au sein de l’entreprise, dès lors que le calcul de l’ancienneté était opéré par l’entreprise « contrat par contrat ».
Une différence de traitement entre les salariés justifiant d’un CDD de 12 mois, et ceux ayant cumulé des CDD successifs de 12 mois, avec ou sans période interruption
Confirmant l’arrêt d’appel ayant validé le redressement, la Cour de cassation a jugé que :
« […] l’analyse de la convention démontre que le régime de retraite ainsi mis en place était réservé aux salariés justifiant d’une ancienneté continue de douze mois et excluait, en conséquence, tous les salariés ayant bénéficié antérieurement d’une succession de contrats à durée déterminée au sein de l’entreprise dont le total cumulé s’élevait à douze mois ou plus, l’entreprise calculant l’ancienneté contrat par contrat ; qu’il s’ensuit une différence de traitement entre le salarié titulaire d’un contrat à durée déterminée d’une durée de douze mois, et celui qui, justifiant d’un contrat à durée déterminée de moins de douze mois, mais ayant déjà travaillé, antérieurement, dans le cadre de contrats à durée déterminée successifs, avec ou sans période d’interruption, ne bénéficie pas de la prise en compte, dans le calcul de son ancienneté éligible au dispositif de la durée des précédents contrats ;
Que de ces énonciations et constatations, procédant de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve soumis par les parties et faisant ressortir que le contrat de retraite supplémentaire ne bénéficiait pas une catégorie objective de salariés, la Cour d’appel en a exactement déduit que la contribution de l’employeur, pour le financement de ce contrat, n’avait pas être déduite de l’assiette des cotisations et contributions litigieuses. »
Si la solution de cet arrêt est pour partie compréhensible dès lors qu’il semble que l’entreprise ne prenait pas en compte les CDD successifs et sans interruption dans l’appréciation de l’ancienneté continue pour le bénéfice du régime de retraite à cotisations définies, sa motivation apparaît quelque peu surprenante. En effet, en retenant que les salariés ayant cumulé des contrats à durée déterminée successifs, y compris avec interruption, ne pouvaient être exclus du bénéfice du régime, la Cour de cassation a considéré que le critère de l’ancienneté au sens du Code du travail, ne constituait pas un critère objectif justifiant une différence de traitement en matière de régime de retraite à cotisations définies. Elle n’a, à cet égard, qu’implicitement confirmé l’arrêt d’appel qui a expressément considéré que : « c’est en vain que l’entreprise se retranche derrière les dispositions du code du travail et de la jurisprudence sociale selon lesquels en présence de contrats successifs avec le même salarié séparés par des périodes d’interruption la durée des contrats antérieurs n’est pas prise en considération alors qu’en l’espèce, la convention doit être regardée à l’aune des règles de sécurité sociale« .
Or, on relèvera qu’au regard du Code de la sécurité sociale, il n’existe aucune définition de l’ancienneté. En outre dans une circulaire du 12 août 2015, l’ACOSS rappelait que « s’agissant de la durée d’appartenance juridique à l’entreprise, plusieurs définitions susceptibles d’être retenues en droit du travail peuvent trouver à s’appliquer » et que « les diverses modalités de décompte de l’ancienneté sont valables sous réserve du respect des dispositions du code du travail ». Enfin, s’agissant de la faculté de dispense des salariés en contrat à durée déterminée de moins de 12 mois codifiée à l’article R. 242-1-6 du Code de la sécurité sociale par le décret du 9 janvier 2012, l’Acoss considère que l’ancienneté de 12 mois doit être « appréciée contrat par contrat » en cas d’interruption entre les contrats.
Compte tenu de sa publication au bulletin et de l’absence d’opposabilité des circulaires ACOSS, on peut s’interroger sur la portée de cet arrêt. En effet, si au regard de l’article R. 242-1-2 du Code de la sécurité sociale, une ancienneté maximale de 12 mois ne remet pas en cause le caractère collectif d’un régime de retraite à cotisations définies, comment devra être appréciée cette ancienneté ? Sur la base de la durée d’appartenance juridique à l’entreprise, sans aucune corrélation avec la notion d’ancienneté au sens du droit du travail? Une telle interprétation soulèverait des difficultés pratiques de mise en œuvre pour les sociétés à plusieurs égards, dans la mesure où :
- l’ancienneté au sens du droit du travail ne coïnciderait pas nécessairement avec cette durée, ce qui générerait des problèmes de gestion ;
- dans quelle limite faudrait-t-il tenir compte de la durée d’appartenance juridique à l’entreprise ? Sur les 5, 10, 20 dernières années, ou encore sans aucune limitation ? – En effet, si en matière d’épargne salariale, la notion d’appartenance juridique à l’entreprise est également retenue, l’article L. 3342-1 du Code du travail limite expressément la période de référence pour l’application de cette règle en indiquant « Pour la détermination de l’ancienneté éventuellement requise, sont pris en compte tous les contrats de travail exécutés au cours de la période de calcul et des douze mois qui la précèdent ». Or ce n’est pas le cas en matière de protection sociale complémentaire.
Reste qu’au vue de cet arrêt la prudence recommande de supprimer toute référence à un critère d’ancienneté « continue » pour la détermination des bénéficiaires d’un régime de protection sociale complémentaire.
Auteurs
Florence Duprat-Cerri, avocat counsel,droit social.
Jennifer Morin-Lucas, avocat, droit social
Retraite supplémentaire et caractère collectif : une condition d’ancienneté continue ne peut être exigée – Article paru dans Les Echos Business le 11 septembre 2017
A lire également
Plafonnement des redressements Urssaf en matière de retraite et prévoyance/san... 6 juin 2016 | CMS FL
Pas de prise en compte des arrêts maladie dans l’ancienneté pour le calcul d... 2 février 2023 | Pascaline Neymond
Généralisation de la complémentaire santé : versement « santé » mode d’... 13 avril 2016 | CMS FL
Obligation de versement du « 1,5 % TA » en prévoyance pour les cadres : la Co... 14 juin 2022 | Pascaline Neymond
Généralisation et extension de la portabilité des couvertures prévoyance/san... 20 février 2014 | CMS FL
Retraite des avocats : la clause de stage porte atteinte à la Convention EDH... 17 mai 2021 | Pascaline Neymond
Détachement, expatriation, pluriactivité : quelques nouveautés en matière de... 24 octobre 2023 | Pascaline Neymond
Gestion sociale du Covid : nos voisins ont-ils été plus créatifs ? Le cas de ... 27 juillet 2021 | Pascaline Neymond
Articles récents
- L’action en nullité d’un accord collectif est ouverte au CSE
- Complémentaire santé : vigilance sur la rédaction des dispenses d’adhésion
- Précisions récentes sur la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur dans un contexte de harcèlement
- La jurisprudence pragmatique du Conseil d’Etat en matière de PSE unilatéral : Délimitation du périmètre du groupe (Partie I)
- Détachement, expatriation, pluriactivité : quelques nouveautés en matière de mobilité internationale
- Avenant de révision-extinction d’un accord collectif : « Ce que les parties ont fait, elles peuvent le défaire »
- Dialogue social et environnement : la prise en compte des enjeux environnementaux à l’occasion des négociations collectives d’entreprise
- L’accès de l’expert-comptable du CSE aux informations individuelles relatives aux salariés lors de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise
- Conférence : Sécuriser vos pratiques pour limiter les risques juridiques dans l’entreprise (risque pénal, congés payés, RPS)
- Le recours à un client mystère : une méthode de contrôle loyale à condition d’être transparente