Analyse des marchés du haut et très haut débit fixe : quelles suites à donner?
Le 24 mars 2017, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’ADLC »), sur les marchés susceptibles de faire l’objet d’une régulation ex ante, à savoir :
- le marché de gros des offres d’accès aux infrastructures physiques constitutives de la boucle locale filaire (ou « marché 3a ») ;
- le marché de gros des offres d’accès haut débit et très haut débit activées (ou « marché 3b ») ;
- le marché de gros des services de capacité du segment terminal (ou « marché 4 »).
Plus précisément, l’ARCEP a sollicité l’avis de l’ADLC sur les projets de mesures destinées à s’imposer aux « opérateurs puissants » sur les marchés concernés et à remplacer les décisions n°2014-0733, n°2014-0734 et n°2014-0735 du 26 juin 2014.
En effet, à l’instar de ce qu’elle avait déjà constaté lors de l’analyse du précédent cycle, elle estime que la position dominante d’Orange sur ces différents marchés au cours de la période 2014-2017 ne permet toujours pas de garantir une concurrence effective pour le déploiement des réseaux et la commercialisation de services à très haut débit (THD).
Le développement de nouveaux usages et la croissance continue des investissements pour le déploiement de réseaux THD a conduit l’ARCEP à envisager de nouveaux « remèdes » consistant, pour les principaux, à :
- renforcer les obligations d’Orange en tant qu’« opérateur d’immeuble » (c’est-à-dire en aval des points de mutualisation qu’il déploie) en imposant une forme d’équivalence d’accès pour faciliter le raccordement des opérateurs tiers aux immeubles équipés en fibre optique par l’opérateur historique ;
- obliger Orange, sur le « marché entreprises » : à accéder aux demandes raisonnables d’offres de gros passives (mise à disposition du réseau) afin de permettre aux opérateurs tiers de se positionner sur le marché de gros activé et à proposer des offres bénéficiant d’une qualité de service renforcée sur la boucle locale mutualisée.
Concernant tout d’abord la position d’Orange en tant qu’« opérateur d’immeuble », l’ARCEP suggère ainsi de définir davantage la portée du principe de non-discrimination prévu à l’article L.34-8-3 du Code des postes et des communications électroniques (CPCE) pour préciser les modalités d’échanges entre l’opérateur d’immeuble et les opérateurs tiers. L’objectif poursuivi est de mettre fin à l’asymétrie d’information relevée à plusieurs moments-clés d’un raccordement (éligibilité de l’immeuble, commande ou livraison de la ligne, service après-vente…).
En réponse que ce point, l’ADLC précise que cette situation n’est toutefois pas due à la position qu’Orange occupe sur le marché, mais plutôt au contrôle dont l’entreprise jouit sur son réseau aval au point de mutualisation. Par conséquent, selon elle, si l’ARCEP devait imposer à ce titre une forme d’équivalence d’accès appropriée, elle devrait le faire pour tous les opérateurs d’immeuble et préciser les conséquences techniques et opérationnelles qui en découlent (cf. avis n°17-A-09 de l’Autorité de la concurrence du 5 mai 2017).
S’agissant ensuite du « marché entreprises », force est de constater, malgré les décisions de l’Autorité et de l’ARCEP adressées à Orange en 2015 (cf. décision n°15-D-20 du 17 décembre 2015) et 2016 (cf. décision n°2016-0972-RDPI du 20 juillet 2016), l’insuffisance de la concurrence sur ce marché, tant sur le plan qualitatif (les offres proposées ne répondant que partiellement aux besoins des professionnels) que sur le plan quantitatif (l’absence d’offre activée ne laissant pas la possibilité à l’ensemble des opérateurs de répondre aux appels d’offres des entreprises).
Lors de sa demande d’avis, l’ARCEP envisageait ainsi dans un premier temps comme remède l’émergence d’au moins un nouvel opérateur de gros sur le marché des offres passives à destination des entreprises, afin que celle-ci se répercute dans un second temps sur le marché de gros des offres activées et, in fine, sur le nombre des offres commerciales présentes sur le marché.
Pour l’ADLC, cette mesure contribuerait en effet à l’apparition d’une pluralité d’offres commerciales par les opérateurs de détail. En revanche, elle ne pallierait pas à elle seule les difficultés rencontrées par les opérateurs désireux de bénéficier d’offres activées sur le marché – notamment pour répondre aux appels d’offres passés par les entreprises multi-sites et pour compléter leur empreinte géographique. Pour le régulateur de la concurrence, il pourrait donc être nécessaire d’exiger également que les opérateurs de détail bénéficient aussi d’une offre de gros activée.
Précisons à ce titre que le régulateur a la possibilité, dans le contexte actuel d’analyse des marchés haut débit et très haut débit, de modifier les obligations imposées aux opérateurs exerçant une influence significative sur le marché (articles D.301 à D.303 du Code des postes et des communications électroniques).
On rappellera que, de son côté, la Cour des comptes a recommandé à l’ARCEP d’agir pour accroître la concurrence sur le marché des entreprises, notamment par « un réexamen de l’obligation qui serait faite à Orange de proposer aux opérateurs alternatifs une offre d’accès activé sur fibre optique dans le cadre des prochaines analyses de marchés » (rapport publié le 31 janvier 2017 sur le déploiement du très haut débit).
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Aujourd’hui, et malgré le lobbying des opérateurs alternatifs sur ces différents sujets, la solution n’est pas aussi tranchée pour l’ARCEP (cf. principales conclusions des analyses des marchés du haut et très haut débit fixe publiées le 11 juillet 2017).
S’agissant tout d’abord du raccordement, par les opérateurs, des immeubles fibrés par Orange, l’ARCEP n’a pas jugé nécessaire pour l’heure de mettre en place une obligation spécifique tendant à assurer l’effectivité de l’accès des tiers aux immeubles, l’opérateur historique ayant indiqué vouloir remédier à la situation d’ici mi-2019.
S’agissant du « marché entreprises », deux avancées ont toutefois été annoncées par le régulateur : obliger Orange à proposer une option de qualité de service renforcée sur son réseau FttH et à fournir une offre passive de boucle locale FttH pour entreprises, au plus tard pour le 1er janvier 2018.
Statut quo en revanche pour les entreprises multi-sites, le régulateur n’estime ni nécessaire ni proportionné, « au vu de ses objectifs de régulation –et notamment le développement d’un marché de gros activé dynamique– et des obligations précédentes », d’imposer à Orange, la fourniture d’une offre activée régionale ou nationale.
Il convient donc d’attendre la position finale qu’adoptera l’ARCEP à l’issue de la consultation publique relative aux projets de décisions qui prendra fin le 15 septembre 2017, avant notification de ces derniers à la Commission européenne.
Objectif : adoption de nouvelles décisions au plus tard fin novembre 2017.
Auteur
Audrey Maurel, avocat, droit des communications électroniques