L’immatriculation : clef de voûte du droit au renouvellement
Le bénéfice du droit au renouvellement d’un bail commercial suppose la réunion de quatre conditions cumulatives :
- l’existence d’un bail ;
- l’existence d’un immeuble ou d’un local, objet du bail ;
- l’exploitation par le preneur d’un fonds de commerce dont il est propriétaire pendant une durée effective de trois années ;
- l’immatriculation du preneur au titre des lieux loués.
Sur ce dernier point, l’article L.145-1 du Code de commerce dispose en effet que le statut des baux commerciaux s’applique « aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit au chef d’une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce ».
Pour être régulière, l’immatriculation devra respecter plusieurs conditions, à peine pour le preneur de se voir dénier tout droit au renouvellement. Aussi, la date de l’immatriculation et les modalités de celle-ci doivent être irréprochables.
La date d’immatriculation
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’immatriculation du preneur n’est pas requise lors de la conclusion du bail ou au cours de son exécution (sauf stipulation expresse du bail en ce sens). En effet, l’immatriculation ne constitue une condition pour bénéficier du statut des baux commerciaux qu’au moment de son renouvellement ou lorsque le preneur entend revendiquer le statut des baux commerciaux.
Dans ces hypothèses et à défaut d’immatriculation du preneur, le bénéfice du statut des baux commerciaux peut lui être dénié. Ceci emporte principalement deux conséquences :
- le bailleur peut refuser le renouvellement du bail commercial sans avoir à verser une indemnité d’éviction au preneur ;
- le preneur ne peut revendiquer l’application du statut des baux commerciaux et donc les avantages qui en découlent.
La condition d’immatriculation est appréciée strictement par la Cour de cassation, comme en témoigne la jurisprudence la plus récente rendue en la matière. Ainsi, la Cour de cassation impose aux juges du fond de vérifier que l’inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est effective, selon le cas :
- à la date de l’assignation par laquelle le locataire revendique le bénéfice du statut (Cass. 3e civ., 22 janvier 2014, n°12-26.179 ; Cass. 3e civ., 9 juin 2016, n°15-15.416) ;
- à la date du congé (Cass. 3e civ., 8 septembre 2016, n°15-17.879) ;
- à la date de la demande de renouvellement.
Toute immatriculation tardive est dès lors inopérante et le preneur qui procède à son immatriculation à titre de régularisation après la date de délivrance du congé ou de renouvellement ou encore d’effet du congé ne pourra pas se prévaloir du bénéfice du statut.
Les modalités de l’immatriculation
L’immeuble immatriculé. L’immatriculation du preneur doit porter sur l’ensemble des locaux où s’exerce l’activité. A ce titre, le preneur doit être régulièrement immatriculé à l’adresse des locaux loués. C’est pourquoi, en sus de l’immatriculation de l’établissement principal, le preneur doit procéder à l’immatriculation de ses établissements secondaires, et ce pour chaque adresse où une activité est exploitée.
Cette exigence, ainsi que la rigueur avec laquelle elle est appréciée, ont récemment été rappelées par la Cour de cassation. Ainsi, dans un arrêt du 9 juin 2016 concernant une société qui avait donné à bail un terrain nu par plusieurs baux successifs, le preneur, demeuré dans les lieux suite au terme du dernier bail, avait assigné le bailleur en revendication du statut des baux commerciaux. Ce statut lui a été refusé au motif « qu’ayant relevé que le terrain donné à bail était situé au numéro 7 rue de la Martinique, adresse figurant sur les baux et que la société Rhin-Rhône Autos avait immatriculé l’établissement secondaire exploité dans les lieux au numéro 5 de cette rue et n’avait rectifié son erreur qu’en août 2012, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que la locataire, qui n’était pas régulièrement immatriculée au registre du commerce et des sociétés à la date de sa demande en justice, ne pouvait bénéficier d’un bail commercial soumis au statut » (Cass. 3e civ., 9 juin 2016, n°15-15.416).
Une simple erreur de numéro peut être fatale au preneur !
Cette obligation d’immatriculation connaît toutefois une exception lorsque le local secondaire forme, en fait, un ensemble avec le local principal d’exploitation ayant fait l’objet d’une immatriculation (Cass. 3e civ., 30 novembre 1988, n°87-13.487).
De même, lorsque le local loué se situe sur deux adresses (par exemple, une boutique située à l’angle d’un immeuble) mais que le preneur se contente de renseigner l’une d’entre elles lors de son immatriculation, la Cour de cassation considère qu’à partir du moment où l’adresse renseignée est l’une des deux adresses figurant au bail pour la désignation des lieux loués, le preneur remplit la condition d’immatriculation (Cass. 3e civ., 13 novembre 2012, n°11-23.004).
L’activité immatriculée. Afin que l’immatriculation soit régulière, il est également nécessaire que l’activité mentionnée au registre du commerce et des sociétés soit conforme à celle effectivement exploitée dans les locaux loués (Cass. 3e civ., 18 janvier 2011, n°09-71.910). A défaut, cette discordance est assimilée à une absence d’immatriculation du preneur.
La sévérité dont fait preuve la Cour de cassation a été illustrée dans un arrêt rendu le 22 septembre 2016 (Cass. 3e civ., 22 septembre 2016, n°15-18.456). En l’espèce, le preneur était immatriculé pour les activités suivantes « la vente d’objets d’art, bois sculptés, miniatures et ivoires, l’importation et l’exportation d’objets de luxe ». Or, il avait diversifié ses activités initiales dans les locaux loués en se consacrant à la vente d’objets touristiques, cette activité étant conforme à la destination contractuelle. Le bailleur avait formé une demande de déchéance du droit à une indemnité d’éviction consécutive à un refus de renouvellement au titre du défaut d’immatriculation du preneur pour l’activité exercée. Cette demande avait été rejetée par les juges du fond. Ces derniers ont vu leur arrêt censuré par la Cour de cassation qui considère « que la dénégation du droit au statut des baux commerciaux en raison du défaut d’immatriculation n’a pas à être précédée d’une mise en demeure et alors qu’elle avait constaté que la société La Tentation du mandarin était immatriculée au registre du commerce et des sociétés au titre d’une activité qui n’était pas celle réellement exercée dans les lieux loués, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé » les articles L.145-1 I, L.145-8 et L.145-17 du Code de commerce.
Le bailleur qui ne souhaite pas le renouvellement du bail aura donc tout intérêt à invoquer l’existence d’irrégularités afférentes à l’immatriculation du preneur. Le preneur devra, quant à lui, être extrêmement scrupuleux au moment de l’accomplissement de cette formalité essentielle s’il espère pouvoir revendiquer l’application du statut des baux commerciaux et notamment le droit au renouvellement qu’il institue. Un preneur bien immatriculé en vaut donc deux !
Auteur
Sandra Kabla, avocat Counsel, droit immobilier et droit commercial