Pas d’obligation de mise en garde illimitée pour le banquier prêteur
La Cour de cassation vient de se prononcer une nouvelle fois sur l’étendue du devoir de mise en garde pesant sur le banquier dispensateur de crédit, pour réaffirmer que cette obligation n’a pas un caractère illimité (arrêt du 22 avril 2017 n°15-16.316).
En effet, il est classiquement admis que, si le banquier est tenu, lorsqu’il accorde un prêt, de s’assurer que celui-ci ne présente pas un risque pour l’emprunteur au regard de sa capacité financière, ce n’est que lorsque pareil risque est avéré que le banquier est tenu d’une obligation de mise en garde. L’obligation du banquier s’arrête là : en aucun cas il n’a le devoir d’alerter l’emprunteur sur l’opportunité ou la viabilité de l’opération financée par le prêt accordé.
Au cas particulier, une SCI avait souscrit auprès d’un établissement bancaire quatre prêts moyennant un taux d’intérêt nominal révisable. Quelque temps plus tard, estimant que le projet financé par ces prêts n’était viable qu’avec un taux fixe à 4,80% mais ne l’était plus avec un taux à 6%, la SCI avait assigné la banque en paiement de dommages-intérêts. Elle lui reprochait un manquement à son devoir de mise en garde quant à la stipulation du taux d’intérêt révisable.
Sans surprise, la Cour de de cassation n’a pas accueilli l’argument de la SCI en rappelant que « l’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt ne porte que sur l’adaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur et sur le risque de l’endettement qui résulte de son octroi, et non sur les risques de l’opération financée ». Or, précisément, la SCI ne prétendait pas que les conditions de prêts l’avaient exposée à un risque d’insolvabilité mais uniquement que l’opération financée n’était pas viable. Dès lors qu’il n’était pas allégué qu’à la date où ils avaient été souscrits les engagements de la SCI étaient inadaptés aux capacités financières de cette dernière ou qu’il existait un risque de surendettement né de l’octroi des prêts, il ne pouvait être reproché à la banque un manquement à son obligation de mise en garde.
Il ne pouvait pas plus lui être reproché un quelconque manquement à son obligation d’information sur les caractéristiques objectives des prêts et spécialement sur la stipulation d’un taux variable. En effet, chacun des actes authentiques de prêts, dont les pages avaient été paraphées par le gérant de la SCI, mentionnait clairement dans les conditions particulières que le taux nominal d’intérêt était révisable ; chacun détaillait aussi les conditions et modalités de cette révision, lesquelles figuraient déjà dans une lettre, précédemment adressée à la SCI, comportant les modèles d’actes authentiques aux fins d’information.
Cette décision illustre une fois encore la nécessité pour les entreprises de ne pas confondre viabilité économique de l’opération financée et risque d’endettement résultant de cette opération. Le devoir de mise en garde du banquier ne porte que sur le risque d’endettement lié à l’octroi du prêt. Rappelons que ce risque s’apprécie au moment où les crédits sont consentis.
Auteur
Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris
Pas d’obligation de mise en garde illimitée pour le banquier prêteur – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 4 septembre 2017