La lettre de licenciement : l’importance de la motivation et du formalisme
30 décembre 2013
Dans une série d’arrêts rendus en octobre 2013, la Cour de cassation a rappelé certains principes importants concernant la rédaction de la lettre de licenciement, sa motivation et les formalités afférentes à sa notification au salarié.
Quelles sont les précautions à prendre pour motiver au mieux une lettre de licenciement ? Quelles sont les mentions à ne pas oublier ? De quelle manière et par qui la lettre de licenciement doit-elle être notifiée ? Voici quelques conseils utiles.
1. La lettre de licenciement doit contenir un ou des motifs(s) précis
La lettre de licenciement doit être motivée et contenir l’exposé des raisons justifiant la rupture du contrat de travail du salarié concerné. L’absence de motivation de la lettre de licenciement conduira le conseil de prud’hommes à juger que le licenciement du salarié est ipso facto dépourvu de cause réelle et sérieuse, avec toutes les conséquences financières que cela entraîne (condamnation, selon le profil du salarié et l’effectif de l’entreprise, à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’au moins 6 mois de salaire ou à des dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail dont le quantum sera fonction du préjudice subi par le salarié), quand bien même l’employeur avait de bonnes raisons pour prononcer le licenciement.
En cas de contentieux, il est par ailleurs acquis que la lettre de licenciement fixe les limites du litige, de telle sorte qu’il n’est pas possible, pour l’employeur, d’exposer des griefs qui ne seraient pas contenus et visés dans la lettre de licenciement.
Le code du travail étant muet sur les contours de cette motivation, la Cour de cassation a précisé à plusieurs reprises, et dernièrement le 15 octobre 2013, que la lettre de licenciement devait énoncer des motifs précis.
Concrètement :
- en matière de licenciement économique, la lettre de licenciement doit notamment mentionner d’une part le motif économique lui-même (nature et raisons de la réorganisation envisagée aux fins de préserver la compétitivité du secteur d’activité ; nature, importance et étendue des difficultés économiques ; raisons ayant conduit à la cessation de l’activité ou à la fermeture de l’entreprise, nature des mutations technologiques….) et les conséquences de ce motif économique sur l’emploi du salarié (suppression de poste ou transformation d’emploi) ou son contrat de travail (nature de la modification du contrat de travail).
- s’agissant du licenciement pour motif personnel, les choses sont moins cartésiennes. Il y a lieu d’appliquer la règle « ni trop – ni trop peu ». En d’autres termes, il faut trouver un juste milieu et garder à l’esprit que le salarié doit, à la lecture de la lettre de licenciement qu’il va recevoir, lire et comprendre les raisons exactes pour lesquelles son contrat est rompu.
Pour être précis, il y a lieu de viser par exemple les dates et heures des évènements conduisant l’employeur à imaginer la résiliation du contrat de travail, ainsi que le nom des personnes ayant été témoins des faits ou qui se sont trouvés à l’origine ou destinataires de mails, de courriers, de notes …. Dans certains cas, pour éviter tout débat concernant l’éventuelle prescription des faits fautifs, il est intéressant de faire état, dans la lettre de licenciement, de la date à laquelle l’employeur a eu une connaissance précise et exacte de l’étendue et de l’importance des faits fautifs reprochés au salarié. Il faut autant que possible éviter les points subjectifs et généraux, et concentrer le propos sur des éléments concrets et objectifs.
Lorsque plusieurs faits sont susceptibles de concerner un même grief, l’utilisation de l’adverbe « notamment », ou la référence au fait que la liste des points n’est ni limitative, ni exhaustive, peut être envisagée.
2. La lettre de licenciement doit reposer sur des motifs matériellement vérifiables
Les faits visés dans la lettre de licenciement ne se suffisent pas à eux-mêmes. Le licenciement doit ensuite reposer sur des motifs matériellement vérifiables. Ce principe a de nouveau été rappelé par la Cour de cassation dans sa décision précitée du 15 octobre 2013. Cela signifie que l’employeur doit être en mesure de démontrer, via des pièces probantes qu’il sera susceptible de produire en justice, la réalité de l’intégralité des faits et/ou griefs qu’il expose dans la lettre de licenciement.
Sur un plan pratique et pour éviter toute difficulté matérielle ultérieure, il est opportun que l’employeur dispose des pièces requises (mails, courriers, attestations de salariés, plaintes de clients …) au moment même où il rédige la lettre de licenciement. On voit trop souvent en effet des licenciements prononcés pour des raisons certes objectives et respectables, mais que l’employeur n’est aucunement en situation de démontrer devant le conseil de prud’hommes, ne disposant pas ou plus de preuve de ses dires.
Ici encore, l’absence de démonstration de la réalité et de la matérialité des griefs visés dans la lettre de licenciement conduira le conseil de prud’hommes à estimer que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, y compris si en apparence les motifs retenus étaient de nature à le justifier.
3. L’employeur peut invoquer ultérieurement toutes les circonstances de fait permettant de justifier le motif ou le grief
Aux termes de son arrêt du 15 octobre 2013, la Cour de cassation a estimé que si la lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables, l’employeur est en droit, en cas de contestation, d’invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif.
Dans cette affaire, plusieurs salariés ont été licenciés pour faute lourde à la suite de leur participation à une grève. Pour dire leur licenciement nul, la Cour d’appel a retenu que le caractère illicite de la grève ne résultait, aux termes des lettres de licenciement, que de la seule référence à une ordonnance rendue par le président du tribunal de grande instance, aucun autre élément d’illicéité de la grève n’étant invoqué dans les lettres de licenciement. La Cour de cassation a censuré l’arrêt de la Cour d’appel au motif que la lettre de licenciement évoquait la participation des salariés à un mouvement de cessation collective de travail illicite, et qu’il lui incombait en conséquence de se prononcer sur les éléments avancés par l’employeur pour en justifier.
Il est donc possible pour l’employeur, qui a fait état d’un grief dans la lettre de licenciement, d’avancer judiciairement, si le grief est contesté ou critiqué, d’autres éléments d’informations concernant ledit grief.
4. Ne pas oublier les clauses obligatoires concernant le DIF et la portabilité des droits à santé et prévoyance du salarié
Conformément à l’article L 6323-19 du code du travail, l’employeur doit, dans la lettre de licenciement, sauf en cas de faute lourde commise par le salarié et sous certaines conditions, informer ce dernier du nombre d’heures qu’il a acquises au titre de son droit individuel à la formation (DIF), du montant de l’allocation correspondante (équivalente au nombre d’heures acquises x 9,15 euros) et de ce qu’il peut demander à bénéficier d’une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l’expérience ou de formation auprès de son employeur durant son préavis, ou auprès de son futur employeur au plus tard dans les deux ans suivants la date de son embauche, ou auprès de l’organisme d’assurance chômage, conformément aux dispositions prévues par l’article L. 6323-18 du code du travail.
Une telle obligation s’impose y compris lorsque le salarié a été considéré par la médecine du travail physiquement inapte, et se trouve en conséquence dans l’impossibilité d’exercer son préavis (cf arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2013).
L’absence de toute mention des dispositions précitées concernant le DIF dans la lettre de licenciement constitue un manquement de l’employeur causant nécessairement un préjudice au salarié (cf jurisprudence constante, encore récemment consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 23 octobre 2013).
De la même manière, la lettre de licenciement doit faire état sous certaines conditions et dans l’hypothèse où le licenciement donnerait lieu à une prise en charge par le régime d’assurance chômage et sous réserve que le salarié justifie, à la date de rupture de son contrat de travail, de droits à couverture complémentaire d’ores et déjà ouverts au sein de l’entreprise, de ce qu’il bénéficie, pendant sa période de chômage et dans la limite d’une durée égale à celle de son dernier contrat de travail plafonnée à neuf mois (bientôt 12 mois), du maintien des garanties complémentaires de santé et de prévoyance applicables au sein de l’entreprise.
Là encore, aux termes d’une décision de la Cour de cassation du 20 novembre 2013, l’absence de mention d’une telle clause dans la lettre de licenciement génère au profit du salarié concerné un droit à dommages et intérêts.
5. Les autres points à prévoir dans la lettre de licenciement
Par prudence, l’employeur doit, au moment où il rédige la lettre de licenciement, prendre connaissance de la convention collective de branche applicable et des accords d’entreprise, ainsi que de l’ensemble des documents contractuels le liant au salarié concerné par la rupture de son contrat de travail. Certaines clauses ou mentions, qui y sont expressément visées, doivent être consignées dans la lettre de licenciement.
Par ailleurs, l’employeur doit faire preuve de vigilance s’agissant de la mise en œuvre de certaines clauses telles que, par exemple, la clause de non-concurrence. Il appartient à l’employeur, en fonction là encore des dispositions conventionnelles et contractuelles applicables, de se prononcer dans la lettre de licenciement sur son souhait de libérer ou non le salarié de son obligation de non-concurrence, et par là même de régler ou non la contrepartie pécuniaire à cette obligation.
6. La notification de la lettre de licenciement
Nécessité d’un envoi en recommandé AR ?
Le code du travail prévoit expressément, en son article L 1232-6, que la lettre de licenciement doit être notifiée au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception.
La Cour de Cassation a jugé cependant à plusieurs reprises, et encore récemment le 23 octobre 2013, que l’envoi de la lettre recommandée avec avis de réception n’était qu’un moyen légal de prévenir toute contestation sur la date de notification du licenciement.
On peut donc imaginer que la lettre de licenciement soit notifiée au salarié par d’autres moyens, par exemple par courrier remis en main propre contre décharge, par lettre simple, ou par l’intermédiaire d’un huissier de justice.
Ces différents modes de notification ne sont pas satisfaisants, pour des motifs divers.
Le courrier notifié par lettre simple est tout d’abord à proscrire, pour des raisons évidentes de preuve de son envoi et de sa réception par le salarié.
La remise en main propre contre décharge ne doit de la même manière pas être privilégiée, compte tenu du caractère quelque peu vexatoire de ce mode de notification.
Ces deux moyens de soumettre la lettre de licenciement au salarié, peuvent au demeurant poser une vraie difficulté juridique, dans l’hypothèse où par exemple un accord transactionnel interviendrait ultérieurement. Une jurisprudence certes ancienne, mais non démentie à ce jour, impose en effet comme condition de validité de la transaction, que la lettre de licenciement ait été préalablement notifiée sous la forme d’un recommandé avec accusé de réception.
Reste la signification de la lettre de licenciement par voie d’huissier. On peut imaginer que ce moyen de porter la lettre de licenciement à la connaissance du salarié soit privilégiée dans des hypothèses où, par exemple, l’employeur souhaite, avec certitude et de manière urgente, notifier son licenciement au salarié, ou lorsque le délai d’un mois réservé à l’employeur pour notifier son licenciement au salarié, après la tenue de l’entretien préalable (ce délai ne vaut qu’en matière disciplinaire) est sur le point d’expirer (et que par exemple les bureaux de postes sont fermés).
La Cour de cassation vient de juger, le 23 octobre 2013, que la remise de la lettre de licenciement au salarié par un tiers (un huissier de justice en l’espèce), bien que n’étant pas conforme aux dispositions de l’article L 1232-6 du code du travail, n’avait pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Une telle hypothèse ne doit cependant qu’être exceptionnelle, le principe devant être l’envoi de la lettre de licenciement par le biais d’un courrier recommandé avec accusé de réception.
- Attention au signataire de la lettre de licenciement et au papier à en-tête
L’employeur devra veiller enfin à ce que le signataire de la lettre de licenciement, s’il ne s’agit pas du représentant légal lui-même, soit juridiquement habilité à apposer son nom et sa signature sur ce courrier.
De la même manière, nous ne saurions que trop attirer l’attention des DRH, amenés à exercer leurs fonctions pour le compte de plusieurs entreprises ou filiales, à rédiger une lettre de licenciement sur le papier à en-tête adéquate, c’est-à -dire concernant l’employeur effectif du salarié concerné par le licenciement.
En effet, la notification sur un tout autre papier à en-tête, au-delà du mauvais effet qu’il générerait et de l’absence de sérieux qu’il ne manquerait pas de caractériser, ne serait pas sans poser de gros problèmes juridiques, et par la même des risques financiers importants d’une part pour l’employeur véritable, et d’autre part pour la société qui a procédé au licenciement d’un salarié qu’il n’a par définition jamais compté dans son effectif.
On le voit bien, la rédaction de la lettre de licenciement n’est pas un acte banal. C’est une initiative engageante pour l’employeur, et il y a lieu pour ce dernier, singulièrement lorsque le salarié compte beaucoup d’ancienneté, de faire preuve de beaucoup de vigilance et d’une certaine prudence.
A propos de l’auteur
Rodolphe Olivier, avocat associé. Il anime l’équipe contentieuse et intervient plus particulièrement dans les litiges pendants devant le conseil de prud’hommes (tous types de litiges), le tribunal d’instance (contestation de désignations de délégués syndicaux, élections professionnelles, représentativité syndicale, reconnaissance d’unité économique et sociale, référendum des salariés à la suite de la signature d’accords collectifs…), le tribunal de grande instance (dénonciation et mise en cause d’accords collectifs, demande de suspension de la procédure consultative auprès du comité d’entreprise, demande d’annulation de plans de sauvegarde de l’emploi, grèves, contestation d’expertise CHSCT ou CE…), le tribunal des affaires de sécurité sociale (urssaf, affiliation, accident du travail, maladie professionnelles, faute inexcusable,…), le tribunal de police et tribunal correctionnel (discrimination syndicale, délit d’entrave, contraventions à la durée du travail, harcèlement moral…) et le tribunal administratif et cour administrative d’appel (contestation des décisions de l’Inspection du travail ou du Ministre…).
Article paru dans Les Echos Business le 11 décembre 2013
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