La Cour de cassation suspend-elle la chasse aux accords forfait-jours ?
30 août 2017
« Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires ». Depuis qu’elle a rendu cette solution de principe, le 29 juin 2011 (n°09-71.107), la Cour de cassation se livre à un véritable « tir aux pigeons », pour reprendre l’expression d’un ancien conseiller de la Chambre sociale, sur les accords collectifs permettant le recours aux conventions de forfait en jours. Une fois n’est pas coutume, par un arrêt du 22 juin 2017 (n°16-11.762), la Chambre sociale valide un tel accord et offre de précieux indices sur ce qu’elle attend de leur contenu.
À la recherche des conditions de validité d’un système auto-déclaratif de la durée du travail et des repos
En 2011, la Cour de cassation a admis la légalité des forfaits en jours au visa de l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, de l’article L. 3121-45 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2008-789 du 20 août 2008 et interprété à la lumière des directives relatives au temps de travail et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Ainsi, elle a validé le principe du forfait-jours, sous réserve que la convention soit « prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires » (Cass. soc., 29 juin 2011, n°09-71.107).
Cette réserve a toutefois conduit la Chambre sociale à annuler de nombreux accords, souvent conclus au niveau des branches professionnelles, tels que l’accord de la branche de l’industrie chimique (Cass. soc., 31 janv. 2012, n°10-19.807), celui de la branche du commerce de gros (Cass. soc., 26 sept. 2012, n°11-14.540), celui de la branche des cabinets d’experts-comptables et de commissaires aux comptes (Cass. soc., 14 mai 2014, n°12-35.033) ou encore celui de la branche « hôtels, cafés restaurants » (Cass. soc., 7 juill. 2015, n°13-26.444).
Au contraire, dans l’arrêt du 22 juin 2017 (n°16-11.762), la Cour de cassation estime que la garantie du respect des durées maximales de travail et des repos est assurée par un accord d’entreprise dont les stipulations prévoient :
- d’une part, que « les cadres sont tenus de déclarer régulièrement dans le logiciel « temps » en place dans l’entreprise le nombre de jours ou de demi-journées travaillées ainsi que le nombre de jours ou de demi-journées de repos et qu’une consolidation est effectuée par la direction des ressources humaines pour contrôler leur durée de travail » ;
- d’autre part, qu’ « au cours de l’entretien annuel d’appréciation, le cadre examine avec son supérieur hiérarchique la situation du nombre de jours d’activité au cours de l’exercice précédent au regard du nombre théorique de jours de travail à réaliser, les modalités de l’organisation de la charge de travail et de l’amplitude de ses journées d’activité, la fréquence des semaines dont la charge a pu apparaître comme atypique ; que toutes mesures propres à corriger cette situation sont arrêtées d’un commun accord et que s’il s’avère que l’intéressé n’est pas en mesure d’exercer ses droits à repos, toute disposition pour remédier à cette situation sera prise d’un commun accord entre le cadre concerné et son manager ».
La Cour de cassation avait déjà, dans une décision du 8 septembre 2016 (n°14-26.256), validé un système de relevés auto-déclaratifs similaire. En effet, elle a estimé que les déclarations des salariés étant contresignées par leur supérieur hiérarchique puis validées par le service RH, l’employeur pouvait veiller au respect des règles relatives à la durée du travail et aux repos. À noter que ce système était également accompagné d’un dispositif d’alerte de la hiérarchie en cas de surcharge de travail.
Faut-il voir là une forme d’assouplissement de la jurisprudence de la Chambre sociale ?
Il est difficile de l’affirmer. En effet, elle a récemment annulé les stipulations d’une convention collective en jugeant qu’elles « se bornent à prévoir que le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d’un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l’organisation et la charge de travail de l’intéressé et l’amplitude de ses journées d’activité, que cette amplitude et cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés ainsi que l’instauration d’un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées et la qualification des journées non travaillées par voie d’un calendrier mensuel à remplir par le salarié lui-même, ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié » (Cass. soc., 9 nov. 2016, n°15-15.064).
Ces garanties sont pourtant relativement similaires à celles prévues par l’accord en cause dans l’arrêt du 22 juin 2017. Ainsi, il nous semble que l’absence totale de rôle du supérieur hiérarchique ou de l’employeur dans l’établissement du document de contrôle ainsi que l’absence dispositif d’alerte dans un système auto-déclaratif implique que celui-ci n’est pas de nature à garantir le respect des règles relatives à la durée du travail et aux repos.
L’intervention de la loi Travail et l’inconnue de la Cour de cassation
Par la loi Travail du 8 août 2016 (n°2016-1088), le législateur a renforcé la législation applicable aux conventions de forfait en jours et le rôle de l’employeur, notamment en y intégrant les exigences dégagées par la Cour de cassation.
D’une part, l’article L. 3121-60 du Code du travail pose désormais comme principe général que « l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail ».
D’autre part, l’article L. 3121-64 du Code du travail définit le contenu minimal de l’accord autorisant la conclusion de forfait en jours. Ainsi, pour que les conventions individuelles soient valables, cet accord doit désormais déterminer :
- les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
- les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise ;
- les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.
Enfin, l’article L. 3121-65 prévoit qu’en l’absence des mesures évoquées ci-dessus dans l’accord collectif, l’employeur peut unilatéralement pallier ces carences s’il :
- établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, qui, sous la responsabilité de l’employeur, peut être renseigné par le salarié ;
- s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
- organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération ;
- et définit les modalités d’exercice du droit à la déconnexion des salariés en forfait-jours.
Reste la question de savoir comment la Cour de cassation accueillera ces nouveaux textes. Estimera-t-elle que le nouveau dispositif légal du forfait-jours est, à lui-seul, compatible avec les normes constitutionnelles et européennes ou continuera-t-elle, au nom de celles-ci, à exiger que les accords contiennent des garanties supérieures à celles imposées par la loi ?
Souhaitons que la Chambre sociale reste fidèle aux préceptes de Portalis : « Il faut que le législateur veille sur la jurisprudence ; il peut être éclairé par elle, et il peut, de son côté, la corriger ; mais il faut qu’il y en ait une ».
Auteurs
Olivier Dutheillet de Lamothe, avocat associé, droit social.
Louis Paoli, avocat, droit social
La Cour de cassation suspend-elle la chasse aux accords forfait-jours ? – Article paru dans Les Echos Business le 30 août 2017
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