Clause Molière : l’utilité du débat en question
La manière dont la campagne électorale s’est emparée du sujet, au combien technique, des clauses dites « clauses Molière » est assez symptomatique d’un monde politique qui cherche le clivage pour exister. Certains ont débattu avec frénésie du caractère discriminatoire, ou au contraire protecteur, des clauses linguistiques sur les chantiers, sans même que soit posée la question de leur efficience pour lutter contre le travail détaché.
De manière rationnelle, il faut circonscrire le débat et définir ce qu’est une « clause Molière ». On constatera que derrière les approximations, la clause Molière est dénuée de la portée symbolique qu’on veut bien lui prêter. En effet, si l’utilisation des clauses linguistiques était sans doute initialement une technique pour lutter contre la pratique des travailleurs détachés, elle ne l’est plus. Lorsqu’on étudie les clauses utilisées, il n’est nullement fait référence aux travailleurs détachés. Il est tout au plus exigé que les salariés qui œuvrent sur un chantier maîtrisent la langue française pour comprendre les règles de sécurité.
Les partisans du protectionnisme comme les défenseurs de la non-discrimination seront donc nécessairement déçus par le caractère très juridique, presque aseptisé, du débat sur la légalité des clauses Molière. Certes, le fait d’exiger que les travailleurs maîtrisent la langue française sur un chantier entrave trois libertés : la non-discrimination dans l’accès à la commande publique, la libre circulation des travailleurs dans l’Union et la libre prestation de service. Mais toute entrave à ces libertés n’est pas forcément illégale.
Selon une jurisprudence bien établie les entraves peuvent être justifiées, à la condition qu’elles répondent à une raison impérieuse d’intérêt général et qu’elles soient strictement nécessaires pour satisfaire celle-ci. Or, en l’espèce, contrairement aux positions péremptoires qui ont pu être soutenues, la question de savoir si la compréhension du français sur un chantier peut être légalement imposée pour permettre la compréhension des règles de sécurité est loin d’être évidente. Il est fort probable que la jurisprudence considère comme bien fondée la pratique d’une langue commune sur un chantier. La possibilité d’imposer la langue d’un Etat membre en particulier est plus discutable. Aussi, avec pragmatisme, il semble possible de considérer que, les clauses Molière ne constituent pas une entrave disproportionnée dans la mesure où les règles contractuelles et réglementaires de sécurité sont bien rédigées en français.
Mais au-delà de la légalité des clauses linguistiques, se pose la question de leur efficience. Bien qu’il soit possible de prendre des précautions juridiques dans leur rédaction, ces clauses seront bien difficiles à appliquer et surtout, elles risquent d’être un « foyer de contentieux ». Par exemple, comment définir le niveau de français à exiger et comment faire la preuve que ce niveau n’est pas atteint ? Une mise en demeure serait-elle possible pour permettre à l’entreprise d’améliorer le niveau de compréhension exigé ? Quelle est la sanction envisagée, et surtout est-il possible de mettre un terme à la sanction ? Ainsi, avant de se laisser instrumentaliser sur la supposée portée symbolique des clauses Molière, il faut avoir conscience de son manque d’efficience.
Auteur
Walter Salamand, avocat associé, droit public