Pacte d’actionnaires : attention à la nullité des clauses répartissant les sièges au sein du conseil d’administration
Dans le cadre des pactes d’actionnaires, il est très fréquent que l’associé minoritaire, en particulier lorsqu’il s’agit d’un investisseur financier, cherche à aménager les règles de gouvernance afin de bénéficier de droits que ne lui accorde pas la loi. Au nombre de ces aménagements figure notamment la possibilité de faire nommer des membres du conseil d’administration.
De telles clauses ne sont toutefois pas exempts de critiques, en particulier lorsqu’elles font obstacle au principe de libre révocabilité des administrateurs. C’est ce qu’est venue rappeler la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 26 avril dernier1.
Au cas d’espèce, un pacte d’actionnaires est conclu à l’occasion d’une fusion entre deux sociétés. Ce pacte organise la composition du conseil d’administration et prévoit que ce dernier sera composé d’un nombre pair de membres, choisis à parité parmi les candidats présentés par chacun des actionnaires. Par la suite, l’un d’eux se trouve révoqué de son mandat d’administrateur par l’assemblée générale, perdant automatiquement son mandat de directeur général, et impute cette révocation à l’autre actionnaire majoritaire cocontractant au pacte. En réparation du préjudice résultant de la violation des dispositions du pacte d’actionnaires, l’administrateur évincé réclame des dommages et intérêts.
La cour rejette la demande de dommages-intérêts formulée par l’administrateur et directeur général évincé, sur le fondement de l’illicéité des stipulations du pacte. En effet, La Cour précise qu’est illicite toute stipulation portant atteinte à la libre révocation des administrateurs, et qu’il en est ainsi du pacte d’actionnaires susvisé. En l’espèce, l’obligation de maintien de la parité au sein du conseil d’administration entre les deux groupes d’actionnaires, telle que prévue par ledit pacte d’actionnaires, enlève son caractère libre à la révocation des administrateurs, et porte donc atteinte au principe de libre révocabilité.
Le principe de libre nomination et révocabilité des administrateurs résulte des dispositions de l’article L. 225-18 du Code de commerce. La révocation d’un administrateur d’un conseil d’administration est ainsi libre et toute stipulation statutaire ou extrastatutaire ayant pour objet ou pour effet d’y porter atteinte est illicite2. Les tribunaux annulent donc systématiquement toutes les clauses qui directement ou indirectement contreviennent à ce principe.
C’est notamment le cas de toute disposition stipulant une indemnité de révocation qui, de par son montant, est de nature à dissuader les actionnaires de prononcer celle-ci3. Une telle indemnisation est ainsi abusive lorsqu’elle met en péril la situation financière de la société, notamment si celle-ci est déficitaire sur les derniers exercices (le montant de l’indemnisation étant à apprécier en fonction de la situation économique et financière de la société à la date de la révocation), ou si celle-ci ne saurait supporter le versement trimestriel des compléments de retraite, trop important4.
Afin de pallier cet écueil que constitue le principe de libre révocabilité des administrateurs, et mettre en place un mécanisme permettant valablement de répartir les postes de membre du conseil d’administration au sein d’une société anonyme, les actionnaires minoritaires auront donc tout intérêt à préférer la mise en place d’actions de préférence plutôt que la conclusion d’un pacte d’actionnaires.
Le pouvoir de nommer et révoquer les administrateurs appartenant à l’assemblée générale dans son ensemble, les actions de préférence émises se verraient alors attribuer le droit de proposer la candidature d’un ou plusieurs membres à l’assemblée générale des actionnaires ; l’assemblée spéciale des titulaires d’actions de préférence élisant le candidat qui est ensuite présenté à l’assemblée générale des actionnaires. Ce dispositif de répartition des sièges de mandataires sociaux en fonction des groupes d’actionnaires présents au capital de la société a été admis par la doctrine et la jurisprudence5.
Si l’organisation des pouvoirs au sein du conseil d’administration est possible par la création d’actions de préférence, il est important de souligner qu’en toute hypothèse c’est l’assemblée générale de tous les actionnaires, et non seulement des actionnaires titulaires d’actions de préférence qui devra rester compétente pour nommer et révoquer l’ensemble des administrateurs.
A noter, bien évidemment, que cette problématique ne se pose pas dans le cadre de la SAS pour laquelle les statuts peuvent librement instituer un conseil d’administration nommé et/ou révoqué selon des modalités prévues statutairement ou extra-statutairement.
Notes
1 Cass. Com. 26-4-2017 n°15-12.888 F-D
2 Cass. Com. 14-5-2013 n°11-22.845
3 Cass. Com. 6-12-1983 et Cass. Com. 6-11-2012
4 Cass. Com. 15-7-1987
5 C. Appel Paris 17-12-1954
Auteur
Jean-Thomas Heintz, avocat associé, Corporate, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon